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Non ! Ce qui poussait Juve à la suite des Grouilleurs qui couraient à la bataille, c’était seulement la curiosité, une curiosité ardente, formidable, une curiosité qui le faisait haleter.

Ils étaient sortis sept en effet de l’égout. Ils étaient sortis six Grouilleurs et Juve…

Or, depuis qu’ils rampaient tous dans la direction de la bande qui livrait une véritable bataille à la police, Juve comptait sept corps étendus sur le sol, sept corps qui, péniblement, se faufilaient, gagnaient du terrain au risque d’être découverts, au risque d’être fusillés par les agents aussi bien que par les misérables, car aucun des deux partis ne pouvait les reconnaître.

Quel était donc le septième personnage qui venait de rejoindre la bande ?

Quelle était l’ombre qui était sortie de l’ombre, qui se mêlait à eux ?

Et Juve, merveilleux de sang-froid, superbe de présence d’esprit, se disait à ce moment :

— Ce septième individu qui vient de se joindre à nous devait être embusqué tout près de l’entrée de l’Enfer. Il ne devait pas prendre part à la bataille. Il a dû assister à notre arrivée ! Mon Dieu ! Ce serait à croire qu’il espionnait les Grouilleurs !

Juve, en vérité, pouvait penser ainsi.

Il se passait, en effet, dans la petite bande, quelque chose d’extraordinaire, de surprenant, de mystérieux. Tandis que les six compagnons rampaient sur le sol, leur septième camarade, Juve le reconnaissait parfaitement, manœuvrait de telle façon qu’il frôlait les Grouilleurs, l’un après l’autre.

Il rompait alors quelques instants auprès d’un des hommes, puis il se laissait distancer, il en rejoignait un autre.

Juve continuait à l’observer.

— Du diable si je sais ce que cela signifie ! pensa-t-il. Cet homme n’est pas, cependant, ne peut pas être un agent ! S’il voit les autres, les autres doivent le voir aussi ; aucun d’eux très certainement n’hésiterait à le poignarder !…

Et ce fut Juve alors qui manœuvra à son tour pour se rapprocher de l’inconnu.

Juve, dédaignant la menace des balles qui sifflaient toujours de tous côtés, Juve, n’écoutant même pas les clameurs de rage qui, par moments, montaient vers le ciel noir, Juve, insensible au spectacle étrange qui l’entourait, oubliant cette bataille que des hommes se livraient dans l’ombre, Juve, sans peur, sans inquiétude, curieux seulement, pressentant un mystère et voulant coûte que coûte en avoir la solution, se relevait avec précaution.

À genoux maintenant, car il cessait de ramper, Juve avança jusqu’à l’inconnu. Celui-ci d’ailleurs paraissait l’attendre. Les deux hommes furent côte à côte.

La nuit toutefois était si noire que Juve, pendant quelques secondes, cherchait en vain à deviner les traits de ce rôdeur qui devait l’examiner lui aussi.

Et c’était une chose brusque, soudaine. L’homme, brusquement, faisait un geste ; il tenait un browning, il tira un coup de feu au hasard, en l’air, si près de la figure de Juve que celui-ci fut brûlé par la poudre.

Le coup de feu, toutefois, avait pour une seconde projeté une vive lueur. C’était comme un éclair de lumière qui trouait l’obscurité de la nuit.

Et, encore que Juve ne se fût pas attendu à cette clarté soudaine, elle lui suffisait pour voir, pour comprendre quel était le personnage qui le frôlait.

Deux cris, deux exclamations, furent poussées…

Et c’étaient deux noms, deux noms surprenants à entendre qui résonnaient dans la nuit !

Le policier avait crié :

— Fantômas !…

Une voix lui avait répondu :

— Juve !…

Et Juve, certes, était assuré de ne pas se tromper. À la lueur fulgurante du coup de feu, il avait vu, nettement vu quel était le septième individu qui s’était ainsi mystérieusement joint à la bande. Cet individu, c’était Fantômas !… C’était le Maître de l’effroi, le Roi de l’épouvante, c’était le Génie du crime !…

Alors une colère folle, une rage indicible, une fureur insensée s’empara de Juve.

Une fois encore, il était en face du misérable que depuis tant d’années il s’acharnait à poursuivre ! Ah ! la lutte allait être terrible, sans pitié, sans merci !

Juve bondit en avant. Il voulait se jeter sur Fantômas, l’empoigner à la gorge, l’étrangler…

Juve, qui, d’ordinaire, était toujours maître de lui, perdait la tête et, grisé peut-être par l’odeur de la poudre, voyait rouge, voulait tuer…

— Fantômas ! Défends-toi !…

Juve avait fait un bond. Il s’élançait sur le bandit, il croyait le tenir déjà, mais il ne rencontrait que le vide.

Fantômas s’était jeté de côté. Le misérable, en même temps, tirait. Juve sentit une vive douleur à l’oreille. Fantômas l’avait visé au front, et sa main peut-être avait tremblé, sa balle avait seulement écorché le policier.

À ce moment, d’ailleurs, et tandis que Juve, emporté par son élan, allait buter dans un tas de matériaux contre lesquels il roulait, des cris s’élevaient de toutes parts.

Les Grouilleurs, stupéfiés, s’étaient brusquement redressés eux aussi. La voix de Fantômas appelait :

— À moi !… À moi !… Tirez donc, c’est Juve !

Et le policier, cependant, entendant cette clameur, ne bougeait plus. Tapi sur lui-même, ramassé, prêt à bondir, Juve écarquillait les yeux, s’efforçait de percer l’obscurité.

Où était Fantômas ?

Où étaient les Grouilleurs ?

Juve entendit ceux-ci qui répétaient :

— Juve est là ? Allons donc ! Tu te moques de nous, Fantômas !

— Non, ripostait le bandit. Il était là, il s’est mêlé à vous à la sortie de l’Enfer !

À ce moment, Juve se prit à sourire. Malgré l’effroyable danger qu’il courait, il ne pouvait s’empêcher de s’amuser de l’erreur où était Fantômas. Ainsi donc, celui-ci imaginait que Juve avait épié les Grouilleurs à l’instant où ils surgissaient sur les berges !

Il ne savait pas que Juve sortait de l’Enfer !

Et le policier, qui déjà songeait à tirer parti de la situation, s’applaudissait de cette erreur.

— Très bien ! très bien ! pensait-il. Il ne faut pas que Fantômas se doute de la vérité !

Juve, à ce moment d’ailleurs, éprouvait brusquement une extraordinaire émotion.

— Ah ça ! mais n’y avait-il pas un rapprochement à faire entre les extraordinaires habitants de l’Enfer, entre les Grouilleurs qui fréquentaient les égouts et les larves qui jadis, au moment des affaires du Japisme, avaient si fort épouvanté Paris ?

Juve, alors, avait multiplié les enquêtes pour savoir ce qu’il était advenu du terrifiant royaume des ténèbres que Fantômas avait fondé à cette époque. Il n’en avait jamais eu de nouvelles. Les complices de Fantômas avaient ou semblaient avoir disparu. Les Grouilleurs n’étaient-ils pas leurs successeurs ?

Ce n’était pourtant pas le moment de réfléchir, et Juve, d’ailleurs, ne mettait qu’une seconde à peine à penser à toutes ces choses.

Fantômas était à deux pas de lui ! Il était là dans l’ombre, à la merci de ses coups, si d’aventure il pouvait l’apercevoir.

Cela affolait Juve au point que, marchant au hasard, étendant le bras, il s’avança.

— Fantômas !… Fantômas ! criait le policier. Si tu n’es pas un lâche, viens t’attaquer à moi !

Mais à ce moment, et comme Juve s’attendait à ce que le Maître de l’épouvante bondît contre lui, comme il était prêt à supporter son assaut, Juve se sentit soudainement saisi par des mains vigoureuses qui l’immobilisaient, le ligotaient, l’emportaient comme un paquet.