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Dumollet s'habilla rapidement et ouvrit avec les plus grandes précautions la petite fenêtre éclairant son compartiment. .\bandonnant son bagage et ne prenant que la miniature d'Estelle, il se laissa glisser doucement par l'étroite ouverture et tomba sur l'herbe.

Il était maintenant dans les coulisses de la baraque, fermées par de grandes toiles sur lesquelles, à l'extérieur, étaient peintes des choses formidables ou gracieuses, des combats de tigres et de serpents à sonnettes, des Hercules jonglant avec des canons, et des danseuses en jupes roses d'une grâce exquise. Coqueluchon dormait là fraternellement, allongé parmi les chevaux de la troupe Turpinski.

— Et je sauverai Coqueluchon du sort cruel qui le menace, lui aussi! pensa Dumollet.

Les chiens savants qui couchaient là aussi s'étaient réveillés, mais reconnaissant leur camarade Mokodingo, ils ne bougeaient pas ; seul Coqueluchon,

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LE CAUCriEllAU DE DUMOLLEI'

quand son maître s'approcha, témoigna son contentement par des vocalises capables de réveiller les Turpinski.

— Vite ! vite ! dit Dumollet en tirant Coqueluchon par la bride, tu n'iras pas en ballon !..., sauvons-nous !

Avec son canif, il réussit à découdre un coin des toiles et à passer par l'ouverture ; il tira ensuite Coqueluchon vocalisant toujours. Zelma la chienne savante ; voyant le passage ouvert, sauta en aboyant dans les jambes do Coqueluchon et fit mine de vouloir accompagner les évadés, Dumollet effrayé la rejeta dans l'enceinte et se mit à courir en tirant sur la bride de Coqueluchon. Dumollet sortit de la ville le plus vite possible; aussitôt hors des maisons, il arrangea la selle de Coqueluchon et partit au hasard dans la campagne, en se demandant s'il devait retourner vers Paris et renoncer à tout jamais au mariage ou marcher sur Saint-Malo. Saint-Malo étant plus près, il se décida pour cette ville et pour Estelle.

L'ingrat Coqueluchon, si courageusement sauvé par son ami, protestait souvent contre la rapidité d'allures que Du '- évasion mollet prétendait lui imposer. Il regrettait la baraque Turpinski et peut-être les applaudissements qui le saluaient lorsque, grimé en girafe, il paraissait devant les spectateurs émerveillés. Dumollet le cœur frémissant, dut en passant près d'un petit bois, cueillir une baguette pour encourager son compagnon à la marche. Le soleil brillait maintenant d'un vif éclat, on rencontrait heureusement peu de monde, à cause du dimanche, les gens restant au village pour la messe, mais les quelques paysans croisés sur le chemin considéraient avec un élonnement inquiétant cet homme si noir monté sur un zèbre, car Coqueluchon avait conservé aussi sa peinture.

Les deu.\ artistes évadés firent ainsi quelques lieues. Dumollet commençait à respirer, les Turpinski étaient loin; après avoir fait quelques provisions dans un village, il entra dans un bois et passa le resté de la journée au repos complet et à l'abri du danger. Ce qui l'ennuyait surtout, c'était de ne pouvoir se débarrasser de sa peinture, mais son camarade Jocrisse le lui avait dit en

Le Voyage de M. Dumollel.

le passant au noir, il fallait pour le blanchir un fort lessivage au savon et à la la potasse.

Au coucher du soleil, Dumollet et Coqueluchon bien reposés firent encore une lieue ou deux, puis l'obscurité étant tout à fait venue, Dumollet se décida au premier village à demander l'hospitalité pour la nuit dans une auberge.

Il tombait mal, la femme de l'aubergiste par malheur, était allée à Rennes le dimanche précédent et elle avait pour ses six sous, assisté aux merveilleux exercices de la troupe Turpinski ; le prince anthropophage Mokodingo ayant

LES PAYSANS LE CO.NSIDERAIENT AVEC ÉTONNEUENT

fait impression sur son esprit, elle le reconnut tout de suite et faillit tomber à la renverse de frayeur en le voyant devant elle dans sa cuisine.

— Ne me faites pas de mal! cria-t-elle, en s'armant d'une énorme écumoire, ne me touchez pas, monsieur Mokodingo!

— Ne craignez rien, madame, dit Dumollet en prenant ses plus élégantes manières, je ne suis pas ce que vous croyez ! Un concours de circonstances...

— Vous parlez chrétien, dit la bonne femme à demi-rassurée, c'est pourtant vous que j'ai vu dimanche dernier grincer des dents et manger un lapin vivant !

— Le malheur m'avait jeté entre les mains des Turpinski, j'en suis sorti et je rentre dans la société, je ne suis pas anthropophage, madame, je suis un jeune homme tranquille, je suis de Paris et je vais à Saint-Malo pour me marier..., tout ce que je désire, c'est un lit pour moi et un peu de paille pour Coqueluchon.

La bonne femme alla conférer avec son mari, et en considération de la douceur de Dumollet, consentit à le recevoir.

Les deux voyageurs passèrent une bonne nuit ; par précaution, dès le petit jour, ils se remirent en route après avoir soldé leur dépense.

Mais la malechance n'abandonnait pas notre ami. Vers huit heures du matin, le ciel se_brouilla et la pluie se mit à tomber. La petite pluie se changea peu à peu en averse et l'averse en tempête. Amère infortune! Dumollet avait oublié son parapluie chez les Turpinski!

La tête basse, les deux malheureux cheminaient tristement poussés parla

— NE ME FAITES PAS DE MAL ! CRIA-T-ELLE

bourrasque et fouettés par une pluie torrentielle, essayant malgré le déchaînement des éléments d'atteindre Dinan.

Dumollet s'aperçut bientôt que la pluie agissait sur sa peinture, il déteignait, ses mains étaient un peu moins noires et en avant de sa figure un point blanc paraissait qui le faisait un peu loucher. C'était son nez, blanchi au bout par l'averse. Malheureusement la pluie ne suffisait pas, elle blanchissait légèrement mais n'enlevait pas toute la couleur. Dumollet n'avait plus la noirceur intense de Mokodingo, mais il était encore trop nègre. Il fallait du savon et pour avoir du savon, il fallait atteindre Dinan !

Vers dix heures du matin, la pluie cessa tout d'un coup, le ciel se dégagea, les gros nuages filèrent rapidement vers l'est et le soleil reparut. En une demie heure Dumollet fut sec et à peu près convenable, à part la couleur, pour entrer dans la ville de Dinan, dont les clochers se profilaient à l'horizon parmi de gros bouquets d'arbres, en haut d'une colline couronnée de tours et escaladée par plusieurs files de maisons à grands pignons qui semblaient monter à l'assaut en bon ordre, des bords pittoresques de la Rance illustrée par M. de Chateaubriand, aux remparts jadis si bien défendus par le grand Du Guesclin.

C'était la dernière étape avant Saint-Malo. Dumollet sentit son cœur bondir de joie, il touchait au port. Estelle n'était plus loin.

Et il entra d'un pas allègre dans la ville, en tirant Coqueluchon fatigué par la bride. Son plan était simple, il se faufilait dans les petites rues pour ne pas se faire remarquer, cherchait un épicier, achetait du savon et de la potasse, allait à l'auberge, se débarbouillait, dînait et repartait dans l'après-midi pour Saint-Malo.

Maintenant il se croyait à l'abri de tout péril et certain d'arriver. Encore quatre petites lieues à parcourir et il se jetait aux pieds d'Estelle !

AnillVEi; A [llNAN

HeliQo- Dujardin

En état de Vag'abondag^e.

Dumollet apprend avec stupeur qu'il a été gelé à la Bérésina !

ENTREE EN VILLE

Cependant les gamins, et même les grandes personnes, semblaient considérer Dumollet avec étonnement. Il devait avoir une étrange mine avec sa perruque blonde, son visage noir et son nez blanc! Dumollet se sentant l'objet de la curiosité des habitants de Dinan remonta sa cravate et baissa sa tête dans son col. 11 avait déjà rencontré deux ou trois paquets de chandelles de bois à côté de pains de sucre également en bois, se balançant au vent au dessus de petites boutiques d'épicier, mais il n'avait pas osé entrer. Les boutiquiers voyant ses hésitations et ses allures inquiètes, se mettaient sur le pas des portes et hochaient la tête.