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Plusieurs fois, dans la nuit, il eut l'impression d'observer des passages feutrés d'ombres au milieu du jardin. Serré contre lui dans le petit lit grinçant, Arnaud expliquait:

– Evidemment, ce sont des mecs, ils bandent comme les autres!

Mais sitôt qu'il jouissait lui-même, il retombait à genoux aux pieds de la croix et demandait pardon. David, exaspéré, tentait de réagir:

– Arnaud, si tu as honte, il vaut mieux que je rentre à Paris.

Plus tourmenté encore, Arnaud demandait un double pardon à David et à Dieu, tandis que l'Américain essayait de s'endormir.

Un sacrifice qui nous rapproche de Dieu

Le quatrième jour, vers huit heures du matin, Arnaud entra comme un fou dans la chambre en s'exclamant:

– David, j'ai réfléchi toute la nuit. Tu as raison: il faut dépasser cette honte! Je veux vivre avec toi. J'abandonne le séminaire. Le Seigneur nous protégera: on ira se faire bénir en Hollande.

Au fond du lit, l'Américain entrouvrait l'oeil et regardait son camarade, ahuri. Dans l'esprit d'Arnaud, les pulsions homosexuelles et la religion semblaient décidément indissociables. Toute sa vie semblait vouée à ce but: une intégration harmonieuse des gays dans l'Église. Bâillant sur l'oreiller, David comprenait mal, mais le séminariste était fou de son rêveur aux cheveux bouclés:

– Prépare tes bagages, on s'en va.

Dans un effort, l'Américain tenta d'expliquer qu'il n'avait aucun désir de bénédiction nuptiale, que l'aventure commencée devant Notre-Dame se terminerait un de ces jours, dans la plus grande douceur possible. Puis il se rappela qu'il était venu dans ce couvent à l'invitation d'Arnaud. Si Arnaud s'en allait, il fallait donc partir avec lui.

Deux heures plus tard, sous le porche du monastère, les moinillons de la boutique agitaient leurs mains mélancoliques et les invitaient à revenir bientôt. Arnaud et David reprirent le chemin départemental, le premier en short et tee-shirt «Préservez-vous»; le second traînant sa valise à roulettes. Ils grimpèrent dans le car où Arnaud continuait de chuchoter des mots exaltés:

– M'unir avec un garçon, c'est un besoin si fort! Dans tes bras, je me rapproche de Dieu.

– Mais Arnaud, je suis en voyage. Tôt ou tard, je m'en irai.

– Non, je te suivrai partout. Nous serons femme et mari, ou mari et femme…

Arnaud éclata de rire. David blêmit. À la ville voisine, ils prirent le train pour Paris. Tandis que l'Américain contemplait les collines, le Français sortit de son sac un livre intitulé: La nouvelle fierté chrétienne. Il étudiait les pages avec attention; son front se plissait au fil des réflexions. De sa main gauche, il avait saisi celle de David qu'il caressait doucement.

À Paris, l'idylle vira à la catastrophe. Dès leur arrivée, Arnaud abandonna sa chambre de futur séminariste et débarqua chez David à l'hôtel Bonaparte, traînant plusieurs sacs pleins de vêtements et d'objets. Se voulant rassurant, il précisa:

– Je vais te squatter quelques jours, et puis on cherchera un studio.

Dans la salle de bains, il accrocha un portrait de saint Sébastien dénudé. Dans un recoin de la chambre, il posa un crucifix et disposa une bible sur un coussin de velours, en prévenant:

– C'est mon petit oratoire perso. J'ai besoin de prier plusieurs fois par jour.

Ces préparatifs achevés, il se précipita sur David, le renversa sur le lit et le dévora de baisers.

Excité physiquement, David se laissait faire. Mais l'ambiance des jours suivants devint plus pesante. Le matin, Arnaud se rendait à la messe, dans une chapelle du XVIe arrondissement. Il parlait à Dieu, persuadé que son amour des garçons rejoignait l'amour du Christ. Il expliquait ensuite à son confesseur pourquoi il s'éloignait du séminaire. Après déjeuner, il retrouvait un groupe d'étudiants qui préparaient un manifeste intitulé «France chrétienne», destiné à réhabiliter certaines valeurs mises à mal par l'idéologie dominante. Favorables au renouveau de la famille, des jeunes filles à pull marin débattaient longuement avec Arnaud qui tenait cependant à inclure un paragraphe sur les gays chrétiens.

Vers dix-huit heures, ayant accompli ses tâches sociales, il repassait à l'hôtel et se préparait pour l'happy hour d'un bar du Marais, Après une douche, il enfilait son blue-jean déchiré et un débardeur sur lequel flottait toujours sa croix de bois. Rentrant du cinéma, David retrouvait avec plaisir son grand blond aux joues rosés. Mais Arnaud l'enlaçait au milieu des rues; l'Américain supportait mal cet exhibitionnisme et leurs sorties finissaient parfois en disputes. Surtout lorsque l'ex-séminariste, pour terminer la soirée, entraînait son copain dans les backrooms où il éprouvait une excitation spéciale. Arnaud adorait voir les hommes baiser dans le noir: ce mélange de honte et de transgression dans les caves le rapprochait, disait-il, de l'infini.

David, qui trouvait ces établissements sordides, buvait un verre au bar tandis qu'Arnaud s'enfonçait dans l'escalier. Le voyageur se demandait s'il avait traversé l'Atlantique pour cette misère ordinaire. Il étudiait la façon dont les baiseurs se sélectionnaient d'un regard ou se rejetaient avec dégoût. Il n'aurait peut-être pas détesté un vrai libertinage, avec Champagne et bonne humeur, comme dans certains romans du XVIIIe siècle. Mais ici, les aspirants débauchés ressortaient des caves plus frustrés encore. Seul Arnaud, remontant l'escalier, semblait illuminé:

– Il y a une forme d'eucharistie dans le cul! C'est un sacrifice qui nous rapproche de Dieu!

Le lendemain matin, il retournait à confesse. La folie du péché et du pardon perturbait ses raisonnements, fatiguant David qui n'avait que faire de ces contradictions angoissées.

Lucienne

Un soir, comme David se trouvait seul à l'hôtel, plongé dans un roman de J.-K Huysmans, Arnaud fit une irruption théâtrale:

– Mon chéri, c'est incroyable! Viens tout de suite. Je crois que j'ai rencontré ton père!

L'Américain se pétrifia. L'autre jour, sans insister, il avait raconté à Arnaud son histoire: ce Français de passage à New York qui avait couché avec sa mère, puis disparu. Habitué au mystère depuis l'enfance, David supposait qu'il ne connaîtrait jamais ce père. Mais ses amis semblaient tous désireux de le retrouver à sa place. Après Ophélie, Arnaud se mettait de la partie. Sa déclaration exerça tout de même un choc:

– Qu'est-ce que tu racontes?

– J'en suis sûr, c'est incroyable, c'est merveilleux. Et en plus, c'est un des nôtres!

– Comment ça, un des nôtres?

Ni une ni deux, Arnaud dévalait l'escalier, suivi par David abasourdi. Sans un mot, il le traîna dans le métro jusqu'à Réaumur-Sébastopol, Sur le trottoir, l'Américain angoissé recommença à poser des questions. Droit et rayonnant, Arnaud s'enfonçait dans les rues du Marais sans rien dire. Ils arrivèrent à l'entrée d'un bar-cuir entouré de motos. Des hommes moustachus se serraient à l'intérieur, portant casquettes et débardeurs noirs. Ils tenaient des bouteilles de bière, fumaient des cigarettes dans une ambiance faussement virile. David et Arnaud ressemblaient à deuxjeunes filles égarées, fendant l'assemblée de mâles prêts à leur mettre la main aux fesses. Ils arrivèrent dans la pénombre au fond d'une salle enfumée, sous une télévision qui diffusait un film porno. Soudain, se retournant face à David, Arnaud prit ses épaules et le regarda dans les yeux. Il déposa un petit baiser sur sa bouche puis, se tournant vers le bar, il cria:

– Lucienne!

Derrière le comptoir, David aperçut une créature occupée à servir des verres. Quadragénaire bedonnante et chauve, Lucienne portait des boucles d'oreilles. Son large sourire fit ressortir un autre anneau dans sa narine gauche. D'un pas ramolli, il ou elle s'approcha des deuxjeunes gens. Regardant toujours David, Arnaud s'exclama: