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Ce portefeuille avait déterminé d’ailleurs, avant d’arriver aux mains de M. Havard, un formidable scandale. C’était tout simplement deux inspecteurs de la Sûreté qui s’étaient entendus avec un de leurs amis, un préparateur de l’amphithéâtre de médecine !

Cet homme, à qui les policiers avaient remis le corps du supplicié aux fins d’autopsie, en échange leur avait fait tanner avec sa peau un portefeuille !

Toutefois, la chose avait été connue de journaux, lesquels avaient crié au scandale, le préparateur de l’amphithéâtre avait été déplacé, les inspecteurs punis sévèrement et le portefeuille saisi par le chef de la préfecture de police.

Ce fonctionnaire, alors, l’avait transmis à son supérieur hiérarchique et finalement, de mains en mains, le portefeuille était arrivé chez M. Havard !

Celui-ci n’ayant plus personne à qui le donner, l’avait conservé en attendant des instructions du gouvernement et, comme le gouvernement avait cessé de s’intéresser à la chose, la presse n’ayant plus fait de tapage, M. Havard tout simplement avait gardé le corps du délit !

C’était désormais pour lui une relique qu’il montrait volontiers à ses amis, lorsque par hasard le chef de la Sûreté avait le loisir de recevoir à dîner.

Ce soir-là, M. Havard, contrairement à son habitude, était chez lui depuis trois heures.

Il avait absorbé vers six heures un frugal repas, avançant l’heure de son dîner, car il prévoyait des événements pour le reste de la soirée.

M. Havard, vers sept heures, entendit qu’on sonnait à la porte d’entrée et s’en alla ouvrir lui-même.

M. Havard, en allant ouvrir, ne doutait pas de se trouver en présence de Juve.

Juve à deux heures de l’après-midi lui avait annoncé sa visite pour le soir même, et lui avait confirmé les dispositions prises deux jours auparavant.

Effectivement c’était le policier qui se présentait.

Juve paraissait quelque peu troublé et son visage avait la crispation caractéristique des grands jours, des heures décisives.

Le policier serra la main du chef de la Sûreté puis, à la manière de quelqu’un qui connaît la disposition de l’appartement, il se rendit directement dans le cabinet de travail de M. Havard. Celui-ci l’y suivait.

Juve, sans proférer une parole, commença par se promener dans la pièce, les mains derrière le dos, considérant chaque angle du cabinet, chaque tenture, chaque meuble, avec minutie.

À un moment donné, s’étant arrêté devant un mur, auquel pendaient quelques tableaux, il heurta ce mur du doigt. Le mur rendit un son creux.

Juve se tourna vers M. Havard.

— Qu’y a-t-il de l’autre côté ?

— Un petit cabinet où je range de vieux vêtements.

Juve interrogeait toujours.

— Quel est le moyen le plus rapide pour passer de ce petit cabinet dans votre cabinet de travail ?

M. Havard se mit à sourire. Du doigt il montrait à son interlocuteur une petite porte basse dissimulée dans la boiserie et dont les contours épousaient la forme des moulures courant le long du mur.

— Ah parfait ! dit Juve.

Il ajoutait en souriant :

— Ces vieilles maisons comme la vôtre, monsieur le chef de la Sûreté, sont merveilleusement agencées, en vue d’une enquête policière !

« Contrairement à ce qui se passe dans les appartements modernes, il est impossible, lorsqu’on pénètre dans les vieux appartements, de deviner la disposition des pièces !

« C’est ainsi que je suis venu bien souvent chez vous, et que j’ignorais l’existence de ce petit cabinet !

M. Havard se mit à sourire.

— Je ne pouvais pas prévoir, Juve, qu’il aurait tant d’importance à vos yeux et je n’ai jamais songé à vous le faire visiter. Mais si vous m’en parlez aujourd’hui c’est que vous devez avoir à son sujet quelque idée de derrière la tête ?

— Effectivement, d’abord je voudrais m’assurer que quelqu’un caché dans ce cabinet peut, en prêtant l’oreille, entendre une conversation tenue ici.

— C’est facile à savoir, déclara M. Havard, passez dans ce cabinet, Juve, et je m’en vais proférer quelques paroles à haute voix de mon bureau…

Quelques secondes après, Juve sortait du petit local.

— De mieux en mieux ! dit-il.

Cependant, M. Havard considérait le policier d’un air un peu interloqué.

— M’expliquerez-vous maintenant pourquoi ce cabinet vous intéresse, et dans quel but vous faites ces expériences ?

— Je vous dirai cela tout à l’heure ! dit Juve, ce sera ma conclusion. Mais auparavant permettez que je vous fasse connaître le but de ma visite, que je vous explique pourquoi je vous ai demandé ce rendez-vous…

M. Havard interrompait :

— À mon tour, Juve, de vous demander pourquoi, il y a quarante-huit heures, vous m’avez fait retenir une voiture cellulaire en recommandant qu’elle vienne ce soir à neuf heures trente-cinq se ranger devant la porte de ma maison et qu’elle se tienne prête à partir pour la prison de la Santé sitôt qu’un prisonnier y aurait été amené ?

Juve souriait :

— Il me semble que c’est facile à comprendre, monsieur le chef de la Sûreté. J’ai pris mes précautions pour conduire quelqu’un en lieu sûr, j’ai agi avec prudence et perspicacité ! Voyons, je vous le demande, quand vous menez une femme au théâtre, ne vous précautionnez-vous pas d’une voiture de remise à l’avance pour la ramener ?

M. Havard éclatait de rire.

— Vous avez des comparaisons, Juve, vraiment inattendues ! Et peut-on savoir quel est le personnage qui doit jouer le rôle de la jolie femme, étant admis que le fourgon cellulaire représentera la voiture de remise ?

— Ceci, fit Juve, c’est encore mon secret ! Permettez-moi de ne point le dévoiler, vous le découvrirez vous-même… J’aime mieux cela. Mais à mon tour de vous poser une question. C’est bien ce soir, n’est-il pas vrai, monsieur Havard, que vous allez recevoir la visite de ce détective privé, M. Mix, dont la vive intelligence vous a séduit et dont les déclarations vous ont permis d’arrêter avant-hier ce malheureux Léon Drapier ?

— Léon Drapier, s’écriait le chef de la Sûreté, est un misérable qui nous a donné du fil à retordre, mais dont nous aurons raison quoiqu’il se renferme, depuis qu’il est bouclé, dans un mutisme absolu !

— Pardon ! fit Juve, là n’est pas la question ! Est-ce bien ce soir que doit venir ce Mix ?

— Vous le savez, Juve, fit M. Havard, je l’attends à huit heures, c’est-à-dire dans dix minutes.

— Bien, fit le policier, maintenant, monsieur Havard, permettez-moi de dégrader votre appartement !

— Ah çà, s’écria le chef de la Sûreté, qu’est-ce qui vous prend ?

Juve venait de sortir de sa poche une sorte de petit poinçon qu’il enfonçait dans la cloison séparant le cabinet de travail du petit cabinet noir qu’il était allé explorer. En l’espace de quelques instants, il avait fait un trou dans le mur, il souffla précautionneusement autour de l’orifice pour en faire disparaître les quelques brindilles de papier, de plâtre et de bois qui l’entouraient.

Puis, s’étant reculé pour juger de l’effet, il articula d’une voix joyeuse :

— Voilà du beau travail ! On n’y voit rien !

M. Havard était accoutumé aux excentricités du policier. Il grogna cependant, pour le principe :