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Combien d’agents étaient tombés victimes du devoir !

Combien d’inspecteurs de la Sûreté avaient été retrouvés quelquefois, la poitrine trouée d’un coup de couteau, sans que nul pût se douter de la cause de leur mort !

À coup sûr, les Grouilleurs devaient être pour beaucoup dans ces forfaits !

Ces hommes, que leur repaire insoupçonné faisaient en quelque sorte inattaquables, devaient tout oser. Ils devaient surtout tuer, tuer pour le plaisir de tuer, affolés de colère lorsque le hasard les amenait à rencontrer un agent.

Juve, toutefois, devait répondre et répondre vite à la question du chef.

Or le policier était avant tout un curieux des mœurs d’apaches. Il lui semblait très amusant de confier un dépôt au chef des Grouilleurs. Il voulait savoir si ce dépôt serait réellement et scrupuleusement gardé. Juve prit dans sa poche son portefeuille ; il avait heureusement sur lui une grosse enveloppe bourrée de papiers sans importance et dont le poids et les dimensions permettaient d’affirmer qu’il s’agissait de billets de banque.

Juve pris cette enveloppe et la cacheta.

— Tu as raison, dit-il, prends, chef ! Si je ne suis pas mort, tu me rendras cela. Au cas contraire, tu le garderas.

Le vieillard prit l’enveloppe et la serra dans sa propre poche.

— C’est bon ! dit-il, va maintenant !

Juve, à cet instant, se demandait de quelle façon les Grouilleurs allaient rejoindre les berges.

Assurément, ils ne voudraient pas sortir par la porte de l’Enfer par laquelle était entré Juve. Cela eût attiré l’attention, cela eût pu les compromettre.

Le fils du chef, d’ailleurs, à la tête des cinq compagnons qui s’étaient rangés derrière lui et précédant Juve, se dirigeait d’un côté tout opposé. Il marchait vers le fond du souterrain.

Juve, à cet instant, réfléchissait encore.

Qu’allait-il faire ? Que devait-il faire ?

Le policier se sentait cruellement embarrassé.

Son devoir était peut-être de se jeter sur le fils du chef dès qu’il serait sorti de l’Enfer, son devoir de policier était peut-être d’aider les agents qui combattaient, de leur indiquer le repaire des bandits, de les faire capturer ?

C’était là son devoir de policier, oui, mais où était son devoir d’homme ?

Et Juve, subitement, se trouva embarrassé.

Il était allé chez les Grouilleurs pour leur demander asile ; il était entré dans l’Enfer alors qu’il fuyait la police, alors qu’on le poursuivait.

Dans l’Enfer, il s’était présenté sous le nom de Job Askings. On l’avait reçu, on l’avait accueilli, on l’avait sauvé…

Juve pouvait-il, désormais, honnêtement, livrer ces gens ?

— Non ! non et non ! se déclara le policier.

Il ne voulait pourtant pas, l’excellent Juve, rester du côté des misérables et faire avec eux le coup de feu contre les agents !

Il ne voulait même pas, par sa présence, sembler pactiser avec ces gens qui étaient, après tout, des assassins.

Et Juve, brusquement, prit son parti.

— Une fois sur la berge, décidait-il, je m’enfuirai, je les laisserai se débrouiller, je ne puis que cela pour eux, mais cela je le puis et je le dois !…

La petite troupe cependant, après avoir longé le souterrain, tournait à droite dans une galerie dont Juve reconnaissait évidemment la destination. Il s’agissait très certainement d’un égout encore, d’un égout que la ville avait depuis longtemps abandonné et qui devait longer les quais.

Comment allait-on en sortir ?

Juve fut rapidement documenté. Ses compagnons s’arrêtaient en effet devant de grossiers crampons de fer qui montaient le long d’un puits.

— Attention ! lui souffla l’un d’eux. Au-dessus de notre tête, il y a tout juste une grosse trappe qui est cadenassée et à laquelle personne ne prête attention. C’est une plaque de fonte qui pèse fort lourd. Le chef seul en a la clé. Il va la soulever, et nous allons nous glisser dehors. Compagnon, il faudra faire vite, car il ne faut pas que personne puisse jamais se douter de l’importance de cette plaque d’égout !

Juve le comprenait fort bien et se hâtait en effet de se couler hors du puits à la suite de ses compagnons.

Le temps avait changé cependant.

Cependant que Juve, avec bonheur, respirait à pleins poumons de larges bouffées d’air pur, il notait que la pluie cinglait avec force, que le vent sifflait par rafales.

C’était d’ailleurs une nuit d’horreur, une nuit tragique d’épouvante.

À peine sorti du trou, à peine échappé de l’Enfer, Juve entendait brusquement la fusillade crépiter autour de lui.

Qui se battait et qui tirait ? De quel côté était la police, de quel côté étaient ses adversaires ?

Juve, d’abord, ne put pas le savoir.

Les berges étaient complètement noires ; des balles perdues avaient brisé les réverbères qui longent les quais et l’on devinait avec peine, parmi les amoncellements de matériaux disposés près des péniches, le passage furtif d’ombres rapides.

Était-ce des amis ou des ennemis ?

Par moments seulement de vives lueurs éclataient. Une détonation retentissait alors, un coup de feu venait d’être tiré. Qui tombait, si quelqu’un tombait ?

Interdit, Juve venait d’imiter la manœuvre de ses compagnons. Il s’était jeté à plat ventre, il écoutait.

Le fils du chef des Grouilleurs se retourna vers lui.

— Job Askings, disait-il, l’affaire a l’air bougrement grave. La police est à droite, et nous autres nous devons aller à gauche.

— Comment le sais-tu ? demanda Juve.

Mais, à cette simple question, le jeune homme haussait les épaules.

— Si tu n’étais pas anglais, déclarait-il à Juve, tu ne me demanderais pas quelque chose d’aussi simple ! Les frères qui s’battent là-bas ont tous des cartouches de la Ruisselance. Elles ne claquent pas comme les autres, on ne peut pas s’y tromper. Les nôtres sont à gauche, je l’entends rien qu’au bruit des rigolos…

Le jeune homme se retournait vers ses compagnons, il commandait à voix basse :

— Vite ! Allons !

À ce moment, Juve, les voyant partir en rampant dans la direction des combattants qui se trouvaient sur la gauche, éprouvait une violente envie de se glisser vers la droite.

Fidèle à sa résolution, en effet, le bon Juve n’avait qu’une idée, rejoindre les agents, trouver un prétexte, s’enfuir, ne pas prendre part à une lutte où ses sentiments chevaleresques lui interdisaient de figurer.

Or, à cet instant, Juve cependant se glissait furtivement vers la gauche.

Pourquoi donc ?

Juve rampait sur le sol. Il s’écorchait les mains et les genoux. Il se meurtrissait le visage. Qu’importe ? Tenant son browning d’une main, prêt à faire feu si d’aventure il était en danger, s’il devait défendre sa vie, Juve, s’écartant de la police, allait vers les apaches, frissonnant à la pensée que c’était peut-être une balle d’ordonnance qui allait, d’un instant à l’autre, le frapper…

Juve n’agissait pas au hasard, Juve ne perdait nullement la tête et faisait volontairement ce qu’il faisait.

Juve n’allait pas faire le coup de feu contre la police, et Juve n’avait pas non plus l’intention de trahir les misérables dont il était, après tout, l’obligé.