Juve entendit des pas qui s’éloignaient et, de suite, tenta une étrange manœuvre.
— C’est cela, pensait-il, allez donc vous battre, mes enfants ! Vous reviendrez m’interroger quand vous aurez fini, si toutefois je suis encore là !…
Juve, qui ne tenait guère à révéler son identité, à se voir obligé d’expliquer son rôle extraordinaire dans les affaires actuelles, commençait à ce moment à faire tous ses efforts précisément pour n’être pas là quand on reviendrait le questionner.
Juve avait jadis appris d’un clown forain le secret de pratiquer le tour, toujours amusant, de l’homme enchaîné qui se libère en trois secondes.
Mieux que tous les pitres de barrière, Juve avait étudié à fond cet exercice. Il savait que tous les liens de corde sont susceptibles, par des tractions répétées et prolongées, de se distendre, de prendre du lâche.
Il tendit donc ses muscles, il fit effort de toute sa puissance et, sans respect pour les terribles souffrances qu’il s’occasionnait, il arriva petit à petit à faire plus lâches les cordes qui meurtrissaient ses poignets, qui ligotaient ses chevilles.
Juve, quelques instants plus tard, pouvait sortir l’une de ses mains du nœud coulant qui le tenait immobile. Le reste n’était plus qu’un jeu d’enfant. Libre de se remuer désormais, Juve, en quelques secondes, arrivait à se libérer tout à fait.
Il déliait les cordages, il faisait sauter le bâillon qui l’étouffait et, titubant, endormi, à demi asphyxié et fort étourdi, Juve se trouva debout, debout et libre…
— Tout va bien ! déclara alors le policier, de son habituel ton de voix tranquille. Je n’ai plus qu’à m’en aller !
La fusillade, à nouveau, avait cessé. On entendait seulement dans la nuit des colloques nombreux, des ordres donnés à voix haute.
Évidemment, les agents de police, en chargeant, avaient délogé les bandits qui leur tenaient tête des positions où ceux-ci s’étaient embusqués. La police restait maîtresse du terrain.
— Parfait ! parfait ! approuva encore le policier. Je crois que personne n’a plus besoin de moi…
Et Juve, qui ne se trompait pas d’ailleurs, car un certain nombre d’apaches venaient de tomber dans les mains des agents de la préfecture, commença à s’éloigner.
Tout en s’enfuyant, cependant, le policier songeait.
Les événements auxquels il venait d’assister le laissaient évidemment rêveur.
Juve se demandait :
— Mais enfin, que s’est-il passé ? À qui la police livre-t-elle bataille ?
Et, récapitulant les événements, Juve parvenait difficilement à les comprendre. Il était évident que le commencement de l’affaire résidait tout entier dans la poursuite qui avait eu lieu à la Monnaie lorsqu’il y avait été à moitié surpris en train d’espionner, de surveiller, d’enquêter… dissimulé sous un tas d’or.
À ce moment-là, Juve était entré dans l’Enfer. À ce moment-là encore, on avait donné l’alarme à la police. Les agents avaient dû très certainement commencer une rafle parmi les pauvres hères qui couchaient sur les berges. Au cours de cette rafle, Fantômas était survenu en compagnie des apaches de sa bande ; à lui s’étaient joints les Grouilleurs, et tous ces individus sans aveu avaient livré bataille rangée aux hommes de la préfecture.
— Bien ! bien ! approuvait Juve qui était certain de ne point se tromper, car il ramenait tous les événements extraordinaires à un enchaînement réellement logique. Bien ! très bien ! Mais maintenant, que vais-je faire ?
Juve semblait hésiter sur le parti à prendre. Parvenu sur les quais, il prêta l’oreille. On n’entendait plus aucun bruit. Non seulement la lutte était finie, mais les agents avaient dû renoncer eux-mêmes à toute espèce de poursuite qui pouvait être dangereuse et dont l’utilité n’apparaissait pas.
Le policier hocha la tête. Quelques instants plus tard, toutefois, il ajoutait :
— Décidément, il est très habile, ce M. Mix qui a fait ma capture ! À l’occasion, il faudra que je le félicite !…
Et Juve souriait d’un air bonhomme, en songeant à ces louanges qui, cependant, étaient à coup sûr méritées…
XX
Complications conjugales
C’était décidément un homme étrange que ce M. Mix !
Pendant quarante-huit heures, il avait disparu et désormais, ce soir-là, il se trouvait à nouveau fort tard dans le cabinet de Léon Drapier, au propre domicile du directeur de la Monnaie.
Léon Drapier n’était pas là, et la sonnerie du téléphone vint à résonner.
Mix se précipitait aussitôt, décrochait le récepteur.
— Allô ! fit une voix que le détective privé reconnut être celle de M. Havard, chef de la Sûreté.
Celui-ci au surplus se nommait ; il demanda en premier lieu :
— Est-ce bien à M. Léon Drapier que j’ai l’honneur de parler ?
Chose extraordinaire, Mix contrefaisait alors sa voix et rétorquait au chef de la Sûreté :
— C’est en effet à M. Léon Drapier que vous parlez. Que me voulez-vous ?
Le chef de la Sûreté ne remarquait nullement qu’il n’avait point affaire au directeur de la Monnaie et que c’était une autre personne qui lui répondait.
— Je désire, fit-il, vous voir tout à l’heure, et je vous prie de ne point quitter votre domicile sans mon autorisation.
Mix affecta une attitude indignée.
— Sans votre autorisation ! s’écria-t-il, est-ce donc, monsieur le chef de la Sûreté, que vous vous arrogez le droit de déterminer la conduite qu’il m’appartient d’avoir ?
Le chef de la Sûreté, sèchement, rétorquait :
— Prenez-le comme vous voudrez, monsieur le directeur, mais il s’est passé des événements tellement graves ces jours derniers et les circonstances dans lesquelles nous vous avons découvert dans les caves de l’hôtel des Monnaies sont tellement extraordinaires que je peux avoir l’opinion qui me plaît !
Mix affectait alors une attitude plus humble et un ton plus courtois.
— Eh bien, déclara-t-il, monsieur le chef de la Sûreté, c’est une affaire entendue !
Il raccrochait à peine l’appareil que la porte du cabinet dans lequel il se trouvait s’ouvrait précipitamment. Léon Drapier arriva.
— Qu’y a-t-il ? demanda celui-ci. Est-ce à moi que l’on téléphone ?
Mix avait repris un air impassible, et nettement il déclara :
— Pas le moins du monde, mon cher monsieur Drapier ! C’était une affaire personnelle, et je m’étais permis en votre absence de me servir de votre appareil !
Pourquoi donc Mix faisait-il au directeur de l’hôtel des Monnaies une semblable réponse ?
Depuis quelques jours, l’attitude de Mix était véritablement extraordinaire et, si Léon Drapier n’avait pas été si abasourdi, si préoccupé par les aventures qui lui survenaient, il l’aurait à coup sûr remarqué.
Mix était pour lui un ami, à la manière de l’ours du jardinier qui jetait un pavé sur la tête de son maître afin d’écraser une mouche susceptible de l’importuner !
Lors de la fameuse affaire de l’hôtel des Monnaies, Mix avait en réalité plus compromis M. Léon Drapier qu’il ne l’avait aidé.
Était-ce volontaire ? Ou était-ce le résultat de coïncidences fortuites ?