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Il s’était fait préciser les détails du crime par le commissaire de police, il avait noté la position dans laquelle on avait retrouvé le mort dans le cabinet de travail de M. Drapier et, bien qu’il se trouvât pour la première fois dans cette pièce, dont la disposition des meubles avait été changée, il se rendait parfaitement compte de l’endroit exact où était tombé le cadavre.

Il y avait, recouvrant le tapis qui était étendu sur le plancher, de petits tapis en peau de chèvre, disposés çà et là. Juve, qui ne s’était pas assis, malgré l’invitation de M. Drapier, alla soudain près d’un petit guéridon, enleva le petit tapis qui était à sa base, et découvrit alors une tache brunâtre, qu’il considéra quelques instants.

— C’est là, n’est-ce pas, monsieur, fit-il, que s’est produit l’épanchement de sang ?

Drapier paraissait étonné mais voulut n’en rien montrer, et se contenta de répondre :

— En effet, monsieur !

Juve, d’ailleurs, n’attendait pas d’approbation.

Il avait sorti de sa poche un mètre et un morceau de craie et sur le tapis il traçait quelques lignes, sans souci de faire des saletés.

— Oui, continua-t-il, comme s’il se parlait à lui-même, il avait les pieds tout près de la cheminée, et s’il est tombé de côté, c’est parce qu’en s’effondrant sa tête est venue heurter le bureau de travail et qu’elle a rebondi en avant…

« Voilà, d’ailleurs, la trace bien nette de ce choc…

Juve appuyait le doigt sur l’angle du bureau empire de M. Drapier, et le directeur de la Monnaie, machinalement, regardait. Il remarquait en effet une légère écorchure au vernis du panneau.

Juve, alors, se dirigea du côté de la fenêtre et, de la façon la plus indifférente, demanda à M. Drapier :

— Voulez-vous avoir l’obligeance de m’ouvrir cette fenêtre ?

Léon Drapier obéissait sans comprendre.

Juve s’éloignait.

— Restez là, dit-il à Drapier qui voulait faire comme lui.

Le directeur de la Monnaie obéit.

— Merci ! lui cria le policier du milieu de la pièce ; maintenant, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, ayez donc l’obligeance de fermer cette fenêtre, car il me semble qu’il ne fait pas très chaud !

Ces paroles simples, qui semblaient cependant dissimuler un projet mystérieux, étonnaient profondément le directeur de la Monnaie…

Léon Drapier, toutefois, n’osait rien dire ; il savait que Juve, dont la réputation était mondiale, passait pour un original et qu’il aurait été d’une mauvaise politique de le contrarier.

Après avoir ouvert la fenêtre, Léon Drapier la referma donc ; or, comme il tournait l’espagnolette, la voix de Juve retentit à nouveau.

Elle était toute changée, elle se faisait désormais aimable, cordiale ; Juve, du milieu de la pièce, appelait Léon Drapier et lui disait :

— Et maintenant, monsieur, voulez-vous que nous causions ?

— Certainement ! articula Léon Drapier.

Juve l’invitait aimablement.

— Prenez donc la peine de vous asseoir !

Machinalement, Léon Drapier obéissait et s’installait dans un fauteuil, constatant que Juve avait, sans la moindre vergogne, pris sa propre place devant son bureau.

— Ce policier, pensa-t-il, manque d’éducation ; il m’invite à m’asseoir chez moi, alors que ce devrait être le contraire, et il s’installe à la place où j’ai l’habitude de me mettre !

Mais Léon Drapier rougit soudainement ; Juve, en effet, qui avait parfaitement lu dans ses yeux sa pensée, lui répondait d’un air ironique :

— J’ai l’air mal élevé comme cela, mais au fond, je le suis moins que je n’en ai l’air ! Et si j’ai pris votre place, monsieur le directeur, c’est parce qu’au fond je suis un maniaque ! Vous m’en excuserez !

Léon Drapier ne savait que répondre…

Juve, d’ailleurs, ne laissait pas tomber la conversation.

— Vous devez être fort occupé, monsieur Drapier, déclarait-il, en votre qualité de directeur de la Monnaie ? C’est là une situation très importante et qui comporte d’extrêmes responsabilités ; toutefois, j’imagine que la direction de cette usine d’un caractère si spécial… doit être fort attrayante…

— Mais certainement, monsieur, répliquait Drapier, qui s’imaginait peu qu’on allait le questionner sur ses occupations.

Juve, toutefois, poursuivait :

— Vous êtes en somme une personnalité dans le monde des fonctionnaires, et vous devez sans cesse être sollicité pour des recommandations ; si j’en juge par l’importance de votre appartement, non seulement vous êtes riche, monsieur Drapier, mais encore vous devez beaucoup recevoir ?

— C’est-à-dire, fit Drapier, que pendant la saison nous voyons quelques amis, mais ma femme est très sédentaire…

— Je sais, oui, elle sort rarement !

— Pour ainsi dire jamais ! poursuivit Drapier.

— Ce n’est pas comme vous, sourit aimablement Juve, vous appréciez la vie parisienne, charmante, d’ailleurs. Les restaurants élégants ont l’honneur de vous compter au nombre de leurs clients ?

Interloqué, Drapier interrogea :

— Mais comment savez-vous cela ?

— Parce que c’est de notoriété publique, monsieur Drapier, sans doute !

— Vous m’étonnez, fit le directeur de la Monnaie. Je ne dis pas que je ne vais pas quelquefois au restaurant, mais on ne m’y connaît pas sous mon nom et bien peu de gens peuvent m’y voir…

— C’est juste ! fit Juve. J’imagine en effet que si vous allez dans les restaurants parisiens, vous y dînez dans les cabinets particuliers !

— Pardon, monsieur, interrompit Drapier, il me semble que ce sont là des questions d’un ordre tout à fait privé et qui ne concernent guère l’enquête que vous êtes venu faire à mon domicile ?

Juve protestait d’un geste de la main.

— Excusez-moi, monsieur Drapier, en effet, notre conversation s’est égarée à mon insu, nous bavardions agréablement, j’oubliais mon rôle.

« Voyons, je redeviens l’inspecteur de la Sûreté, monsieur Drapier ; veuillez me raconter les circonstances dans lesquelles le drame découvert chez vous est survenu.

« Mais avant que vous ne commenciez, monsieur Drapier, je dois vous dire que j’ai lu votre déposition au commissariat de police, et que si vous n’avez rien d’autre à y ajouter, il est inutile de me répéter les faits que je connais !

— Je n’ai rien d’autre à dire, en effet, monsieur Juve… Mais pardon, que faites-vous ?…

Drapier considérait à ce moment le policier non sans stupéfaction.

Juve, en effet, se livrait à une étrange besogne.

Juve, tout en bavardant avec M. Drapier, avait sorti de sa poche un petit trousseau de clefs, il les essayait les unes après les autres, puis, ayant fini par en découvrir une qui ouvrait l’un des tiroirs, il fouillait dans ce tiroir, en sortait des papiers, que, sans la moindre vergogne, il se mettait à lire.

— Voyez, déclara-t-il très simplement à M. Drapier, sans paraître se rendre compte de l’incorrection qu’il commettait, voyez, monsieur, comme le hasard sert souvent la police !

« Je venais chez vous dans l’intention de vous demander à voir les certificats qui vous ont décidé à engager ce malheureux valet de chambre !

« Or, voici que sans vous occasionner le moindre dérangement, je trouve ces certificats dans votre bureau. Vous me permettez, n’est-il pas vrai, de les emporter ?