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— Ma mère !… ma mère ! hurla Fandor…

Et le journaliste fonça vers le brasier.

Il n’avait fallu qu’un instant à Fantômas, en effet, pour commettre l’abominable forfait.

Fantômas, depuis de longs jours, s’était dit qu’assurément le rôle qu’il jouait lui craquerait dans les mains. Juve et Fandor, certainement, l’obligeraient à se démasquer.

Et c’était dans la pensée de cet inévitable événement que Fantômas avait pris ses précautions, qu’il avait inventé la ruse dernière de l’incendie.

Depuis de longs jours, Fantômas transportait mystérieusement dans les caves de la maisonnette des bidons de pétrole dont il aspergeait les murs. Il avait entassé un peu partout des provisions de ce terrible liquide. Il lui avait donc suffi de jeter une allumette pour que l’incendie s’allumât, comme il avait suffi de quelques secondes pour qu’il prît une intensité formidable.

Mais pourquoi Fantômas brûlait-il ainsi la maison de M me Rambert ? Pourquoi voulait-il la mort de cette pauvre femme, qui avait toujours été sa victime et qui ne pouvait pas être pour lui une ennemie dangereuse ?

Fantômas agissait-il par un simple besoin de cruauté, dans le simple désir de torturer Fandor ?

À la vérité, Fantômas avait cédé, en incendiant la maison, à de pressants motifs.

Une fois encore, en effet, il avait tranquillement raisonné, tranquillement réfléchi, tranquillement conclu ce qu’il importait de faire.

Le bandit connaissait en effet la ténacité de Juve et de Fandor. Il savait que ceux-ci ne lui laisseraient point la paix, que, lancés sur une piste, ils le poursuivraient sans trêve ni répit, s’il ne les forçait pas à s’occuper de tout autre chose.

Et Fantômas, qui peut-être à cet instant nourrissait un colossal dessein, peut-être méditait un crime effroyable, ourdissant une de ces intrigues ténébreuses dont il aimait à dénouer les fils, Fantômas, qui avait besoin de ne pas être talonné par Juve et par Fandor, inventait de mettre le feu à la maison de M me Rambert, en se disant :

— Assurément, ils perdront ma trace, ils s’occuperont de la morte, j’aurai le temps de disparaître !

Fantômas ne se trompait pas, en vérité. Dès la minute où il apercevait le terrible incendie, dès l’instant ou il prenait conscience du danger que courait sa mère, Jérôme Fandor cessait de s’acharner à la poursuite de Fantômas pour ne plus songer qu’au péril qui menaçait celle qu’il venait enfin de retrouver.

Fandor n’hésita pas.

Il fonçait vers le brasier comme il avait foncé sur Fantômas. Le vent projetait la fumée de son côté, il crut vite qu’il allait étouffer, asphyxié par l’atmosphère suffocante.

Mais qu’importait, grand Dieu, puisqu’il courait vers sa mère, puisqu’il s’agissait de sauver sa mère ?

Le jeune homme, traversant les flammes, sentant ses habits roussir sur lui, se brûlant aux pans de bois qui commençaient à s’écrouler, s’élançait bientôt à l’intérieur de la maison en flammes.

Des paysans déjà étaient accourus. Il y avait des cris, des hurlements.

Comme dans un rêve, Jérôme Fandor crut comprendre que toute une foule lui conseillait de ne pas entrer, hurlait dans une folie d’épouvante qu’il allait à la mort.

La lueur de l’incendie était aveuglante à l’intérieur de la maison. La chaleur qui y régnait eût suffi à faire l’air irrespirable.

Jérôme Fandor crut que sa poitrine était en feu. Chaque aspiration entraînait dans ses poumons des gaz asphyxiants et surchauffés ; un vertige commençait à faire tourner sa tête. Ses joues saignaient, il avait un bras horriblement brûlé. Il avança encore…

À ce moment, Jérôme Fandor n’agissait plus qu’à la manière d’un automate, incapable de raisonner et de réfléchir.

— La chambre est là, se disait-il, au fond du couloir, à droite…

Et, les mains en avant, comme s’il eût pu écarter les flammes et la fumée, il avançait.

Jérôme Fandor titubait bien vite. L’incendie semblait couler pour ainsi dire devant lui. Des bidons de pétrole, en effet, éclataient à la chaleur du feu et déversaient, du haut du premier étage, un véritable fleuve de flammes.

Il lui fallait traverser cela.

— Maman ! maman ! râla-t-il.

Mais il se jetait toujours en avant. Il atteignait la porte de la chambre de sa mère, cette porte où, quelques instants plus tôt, il avait eu avec Fantômas un scène si terrible.

Fandor, aux trois quarts asphyxié, mort presque, debout par un prodige d’énergie, ouvrit la porte qui flambait.

Une surprise devait lui être réservée.

La chambre de M me Rambert était peut-être le seul endroit de la maison qui ne fût pas encore tout à fait en feu. Comme la malade, en effet, n’avait pas quitté cette pièce depuis de longs jours, Fantômas n’avait pas pu y dissimuler du pétrole.

Fandor, en entrant, eut l’impression de trouver un peu d’air respirable ; il vit en même temps que sa mère était toujours là, qu’elle était à genoux sur son lit, qu’elle faisait de grands gestes, des gestes de démence, qu’elle riait !…

— Mon Dieu ! mon Dieu ! gémit Fandor.

Il ne sentait plus à ce moment ses brûlures terribles. L’incendie grondait… Il n’avait point conscience que les flammes s’attachaient sur ses pas, qu’elles entraient par la porte ouverte, que, trouvant des matériaux nouveaux, elles renouvelaient de vigueur… Il ne pensait point que la retraite lui serait coupée et qu’il ne sortirait pas vif de cet enfer !…

Jérôme Fandor ne pouvait imaginer rien d’autre que le danger couru par sa mère.

Épuisé, il retrouvait pourtant quelque peu d’énergie, une vaillance même, pour sauver celle qui lui était naturellement si chère.

Jérôme Fandor prit sa mère dans ses bras, il l’entourait dans une couverture pour la protéger de la chute des décombres. Puis, chargé de ce fardeau précieux, n’ayant pas dit un mot, entendant toujours rire d’un rire étrange et démoniaque celle qu’il emportait, il revint en arrière, voulut sortir de la maison.

Jérôme Fandor avait fait un prodige en se frayant un passage à travers l’incendie jusqu’à la chambre de sa mère, et c’était en réalité un miracle qu’il essayait en tentant de quitter cette chambre, et de s’évader des flammes.

Désormais, la maison s’écroulait tout entière.

Les murs s’affaissaient les uns contre les autres, des poutres de fer tordues par la flamme, rougies à blanc, s’écroulaient en un enchevêtrement inextricable.

Il n’y avait plus un coin de la bâtisse qui ne fût en flammes.

Jérôme Fandor, pourtant, avança.

Il se jetait en avant, comme un soldat se jette à l’assaut. Les flammes lui faisaient l’effet d’être de véritables ennemies, il luttait avec elles corps à corps.

Il parut au journaliste qu’il restait une heure dans cette géhenne, il lui fallait en réalité trois minutes au moins pour traverser la maison, se rapprocher de la porte. Déjà, il entrevoyait le salon, déjà il se croyait sauf, lorsqu’un coup violent le heurtait à l’épaule, le renversait.

Jérôme Fandor ne lâcha point sa mère, mais il s’écroula comme une masse, il sentit qu’il était écrasé entre le dallage surchauffé du vestibule et quelque énorme morceau de ferraille que les flammes léchaient encore…

— Mais, fichtre de nom d’un chien ! Juve, vous êtes assommant, il n’y a pas moyen de causer avec vous !… Si maintenant, chaque fois que j’ouvre la bouche, vous fichez le camp sans vouloir me renseigner, j’aime autant que vous me plaquiez ici !