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— Je me rends ! gémit-il enfin, faites de moi ce que vous voudrez, mais ne tapez plus t

— Au contraire, dit un des hommes, il faut taper et défendez-vous, ça vous fera du bien !

Et les bourrades recommencèrent plus énergique que jamais.

— Mais, qu'est-ce que je vous ai fait? cria Dumollet.

— Le docteur nous a dit de frictionner, nous frictionnons, reprit l'homme entre deux énormes tapes.

— Là, c'est très bien, dit un troisième personnage entrant dans la chambre, la circulation est rétablie, je réponds de lui maintenant.

Dumollet soupira de contentement.

— Très bien ! dit le personnage qui était apparemment le docteur, le pouls est mauvais, très bien... l'œil est terne, la tête est lourde, montrez la langue ?... hein, pas très bonne, estomac délabré, vous avez l'air épuisé par des excès, je vois ça sur votre figure... des excès! «les excès ! des excès ! voici ce que j'ordonne, tranquillité absolue, diète sévère, ou je ne réponds de rien.

— Mais... où suis-je ?

— A l'auberge du Cheval-Rouge, bonne auberge, vous avez eu de la chance de tomber à l'eau si près d'elle..., bonne table, cave supérieure ! mais pas pour vous, car faites bien attention, mon ami, plus d'excès ou vous êtes perdu !

d'ailleur-!, vous n'aurez ni un bouillon.'ns

L.\ TABLE d'kCte DU Chevol-Rouge ad passage

DES DILIGENCES

CAuChEV/AL Rouge ^ ^'" verre de vin sans ma permission.

— Quelle maladie ai-je donc ? V X „^ X — Ça ne vous regarde pas !

Sur ce mot, le docteur se retira majestueusement laissant Dumollet f^'^'i^ \lti,\\^ .^ci-H. I très effrayé.

OM FIT l'N REPAS EXCELLENT SUR L Ili;RBE TENDOE

VI

Rencontre épouvantable du grand serpent de Seine-et-Oise et le combat qui s'ensuivit.

Et l'infortuné Dumollet resta trois jours au lit sans bouger et sans manger. Sans bouger, ce n'était rien, c'était facile, cela le reposait délicieusement de ses deux journées de voyage si horriblement mouvementées, mais sans manger était plus dur !

Car en dépit des prévisions du docteur, l'appétit lui était venu comme à l'ordinaire, le soir de son accident, et ne l'avait pas quitté depuis. Cet appétit .=e trouvait surexcité 'du matin au soir par l'odeur agréable et savoureuse qui montait toute la journée des cuisines de l'hôlel du Cheval-Rouge, apportant avec elle des visions de gigots et de canards embrochés tournant devant les flambées de la grande cheminée, de poulets rôtissant sur les fourneaux, de soupes délectables bouillant à grand fracas dans les marmites de fonte.

Le pauvre Dumollet maigrissait à vue d'œil et la grosse servante qui lui apportait de l'eau panée, ne s'aventurait plus qu'avec inquiétude dans sa chambre par crainte d'être dévorée.

Deux fois par jour, le passage des diligences remplissait l'auberge de tapage et de mouvement. On relayait au Cheval-Rouge; les senteurs culinaires montaient de plus belle à ces heures là et Dumollet, plus malheureux que jamais, croyait entendre le bruit des mâchoires et des fourchettes fonctionnant devant la nappe de la grande table d'hôte.

A chaque départ, quand les diligences démarraient au milieu d'au tintamarre de coups de fouet, de cris, de rires, de trompettes, quelque fois de cors de chasse, Dumollet pouvait entendre le refrain maintenant populaire :

Bon voyage, mcnsieur Dumollet, A Saint Malo débarquez sans naufrag", ( te.

Et l'amertume entrait de jjIus en plus dans s. n âme, et il se hasardait à quelques petites critiques des traits d'Estelle, sa fiancée, la véritable cause de son malheur, dont il considérait de temps en temps la miniature pour se désennuyer.

Par bonheur, la grosse bonne se laissa enfin attendrir et consentit à apporter du bouillon en cachette à son malade. Sans ce bouillon, Dumollet se fut peut être laissé aller à l'anthropophagie. Le quatrième jour, le docteur se montra satisfait.

— Encore huit jours de diète, dit-il, et vous êtes sur pied, frais comme un jeune homme !

Dumollet frémit. Ramassant tout son courage, il se leva dès que le docteur fut parti, fit seller Coqueluchon. pnya sa pension, et malgré les efforts de l'aubergiste pour conserver ce voj'ageur qui payait et qui ne consommait pas, mit Coqueluchon au grand trot pour s'éloigner ^u plus vite de l'auberge du Cheval-Rouge. En passant dans un village, mettant tout à fait de coté les perscriptions du

Dumollet voulut mourir en brave

Le Voyage de M. Dumollet, docteur, ii acheta un jambon, du pain, une bouteille de vin et emporta le tout au fond d'un bois pour le dévorer loin des affameurs autorisés par la faculté. Journée délicieuse, Coqueluchon guéri de sa migraine, avait retrouvé sa bonne humeur d'autrefois ; il était charmant, obéissant, tranquille, ainsi qu'il sied à un âne de bonne compagnie. Dumollet se sentait presque joyeux. On fit un repas excellent sur l'herbe tendre, dans une clairière égayée par une grande flambée de chaud soleil, et, le jambon fortement entamé, on s'offrit une sieste de trois heures. Dumollet rêva que son voyage était ter-

HÊROÏSME DE COQUELICHON

miné, qu'il était arrivé à Saint-Malo et que Coqueluchon et lui tombaient aux genoux d'Estelle.

Pauvre Dumollet, il n'avait pas épuisé toutes les rigueurs du sort, ses malheurs n'étaient pas terminés !

Quand il remonta sur Coqueluchon pour continuer son voyage, il était déjà cinq heures, et pour arriver à la prochaine étape, il fallait arpenter trois petites lieues de pays, Coqueluchon trottait ferme pour faire oublier par sa bonne volonté, ses pécadilles un peu fortes du début du voyage. Le soleil se couchait lorsque les deux voyageurs aperçurent au loin les toits d'une petite ville.

Dumollet les indiqua du bout de son parapluie à Coqueluchon qui se mit à braire de joie et précipita son allure.

Tout à coup, à un quart de lieue du pays, au sortir d'un petit bois coupé par un sentier de traverse, la fatalité acharnée contre Dumollet et sa mon-

lure, les jeta dans une nouvelle aventure ! Vraiment c'était à croire qu'elle possédait des actions dans les diligences Laffitte et Gaillard, cette fatalité si désagréable !

Le soleil se couchait, nous l'avons dit. De grands rayons jaunes d'un éclat éblouissant arrivaient en plein dans la figure du brave baudet qui fermait les yeux de temps en temps et trottinait gaillardement, sans défiance aucune ; Dumollet songeait déjà au menu du souper lorsque tout à coup sur la lisière du petit bois, une apparition horrible cloua le malheureux Coqueluchon sur ses quatre jambes et lui fit dresser tous les crins de terreur.

Sur l'herbe verte, un immense serpent rouge et violet allongeait ses anneaux, non pas une petite couleuvre ou même une vipère, comme à la rigueur on en peut rencontrer sous nos climats, mais un véritable monstre des pays tropicaux, un effroyable serpent peut-être à sonnettes, qui ne devait avoir qu'à ouvrir la bouche pour engloutir monture et cavalier. Il dormait en travers du sentier, l'air à la fois nonchalant et terrible, l'œil clos, la bouche ouverte, avec une très longue langue rouge, sortant de l'entonnoir à demi ouvert qui fendait d'un rictus formidable sa hideuse tête plate !

Le serpent, Dumollet n'eût besoin que d'un coup d'œil pour le reconnaître, il l'avait vu dans VHistoire des naufrages; il était tout à fait de l'espèce du monstre qui jadis avait dévoré, avec leurs habits, leurs chapeaux et leurs cabres, 72 marins anglais jetés par un naufrage sur les côtes inhospitalières de l'Amérique du Sud ! Mais c'était le premier qui paraissait en Seine-et-Oise, département jusque là tranquille, fertile seulement en lièvres, lapins, perdrix grises et cailles. Comment était-il venu jusque-là et comment l'autorité n'avait-elle pas pris des mesures pour préserver de ses atteintes les paisibles voyageurs ?