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Et même il a rêvé ! De sa fiancée naturellement, et aussi de Zelma la chienne savante aux quatre petits dont il occupait la place. Aussi à six heures du matin, il a fallu un roulement de tambour exécuté à son oreille par son voisin Jocrisse et un solo de trombone joué par le musicien polonais, pour lui faire ouvrir mollement les yeux.

— Eh bien ! paresseux, vous dormez encore? cria du dehors madame Turpinski; c'est aujourd'hui le jour de vos débuts dans la carrière, vous devriez avoir plus d'émotion !

Dumollet se frotta longuement les yeux et demanda cinq minutes pour se préparer à paraître devant sa directrice.

Au dehors la table était mise pour le déjeuner, qui se composait de pain et d'oignons crus pour les hommes, et de café pour les dames.

Quand Dumollet et les autres artistes prirent place pour le festin, madame Turpinski, avec l'énergie d'un général au matin d'une bataille, leur ordonna de se dépêcher.

l'entrée en ville

Le premier regard de Dumollet fut pour chercher Coqueluchon. Toute la ménagerie Turpinski était là, les lapins attachés par une patte broutaient voluptueusement le serpolet du petit bois, les chiens savants en petite tenue, gravement assis autour d'une grande jatte dans laquelle Frislia allait vers t leur soupe, se léchaient le museau d'avance, les poules picoraient autour du campement, les canards barbotaient dans une ornière on il était resté un peu de boue des pluies dernières et les chevaux mangeaient une botte de foin ; il y avait môme là deux pensionnaires que Dumollet n'avait pas vus la veille, un zèbre et un petit cochon, mais pas de Coqueluchon.

Dumollet tourna des yeux iiiquiets vers Friska.

— Vous cherchez Coqueluchon ? dit la jeune artiste, regardez bien, il est là pourtant.

Dumollet chercha vainement autour des voitures.

Quand il passa devant le zèbre, celui-ci tourna vers lui la tête et se frotta les naseaux contre sa manche. Dumollet s'arrêta, il lui semblait connaître ces yeux et surtout ces longues oreilles, et cependant il n'avait jamais fréquenté de zèbre, sauf celui du Jardin des Plantes, en ses promenades sentimentales de rentier parisien.

— Eh bien! dit Friska, vous ne le reconnaissez pas? Dumollet regarda le petit cochon.

— Non, pas lui, reprit Friska en riant, lui, c'est notre petit cochon savant que vous admirerez aux représentations, mais le zèbre !

— C'est Coqueluchon? s'écria Dumollet au comble de l'étonnement.

— C'est Jocrisse qui l'a perfectionné ce matin poiir notre entrée en ville. A lui seul, Coqueluchon représente trois animaux, un àne, un zèbre et une girafe, car avant la représentation, on lui complétera ses peintures pour en faire la

Le Voyage de M. Dumollet.

fameuse girafe Coquelucha. Il a du talent, hein, votre camarade Jocrisse? Jocrisse, qui s'était approché pour jouir de la stupéfaction de Dumollet, s'inclina cérémonieusement.

— Au service de Monsieur, dit-il, ça va être son tour maintenant. Dumollet recula.

— Allons! allons! cria madame Turpinski, dépêchons-nous, tas de lambins, faut que M. Narcisse ait le temps de sécher!

— Tout de suite! dit le Jocrisse en ouvrant une boîte pleine de fioles de couleur, de pinceaux, de brosses et de pots de cirage.

LE REVEIL DE DUMOLLET

— Voyons, Narcisse fit madame Turpinski en s'approchant, retirez votre habit, mon garçon, et relevez vos manches; asseyez-vous là et ne bougez pas, on va vous embellir ! Vous savez que c'est dans votre engagement, nous n'avons pas fait de petit écrit, mais, entre gens d'honneur, la parole suffit!

Dumollet résigné s'assit et ferma les yeux.

— Très bien! dit Jocrisse en lui passant un tampon huileux sur la figure, supposez que l'on vous fait la barbe... là, très bien, mettez votre perruque dans votre poche voilà déjà que ça prend tournure, vous allez faire un nègre superbe !

— Un peu plus de noir, Jocrisse I fit madame Turpinski qui avait l'œil à tout.

— C'est que j'en conservais pour les bottes du lancier polonais.

— Bah! usez tout s'il le faut, nous en retrouverons en ville. Là, c'est très bien maintenant... tenez. Monsieur Narcisse, regardez-vous dans ce miroir, vous avez l'air aussi féroce que Carcassou !

Dumollet ouvrit les yeux et recula effrayé devant son image.

— Les bras maintenant, dit Jocrisse.

Dumollet obéit. Tout lui était égal maintenant, on ferait de lui ce que l'on voudrait.

— Et maintenant,Mokodingo, ditmadame Turpinski quand il parut devant elle la figure couleur de cirage et les bras noircis jusqu'au coude, promène-toi une heure ou deux au soleil pour te sécher, mon garçon.

LES .\.MUAIS SAVANTS DE MADEMOISELLE FBIJKA

Pendant la mélancolique promenade de Dumollet, les artistes étaient allés s'habiller. Ils resplendissaient tous quand ils descendirent. Les deux Hercules se cambraient dans des maillots roses presque neufs avec des bracelets de fourrure aux poignets et aux chevilles. Le musicien polonais avait astiqué son chapska, fourbi son instrument, frisé son plumet et blanchi ses buffleteries. Jocrisse se carrait dans un habit à carreaux de couleurs voyantes, et portait aussi galamment qu'un marquis et une perruque frisée, avec une queue à un tricorne longue tige métallique terminée par un papillon.

Les enfants et les chiens savants sautillaient gravement, revêtus de leurs plus beaux atours, et le cochon savant avait une jupe de tulle et un chapeau. Quant à Friska et à madame Turpinski, elles éblouissaient tout simplement :

COQL'ELUCHON TRANSFORME EN ZEBRE

mille^ paillettes brillaient sur leurs jupes courtes et dessinaient sur leurs corsages des arabe-;ques étincelantes.

De plus, madame Turpinski, désignée sur les affiches comme une grande dame polonaise jetée dans la carrière artistique par une vocation irrésistible, avait couronné son noble front d'un majestueux bonnet de fourrure orné d'une aigrette de diamants du cristal le plus pur.

Jocrisse, après avoir délicatement frotté le dos de sa main sur la joue de Dumollet pour voir si le nègre était bien sec, entraîna notre héros dans la voiture pour l'aider à revêtir son costume d'anthropophage composé d'un maillot noir, de trois colliers de verroteries, d'une perruque de laine noire crêpée, d'une massue et d'une pagne, orné de peaux de lapins, de dents d'animaux inconnus et d'ailes de perroquets.

Cette toilette, assez simple pourtant, mais complétée par une leçon de maintien, prit une bonne heure à l'habilleur de Dumollet. Quand Mokodingo descendit de la voiture, tout était prêt pour le départ. Les chevaux étaient attelés, les enfanis formaient un groupe artistique sur la plate-forme d'une voiture, à

Dumollet séchant .

côté de madame Turpinski royalement étendue sur des coussins, et Friska montée en amazone sur le zèbre Coqueluchon, tenait la tête du cortège.

— Allons, mes enfants, en route! cria madame Turpinski.

Le lancier polonais emboucha son trombone et l'hercule maigre qui dirigeait les chevaux fit claquer son fouet.

— Toi, Mokodingo, dit madame Turpinski, tu marches avant les voitures, après le zèbre.

Le gros Turpinski frappa sur l'épaule de notre ami. Il avait une énorme chaîne à la main et une massue sous le bras.

— Donne la patte, Mokodingo, dit-il, allons, houst!... Crrr!!!...

— Comment? fit Dumollet.

— Oui, monsieur Narcisse, c'est pour vous attacher, vous comprenez, vous êtes un sauvage très méchant, un anthropophage et je dois vous tenir solidement à l'entrée en ville pour vous empêcher de manger les habitants... Là, c'est très bien, nous y voilà. Et maintenant vous n'avez plus le droit de parler, plus un mot, mais des grimaces tant que vous voudrez! N'oubliez pas ! Quand vous voudrez me demander quelque chose, vous grincerez des dents, je comprendrai.