— Sûrement, il est de bonne prise ! disait une voix.
— Parbleu ! en répondait une autre. J’ai cru entendre qu’il appelait Fantômas à l’aide !
Un troisième personnage ajouta :
— C’est peut-être l’homme qui était à la Monnaie.
Et Juve alors se rassura.
Cette dernière voix qui venait de parler, il l’avait parfaitement reconnue. C’était la voix du policier Mix !
Juve, certainement, venait d’être fait prisonnier, mais il avait été fait prisonnier par les policiers, cela vraiment n’était pas bien grave !
Juve, s’étant rassuré en reconnaissant la nature et le caractère de ceux qui l’emportaient, se gardait de protester. Instinctivement même, l’excellent policier se félicitait à cette minute des aventures qui survenaient et du caractère qu’elles présentaient.
— Après tout, se disait Juve, puisqu’il ne m’a pas été permis d’arrêter Fantômas, puisque le monstre s’est échappé à la faveur de l’obscurité, puisqu’il a profité de la nuit pour s’enfuir, j’aime autant être prisonnier de la police que libre ! Cela coupe court à mes scrupules de conscience. En ce moment, je ne peux rien faire, et par conséquent je n’ai pas à me mettre martel en tête sur la conduite que je dois tenir !
Juve ne se débattait donc pas. Sagement, il se laissait bousculer, pestant seulement en lui-même contre la façon un peu brusque dont on le transportait.
On l’avait pris par les pieds et par les épaules, on le secouait pas mal, et cette façon de voyager n’avait rien de particulièrement agréable.
La fusillade, d’ailleurs, continuait. Elle semblait toutefois diminuer d’intensité, les coups de feu devenaient de plus en plus rares.
— Fantômas, peut-être, songea Juve, s’occupe à rallier ses hommes… Il les oblige à faire retraite, il les fait reculer !
Et, en disant cela, en le pensant plutôt, car Juve n’articulait pas une parole, le policier ne pouvait s’empêcher de sourire d’un sourire mystérieux.
Juve, en effet, pendant qu’on le transportait et alors qu’on le brutalisait tant soit peu, paraissait véritablement heureux, enchanté au possible.
— Il me semble que je comprends, disait-il, que je comprends bien des choses…
Ces réflexions, toutefois, étaient fort brusquement interrompues. À côté de lui, une voix venait de murmurer :
— Derrière ce tas de briques, nous sommes à l’abri des balles. Déposez le prisonnier à terre, il faut l’interroger !
À l’instant même, ceux qui transportaient Juve ouvrirent les mains. Le policier se sentit choir sur le sol rudement, il poussa, malgré son bâillon, un grognement de colère.
— Doucement, nom d’un chien !
Or, à cet instant, un inspecteur tirait de sa poche une lampe électrique, qu’il allumait. Juve ne pouvait pas voir les traits de l’individu, car on l’avait bâillonné avec une pèlerine enroulée autour de sa tête, une pèlerine analogue à celle dont se servent les agents cyclistes. Il entendit des exclamations surprises :
— Qui diable peut être ce coco-là ?
La voix de Mix, en même temps, s’informa :
— En tout cas, messieurs les agents, il doit être de bonne prise !
À cet instant, Juve pensait :
— Décidément, ce Mix est très fort !… C’est probablement lui qui a guidé les braves individus qui doivent s’emparer de moi ! C’est lui qui a osé tenter ma capture ! Allons, je le féliciterai à l’occasion…
Mais, chose curieuse, tandis que Juve pensait ainsi, il souriait un peu narquoisement sous le bandeau qui l’étouffait.
Juve, une fois encore d’ailleurs, n’avait guère le temps de réfléchir longuement. Comme si sa capture avait été l’occasion d’une trêve, et d’une trêve de courte durée, la fusillade crépitait de plus belle désormais.
— Décidément, c’est un véritable combat ! songea le policier.
Il entendit au même instant, à côté de lui, une voix qui commandait furieusement :
— Il faut en finir, nom d’un chien ! Voilà plus de vingt minutes que nous tiraillons à l’aveuglette, cela ne peut pas durer ! Chargeons !
Juve, encore une fois, sourit sous son bandeau. L’homme qui parlait ainsi, certes, il savait bien qui c’était, la voix le renseignait à merveille.
— Bon ! grogna Juve, voilà cet excellent Léon qui se fâche… Eh ! si seulement il pouvait rencontrer Fantômas… Si seulement un coup de feu pouvait faire justice du monstre…
Puis Juve ajoutait ces paroles énigmatiques :
— Il est vrai qu’il n’y a aucune chance que cela arrive. Fantômas, à ce que je crois, ne court aucun danger !
On s’occupait pourtant de Juve, et ceux qui l’avaient pris se trompaient sur l’importance de leur capture.
À côté du policier, toujours étendu sur la berge, en effet, Mix allait et venait, donnant des ordres.
— Parbleu ! il faut savoir qui nous avons pris !… Non, ne lui ôtez pas son bâillon… Il pourrait crier et signaler notre groupe à ceux qui tirent des coups de revolver… Fouillons-le, d’abord.
Mais à ce moment une voix, une voix inconnue, interrompait Mix.
Ce devait être un agent qui s’écriait :
— Ah sapristi ! regardez donc !… Regardez ce que je viens de découvrir…
Que diable avait-on découvert ?
Juve, assez anxieux malgré tout, n’eut pas à se le demander longtemps. L’agent continuait en effet :
— Regardez les semelles de notre prisonnier !… Ah ! bougre de bougre ! Il n’y a pas de doute à conserver, c’est sûrement lui qui est le voleur de la Monnaie ! Il a encore tout plein d’or collé à la semelle de ses chaussures…
À ce moment, Juve pensa éclater de rire sous son bâillon.
— Bon ! supputa-t-il. Voilà que mon affaire devient tout à fait mauvaise !… Si l’on trouve de l’or sous mes souliers, tout le monde va tomber d’accord pour deviner que c’est moi qui étais à la Monnaie tout à l’heure. C’est exact, mais je ne tiens pas à ce qu’on le sache !
Juve, toutefois, entendait à ce moment des clameurs formidables s’élever du quai.
La bataille continuait. Soudain, les agents crièrent :
— À nous !… À l’aide !… Ah ! canailles, rendez-vous donc !
Les appels étaient angoissés. Juve eut l’impression que ceux qui l’entouraient se relevaient avec brusquerie.
— On nous appelle à l’aide, tant pis ! Allons-y ! Notre bonhomme ne peut pas s’évader ! Nous l’interrogerons tout à l’heure !
Le policier Mix, peut-être, n’avait guère envie de retourner au combat. Il eût sans doute préféré rester auprès de Juve et interroger celui dont il avait fait la capture.
M. Mix était en somme un détective privé qui n’avait rien à voir avec les agents de la préfecture et prêtait très bénévolement son concours aux forces policières.
M. Mix, toutefois, ne pouvait pas sembler se désintéresser d’une lutte à laquelle il avait déjà pris part ; Juve perçut que le détective répondait :
— Bon, bon ! Allons leur prêter main-forte ! Nous reviendrons ensuite…