Les cigarettes ayant été allumées, Juve reprit :
— Je commence par vous dire, monsieur Mix, que je ne crois pas à la culpabilité de Léon Drapier, pour cette bonne raison que cet homme riche et tranquille n’avait aucun motif pour commettre un assassinat et voler, ensuite, l’établissement dont il était le directeur !
— Pardon, fit Mix, peut-être était-il jaloux de ce Firmain qu’il croyait être l’amant de sa maîtresse ?
— Non ! fit Juve, il ne le connaissait pas et il ignorait, au moment du crime, que Firmain connût Paulette de Valmondois !
Mix insistait :
— M. Léon Drapier, cependant, était chez lui à l’heure du crime, et il a déclaré n’avoir rien entendu de ce qui s’est passé ! Ce qui paraît bien étrange.
— M. Drapier n’était pas chez lui ! rétorqua Juve, il était chez sa maîtresse, cette nuit-là, tout entière !
— C’est à prouver ! gronda Mix.
— C’est tout prouvé, déclara Juve, il a été vu par la concierge de la rue Blanche à l’heure précise où X… assassinait Firmain !
M. Mix tourna la tête, puis il articula :
— Vous parlez de la rue Blanche… Paulette de Valmondois y a reçu un coup de revolver… Qui donc a tiré avec ce revolver si ce n’est Léon Drapier ?
— Oh ! c’est bien simple, rétorqua Juve, ce n’est pas Léon Drapier, c’est X…
— Voyons, monsieur, fit le détective privé, parlons alors du vol, des vols si vous voulez bien. Il apparaît nettement que c’est Léon Drapier qui volait, dans les caves de l’hôtel des Monnaies, puisqu’on y a relevé ses traces.
— Cela ne prouve rien ! fit Juve, X…, le véritable voleur, s’est introduit à maintes reprises dans ces caves, mais il a eu soin, chaque fois, de faire disparaître les traces de son passage. Un voleur prend toujours ses précautions !… Un honnête homme laissera derrière lui les charges les plus accablantes, car il ne se méfie pas…
— Mais enfin, articula M. Mix, si vous croyez que Léon Drapier est innocent, qui donc soupçonnez-vous ?
Alors Juve, nettement, considérant son interlocuteur dans les yeux, déclara d’une voix brève et sèche :
— Qui je soupçonne ? toujours le même bandit ! toujours le même audacieux criminel, toujours le même monstre de cruauté et de duplicité ! Je soupçonne Fantômas d’être l’auteur de ces crimes et de ces vols !
Mix sursauta :
— Fantômas ! dites-vous ? Pourquoi Fantômas ?
— Parce que, déclara Juve, dans toute cette affaire, je reconnais la façon de procéder de Fantômas ; le sinistre bandit n’aime guère jouer à visage découvert !
« Pour détourner les soupçons il a l’habitude de compromettre un honnête homme et de faire tomber sur lui toutes les responsabilités.
— Dans les hypothèses formulées à l’heure actuelle, rien ne justifie l’attitude de Léon Drapier, accusé d’être le coupable… Rien n’explique pourquoi Léon Drapier se serait fait assassin…
« Mais, monsieur Mix, mêlez Fantômas à l’affaire, et vous verrez comme tout devient lumineux !
« Fantômas a besoin d’argent, il veut se procurer de grosses sommes et se dit qu’il va voler dans les caves de l’hôtel des Monnaies…
« La chose n’est pas facile… Il faut pour y parvenir avoir ses grandes et petites entrées dans la maison. Comment faire ?
« Fantômas ne va pas directement au but, car ses intentions seraient alors trop faciles à découvrir…
« Fantômas se dit qu’avant d’attaquer une place forte, il faut en connaître le point faible, tout au moins le point le plus accessible…
« Fantômas est en relations avec un certain individu d’une allure très louche et qui a été jadis valet de chambre ; il va l’employer…
« Précisément, le couple Drapier cherche un domestique. Fantômas fait embaucher son homme, Firmain… et, pour détourner les soupçons de cet homme, lui dit :
« “Tu m’ouvriras dans la nuit, afin que nous puissions cambrioler ensemble !”
« “D’accord !” répond Firmain. Le faux domestique entre dans la place, s’entend avec Fantômas et précisément, M. Drapier étant absent, Firmain ouvre à Fantômas !
« Fantômas ne vient pas là pour voler, mais pour compromettre Léon Drapier par une première aventure singulière. Que fait-il donc ? Il tue Firmain, dont il connaît la parenté avec Paulette de Valmondois !
« Enquêtes, comme vous le savez, découverte des faux certificats rédigés par Paulette… Je ne reviendrai pas sur ces faits ! Léon Drapier, furieux, se rend chez sa maîtresse et lui fait une scène violente.
« Paulette s’écarte un instant de son amant… Que se passe-t-il alors ? Fantômas, qui était dissimulé dans l’appartement, l’ajuste d’un coup de revolver, pour faire croire que c’est Léon Drapier qui vient de l’assassiner !
« La malheureuse femme ne meurt pas, Fantômas lui envoie son enfant lui porter des fleurs empoisonnées !
« Vous allez me dire, monsieur Mix : “Pourquoi tout cela ?” Je vous répondrai : pour compromettre Léon Drapier ! Pour que cet homme aux abois, terrifié à l’idée qu’un scandale va éclater, épouvanté en songeant que peut-être sa femme apprendra qu’il a une maîtresse, ne sache plus à quel saint se vouer… Qu’il finisse par confier la défense de son innocence au premier homme qui se présentera !
« Cet homme se présente !
« M. Mix, il arrive à point nommé !…
« Il dit à Léon Drapier, au moment où celui-ci est dans un état de dépression morale absolue : “Mon cher monsieur ! vous êtes perdu si je ne vous sauve pas !…”
« Cet homme, aidé de Léon Drapier, lui fait faire une quantité de bêtises qui, loin de l’innocenter, le compromettent !
« Drapier, toutefois, ne s’aperçoit de rien. Il a engagé ce personnage au nombre de ses collaborateurs les plus intimes, il l’introduit à la Monnaie. Ah ! c’est ce que voulait Fantômas !
« Vous m’avez compris, monsieur Mix ? Le protecteur de Léon Drapier et Fantômas ne font qu’un !
« Une fois Fantômas à la Monnaie, il vole ! Il se trouve que chacun des vols qu’il commet retombe sur Léon Drapier, et dans l’espèce Fantômas n’a pas trop mal agi, car les autorités policières les plus intelligentes se disent, non sans justesse :
« Parbleu, cet homme qui dérobe les trésors dont il a la garde et que nous avons déjà suspecté d’attitude bizarre lors des crimes commis dans son entourage est parfaitement capable d’être un voleur et un assassin… Il faut donc l’arrêter !
« Et c’est ce que l’on fait, monsieur Mix ! Toutefois, je dois vous dire que les plus subtils raisonnements risquent parfois de se désagréger à la moindre petite faute, le moindre petit incident !
« Certes, Fantômas est un homme habile ! Certes ! il est capable des combinaisons les plus machiavéliques, mais il ne faut pas qu’il oublie qu’il a sans cesse et toujours à ses trousses un adversaire irréductible et implacable ! Il ne faut pas que Fantômas oublie que moi, Juve, je suis toujours là !
Mais, à ce moment, M. Mix se redressait.
Et, d’une voix tonitruante, il hurla :
— Fantômas ne l’oublie pas, Juve ! et Fantômas n’a pas peur de vous !