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Encore une fois Firmain s’éclipsait, les deux époux se considérèrent quelques instants, sans rien dire.

— Eh bien ? fit Drapier, il m’a l’air très bien ce domestique.

Sa femme hochait la tête.

— Il est très bien… certainement ! Au début il ne me plaisait pas beaucoup malgré ses bons certificats, or voici que maintenant je me rends compte que c’est un garçon intelligent et que je vais m’y attacher. Nous en ferons quelque chose, j’en suis sûre, c’est si rare d’avoir de bons domestiques… Enfin, je suis heureuse qu’il te plaise.

Drapier protesta :

— Je n’ai pas dit ça du tout ! Et, tiens, c’est même tout le contraire ! Loin de me plaire, il me déplaît, ce garçon-là, avec son air d’être très à son aise ici, avec sa façon de tout connaître avant qu’on lui ait rien montré… Je suis certain que ce gaillard-là doit avoir de lui une opinion excellente et qu’il ne tardera pas à devenir insupportable !

— Enfin, protesta M me Drapier, tu ne vas pas le juger avant de l’avoir vu à l’œuvre. Si c’était toi qui t’occupais des domestiques…

— C’est bien, fit Drapier, on verra ! En attendant passons à table, veux-tu ?

Le quart d’heure s’était écoulé et, ponctuel comme un chronomètre, Firmain, le valet de chambre, s’était trouvé à point nommé dans la salle à manger pour annoncer : « Madame est servie ! » au moment précis où monsieur Drapier manifestait l’intention d’aller se mettre à table.

Même, encore une fois, M me Drapier avait poussé un cri de surprise, car elle ne s’attendait en aucune façon à ce que son domestique fût déjà là, au moment où elle passait du salon dans la salle à manger.

Le dîner était hâtivement expédié, encore qu’il fût servi selon un protocole rigoureux, nécessitant la présence du valet de chambre, dans la salle à manger, tandis que ses maîtres dînaient.

Enfin, vers huit heures et demie, M. et M me Drapier passaient dans le salon et dès lors, en prenant leur café, recommençaient à discuter sur les qualités et défauts du personnage qui, ce soir-là, captait leur attention, de ce nouveau domestique que l’on venait d’engager.

À la cuisine cependant, Caroline, la vieille cuisinière, avait attendu pendant dix minutes que le valet de chambre revînt de la salle à manger pour se mettre à dîner.

Elle ne le vit point venir, elle attendit encore quelques instants, puis, impatiente, ayant faim, désireuse également d’aller se coucher, elle suivit le couloir du service qui conduisait de la cuisine à la galerie et s’en vint à pas de loup dans cette dernière pour voir ce que devenait le domestique.

Elle l’aperçut l’oreille collée au trou de la serrure de la porte qui donnait sur le salon.

— Eh bien, grommela-t-elle, en voilà un qui n’est pas curieux, par exemple !

Et elle lui toucha du doigt l’épaule.

Firmain tressaillit. Voyant la cuisinière, il eut une expression farouche qui épouvanta la vieille femme.

— Il n’a pas l’air aimable, ce garçon ! pensa-t-elle. Puis c’est des drôles de manières que d’écouter aux portes. Enfin ça ne me regarde pas !

Au surplus Caroline connaissait mal Firmain et, bien qu’il y eût entre eux, une grande différence d’âge, elle ne pouvait guère lui faire d’observations.

— Je vous cherchais, disait-elle, c’est l’heure de manger, voulez-vous ?

Caroline repartait pour la cuisine, Firmain la suivit.

Installés l’un en face de l’autre, ils absorbèrent en silence du potage à peu près froid, tandis que la cuisinière s’en allait remettre sur le fourneau le plat de viande à moitié consommé par les maîtres et dont la sauce était figée.

En attendant qu’il fût réchauffé, les deux domestiques engagèrent la conversation.

— Alors, demanda Caroline, comme ça, vous venez de province ?

Le valet de chambre eut un air énigmatique, il considéra la vieille bonne, puis d’une voix légèrement grasse et éraillée, presque faubourienne, il répliqua :

— J’en arrive, en effet !

Caroline Continuait :

— Vous allez vous plaire à Paris… Il y a du mouvement, de l’entrain, quoique dans notre quartier ce soit bien tranquille. On n’est pas gêné par le tapage…

— Oui, reconnut Firmain, les murs sont épais dans les maisons…

Caroline avait toutefois un petit sourire ironique à l’adresse du valet de chambre.

— Les portes aussi ! Mais heureusement qu’il y a le trou des serrures, par lequel, en y collant son oreille, on peut entendre ce qui se passe à côté, hein ?…

Le domestique prit un air vexé.

— C’est pas des choses qu’il est nécessaire d’aller répéter aux patrons ! Quand j’écoute comme cela, de temps en temps, c’est par curiosité, c’est histoire de savoir ce qu’on pense de moi. Un homme averti en vaut deux !

— Vous n’avez pas tort, fit Caroline, après tout, moi, pour mon compte, je sais bien que ça me gênerait d’aller ainsi les espionner, mais chacun fait comme il veut !

Après un silence elle demanda :

— Ont-ils parlé de moi ?

— Non ! déclara Firmain, mais de moi. Ils sont épatés, que j’aie de bons certificats… Ça les embête que je m’appelle Firmain… Ils se demandent s’ils ne vont pas m’obliger à répondre au nom de Charles, et enfin il est question de m’acheter des vêtements neufs… Mais ça finira probablement par le rafistolage de ceux que portait le précédent valet de chambre.

Un coup de sonnette impérieux retentit, qui interrompit le dîner des serviteurs.

— Allez voir, fit la cuisinière, c’est pour vous, voyez le tableau : c’est le patron qui sonne !

Et elle concluait :

— Moi, j’ai bien assez de m’occuper du service de la femme de chambre qui est malade en ce moment !

Firmain, cependant, était allé prendre les ordres de ses maîtres. Il revint au bout d’un quart d’heure.

Le domestique avait l’air tout guilleret, il but d’un trait le café bouillant que la cuisinière avait préparé dans un verre, puis lui souhaita le bonsoir.

— Vous avez votre clé ? demanda Caroline. Vous savez où est votre chambre ?

— Mais oui ! s’écria Firmain. Je connais la tôle ! N’ayez pas peur !

— À quelle heure qu’on vous a dit de descendre ?

— Pour sept heures du matin.

— Eh bien, alors, bonsoir !

Le domestique cependant montait rapidement dans sa chambre, au septième.

Mais il ne s’y installait pas, et loin de se disposer à se coucher, s’il enlevait son gilet rayé jaune, c’était pour y substituer un gilet ordinaire, sur lequel il revêtait un veston.

Firmain se coiffa d’une casquette, puis, ayant allumé une cigarette, il descendit par l’escalier de service.

Il était environ dix heures du soir. Comme l’avait dit Caroline la cuisinière, le quartier était tranquille.

Quelques rares voitures passaient… La plupart des lumières aux fenêtres étaient éteintes, et s’il y avait quelques personnes sur le trottoir, c’était surtout des domestiques, des collègues de Firmain qui promenaient des chiens ou alors venaient à des rendez-vous d’amour !