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Mais Turpinski a fait tournoyer sa massue, il a saisi d'une main ferme le

DUO POUR GUITAHE ET TROMBONE

bout de la chaîne du nègre et il maintient solidement le redoutable anthropophage.

— A bas ! Mokodingo ! à bas ! crie-t-il d'une voix de tonnerre. Mokodingo lancé en avant, presque suspendu au bout de la chaîne, avance ses griffes vers l'auditoire et pousse des hurlements.

— Mesdemoiselles, Mesdames et Messieurs, dit Turpinski en le faisant taire d'un coup de massue dans les mollets, ce terrible anthropophage a été capturé par moi l'année dernière dans les forêts vierges du Sud de l'Afrique, du côté du cap de Bonne-Espérance. Il était roi hà-bas, au pays des Cafres féroces, et, méconnaissant les lois de l'hospilalité, il avait l'intention de me manger dans un grand dîner offert à tout les diplomates de sa cour.... Mais que les personnes sensibles se rassurent, je n'ai pas consenti à me laisser mettre à la broche et, après une bataille terrible, je suis parvenu à m'emparer de sa personne. — Silence donc, Mokodingo ! — Moi seul, Turpinski dit le

Rempart du Nord, j'ai réussi à le dompter... (cris et grincements de dents), mais il est encore si féroce que je suis obligé de le garder dans la cage de fer que vous voyez là-bas. — Bas les pattes, Mokodingo 1 — Pendant mon absence, il y a trois jours, il s"est jeté sur un superbe serpent à sonnettes, magnifique ornement de ma collection et cadeau du sultan de Bornéo. Il l'a tué et dévoré en moins de dix minutes mouvement de terreur parmi les dames) ; je lui ai pardonné, car ce serpent s'était échappé et venait d'avaler un bœuf dans la campagne... (nouveau mouvement de terreur). Ne craignez rien. Mesdames, je tiens solidement Mokodingo.... Admirez l'air féroce et abruti de mon pensionnaire, voyez comme il est laid...., vous pouvez dire votre appréciation tout haut sans craindre de le mettre en fureur, il ne connaît pas le français! Voj'ez comme il est laid, affreux, horrible, épouvantable ! — Silence, Mokodingo ! (coups de massue dans les jambes, grincements et hurlements). Mesdames, Messieurs, Mokodingo va nous donner un échantillon des danses de son pays, il nous montrera la manière de combattre des naturels, et ensuite, Mesdemoiselles, Mesdames, Messieurs, nous assisterons au repas de ce terrible cannibale.

« Comme il y a trois jours il a mangé 73 livres de serpent, tout cru, et sans oter les écailles, ni les os, ni même la tète, il n'a pas très faim aujourd'hui et se contentera d'un lapin cru avec la peau tout entière !!!.... allez, la musique ! «

Le lancier polonais emboucha son trombone et fît retentir la baraque d'un effroyable solo de cuivre. Et l'infortuné Dumollet, jeune homme paisible et de bonnes mœurs, fut obligé de danser une polka anthropophage horriblement fatigante, avec accompagnement de grincements de dents, de roulements d'yeux, de cliquetis de chaîne et de caresses de massue.

Enûn, au milieu des bravos de l'auditoire enthousiasmé, il reçut des mains de Jocrisse une peau de lapin artistement bourrée de foin, avec l'ordre de la manger au plus vite. Heureusement une saucisse était dissimulée dans le foin ; il la broya en affectant une gloutonnerie dégoûtante, mais il ne put parvenir à avaler le moindre fragment de peau.

— Voyez, Mesdames et Messieurs, dit Turpinski en lui arrachant le lapin et

Exercices de Friska.

Je jetant au loin, voyez la férocité de ce sauvage, il est furieux de ce que le lapin n'était pas vivant ! Allons, Mokodingo, salue la société, et à la cage ! houst, crrrr !!!

La représentation était terminée. L'assemblée s'écoula après d'éclatantes marques de satisfaction et Dumollet dans les coulisses fut accablé d'éloges par madame Turpinska.

Le succès obtenu par Mokodingo engagea la direction à donner trois autres

TURPINSKI EN AFRIQUE

représentations au cours desquelles Coqueluchon fut présenté aux habitants de Dreux comme une jeune girafe rapportée de Madagascar par le terrible Turpinski. Les spectateurs durent se contenter de l'entrevoir d'un peu loin. Madame Turpinska daigna leur expliquer que c'était dans leur intérêt, pour leur éviter les ruades et les morsures, la girafe Coquelucha ayant quelquefois des nerfs et regrettant trop amèrement les forêts vierges natales.

Après quatre journées d'art dramatique Dumollet eut enfin la satisfaction de voir lever le camp.

Un beau matin, au soleil levant, la troupe Turpinski se remit en route. Dumollet se permit alors de demander où l'on allait.

— Vous vous ennuyez donc avec nous déjà !_ gros ingrat, fit madame Turpinska.

— Non, Mais....

— Où alliez-vous vous-même quand vous avez massacré notre serpent?

— J'allais à Saint-Malo pour me marier.

— Comme ça se trouve, nous allons de ce cùlé-lii aussi, nous nous dirigeons sur Xanles, ça ne vous fera qu'un petit détour et, pour vous obliger, nous vous conduirons ensuite jusqu'à Saint-Malo.

— Merci.

— Votre flancce serait très flattée de vous voir en prince nègre, j'en suis certaine, je connais si bien le cœur des femmes.

— Mais il était entendu que je ne resterais que quelques jours, le temps de remettre votre serpent en étal !

— Les avaries que vous avez, faites sont tellement graves que je ne sais comment entamer mon raccommodage, restez avec nous, ça ne vous gène pas puisque vous suivez la même route jusqu'à

Rennes.... A Rennes, si vous ne vous décidez .,.. . ,„. pas à rester dans notre troupe,vous nous quit tenez... vous n'êtes pas à plaindre, vous faites un voyage charmant et vous ne vous faites pas écorcher dans les auberges.

Dumoliet baissa mélancoliquement la tête.

La caravane s'en allait à Verneuil où elle devait donner deux représentations. En route Dumoliet chemin

LA IBfttl'E TLRPlXâKl EN VOYAGE

pédestrement le plus près possible de son an.i Coqueluchon, monté tantôt

L'ÉDUCATIO.N de DU510LLET

par mademoiselle Friska et tantôt par le lancier polonais. Quand on traversait des villages, il rentrait dans sa voiture pour sauvegarder sa dignité et se contentait de regarder le paysage par la petite fenêtre qui donnait de l'air à son compartiment.

Après Verneuil, la troupe Turpinski émerveilla la ville de Mortagne où le prince anthropophage Mokodingo fit fureur, puis Alençon où dans nn faux mouvement, se croyant retenu par Turpinski, il tomba sur les places réservées au milieu de dames qui crurent leur dernier moment arrivé, puis Rebay, puis Mayenne, Laval, Vitré et enfin Rennes.

C'était la fêle de Rennes. La troupe Turpinski devait rester 13 jours et donner une longue série de représentations, Du-mollet ne pouvait songer à s'en aller avant le dernier soir, d'autant plus que tous les artistes étaient devenus ses amis, depuis mademoiselle Friska jusqu'à Zelma, la chienne aux dominos et le petit cochon savant. Madame Turpinski se montrait très maternelle pour lui, et même elle lui avait déjà raccommodé ses habits un peu fatigués par le voyage ; quand à Turpinski, le bon gros Hercule, c'était un vrai père ! Il appliquait ses coups de massue dans les mollets pendant les exercices de Mokodingo avec une telle douceur, que Dumollet ne pouvait que les recevoir avec reconnaissance. De plus Turpinski lui donnait des talents de société ; il lui apprenait l'escrime, le bâton, la boxe et le chausson ; il était si fort à l'épée, cet illustre Turpinski, qu'il se prétendait capable de remplacer, sous une averse, le parapluie par un fleuret et de parer toutes les gouttes d'eau avec le bout de son fleuret, sans en manquer une !