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— Voyons, nous t'écoutons ! fit le lambour-major, il y a donc des lacunes dans tes idées, nom d'un bonnet à poil !

— L'intelligence oblitérée par la gelée, dit le gendarme en portant la main à son front, ça m'avait déjà paru tout à l'heure....

— Tu sais comment je m'appelle? Zéphyrin Monlauciel. Bon ! lu t'en souviens.... te rappelles-tu notre entrée à Moscou ?

— Oui, fit Dumollet, le Kremlin, l'incendie, je vois ça d'ici !

— Bon ! ça te revient ! Et te rappelles-tu ce que j'ai fait à l'incendie de Moscou ?

DumoUet se gratta le front.

— Tu ne t'en souviens pas ! II y a des lacunes, nom d'un plumet! il y a des lacunes! Comment, tu ne te souviens pas ? Curieux! Étonnant par exemple. Eh bien,j'ai sauvé ta femme,mon vieux, j'ai sauvé la vivandière des Mamelucks.

— Ma femme I s'écria Dumollet.

— Mais oui, voyons, une brune de Marseille, un peu forte, mais plus forte maintenant, que tu avais épousée en revenant d'Egypte, que je fus ton garçon d'honneur ! y es-tu maintenant ?

LE HÉOIilE.M ENTRAMT EN VILLE

— Oui ! oui ! je me rappelle maintenant! dit Dumollet pour ne pas réveiller les soupçons du gendarme.

— Te souviens-tu de notre dernier bivouac, dans la neige, devant la Béré-sina, à cinq cents mètres des ponts de bateaux?

— Oui ! oui ! près des ponts de bateaux....

— Et de l'attaque des Cosaques pendant la nuit ? Que j'ai paré avec ma canne un coup de lance qui allait t'embrocher et comme tu n'étais pas encore gelé, que tu as descendu le Cosaque d'ua coup de fusil ? Je le vois encore moi, ce Cosaque, un vieux avec de longues moustaches pleines de glaçons !

— Ça me revient, fit Dumollet.

— Et après les Cosaques, mon pauvre Mahomet, tu t'es endormi et le matin, mille pompons ! tu étais raide comme un morceau de bois, je t'ai frotté, je t'assure que je t'ai frotté en ami ! Mais je t'en moque, un glaçon de mame-luck! Je t'ai laissé, un ami gelé n'est plus bon à grand'chose!... Voilà 1 Et après, comment t'es-tu dégelé ?

— Je n'en sais rien, dit Dumollet.

— Oblitéré! oblitéré, fit le gendarme, il y a sans doute un peu de cervelle qui est restée prise.

— Enfin te voila revenu, il y avait tout de même de bons garçons chez ces

SCR LES BORDS DE L.\ BÉRÉSINA

Cosaques puisqu'ils t'ont dégelé! Mais parlons de tes affaires de famiUe.... es-tu calme, nom d'une botte! Calme ! Ferme! Solide ! Capable de résister aux coups de canon de l'émotion ?

— Oui....

— Bon, tu es calme! Tiens-toi bien ! Ta femme, tu te remémores, de Marseille, une brune, celle que j'ai sauvée à Moscou, ton épouse légitime, ta veuve, enfin !

— Oui....

— Tiens-toi bien! Elle est ici, avec nous, mon vieux, c'est notre cantinière... Madame Mahomet, vivandière au 1" bataillon du ■45'= de ligne !

— Ah!!!

Les tambours faiUirent tomber de leurs chaises renversés par l'émotion, les sapeurs ouvrirent de larges entonnoirs dans les broussailles de leur barbe,

CHANGEMENT DE GARNISON

le gendarme essuya une larme. Quant à Dumollet il resta calme, rien ne pouvait plus l'étonner.

— Je vais chercher ta veuve, dit le major quand les tambours eurent repris leur assiette, pour la jeter dans tes bras!

— Non! s'écria Dumollet, je craindrais pour elle une émotion trop forte.... Non, plus tard, à Saint-Malo, je me ferai reconnaître.

— Allons, fit le major en soldant la dépense, voilà le moment du départ ! A Saint-Malo donc, et demain, avec quelques précautions, je dirai tout à ta veuve 1

Les sapeurs reprirent leurs haches, les tapins rattachrrent leurs caisses. Sur la place les faisceaux étaient rompus et les soldats s'alignaient. — Allons, Tapins!

LE REGIMENT QUI PASSE

dit le major en lançant sa canne en l'air, rra ! ! ! Un roulement retentit. Les officiers commandèrent « en avant marche » et le bataillon défila par la grande rue dans la direction de la roule de Saint-Malo.

Dumollet emboîta le pas aux troupiers entre les sapeurs et les tapins. Seul, le gendarme demeura pensif et murmura en mordillant sa moustache :

VOICI LES SAPEURS 1

— Que ce particulier qui allait se marier à Sainl-Malo, va se trouver dans les désagréments, il a retrouvé sa veuve, il ne peut plus épouser celle de Saint-Malo.... Que je n'ai rien dit par délicatesse, mais que le voilà jusqu'au cou dans les désagréments matrimonials et sentimentaux !

LS MARIAGE DU MAMELCCK

XIII

Saint-Malo ! Le tambour-major Zéphyrin Montauciel à l'honneur de vous faire part de son mariage avec mademoiselle Estelle Valsuzon.

Quand on fat hors de la ville, le colonel ayant commandé : « arme à volonté »,les soldats marchèrent à leur fantaisie sur les deux côtés de la route, en chantant les vieilles chansons de marche.

Le tambour-major mit sa canne sous son bras et prit le bras de son ami pour causer.

— Mon vieux Mahomet,je ne t'ai pas glissé tout à l'heure, vu la délicatesse de la chose, la confidence de certains projets agréables, mais tu sais que je compte sur toi.

— Sur moi ? fit Dumollet étonné.

— Tu sais ce que j'ai été pour toi ?

— Quand j'étais gelé à la Bérésina ?

— Non avant la gelée, à Marseille !

— A. Marseille. Quoi donc ?

— Oui, c'est vrai, j'oubliais le morceau de cervelle gelé à la Bérésina.... j'ai été ton garçon d'honneur, tu sais bien, quand tu as épousé Madame Mahomet !

Eh bien, mon ami, j'ai été le tien, je veux que lu sois le mien, nom d'une botte! Je vais me marier à Saint-Malo, une demoiselle charmante je ne te dis que ça, bon parti, physique aimable....

Dumollet allait dire moi aussi, mais il se retint à cause de sa veuve.

— Oui, mon cher Mahomet! Quand nous étions en garnison àSaint-Brieuc, j'ai été quelquefois chez des amis à Saint-Malo, j'ai été présenté à la demoiselle, j'ai plu, naturellement, elle m'a plu idem et maintenant que nous allons tenir garnison à Saint-Malo, je vole avec elle au pied des autels, comme dit la romance 1

Les quatre lieues entre Dinan et Saint-Malo se firent très tranquillement, Dumollet sentait à chaque pas qu'il faisait en avant, son cœur se dilater de joie. Enfin, ses malheurs étaient terminés, il approchait du terme de son

COQUEl.UCnON AMI DES SAPEUltS

voyage, encore quelques quarts d'heure de roule et il allait pouvoir se jeter aux pieds d'Estelle !

Plus de périls maintenant! Quels dangers pouvaient l'atteindre au milieu de l'armée française, dans les rangs d'un superbe bataillon de grenadiers, à côté de ce brave Zéphyrin Montauciel qui le prenait pour un vieil ami ! Seul Coque-luchon se faisait un peu tirer l'oreille; comme Dumollet marchait en avant avec son ami, un sapeur l'avait tranquillement enfourché.

Zéphyrin parlait beaucoup, il racontait un tas d'événements passés auxquels Mahomet, le timbalier des Mamelucks, avait été mêlé : batailles, charges de cavalerie, escalades, sacs de ville, maraudes, clc. etc. car c'avait été un homme terrible que ce Mahomet, avant la Bérésina, bien entendu !

DumoUet sentait tous les crins de sa perruque se hérisser d'effroi au récit des hauts faits que le brave major lui attribuait, à lui,