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— Je vous téléphone pour prendre rendez-vous.

— Ma secrétaire n’est pas là aujourd’hui. Attendez... (Elle perçut le bruit d’un clavier d’ordinateur.) Quand voulez-vous venir ?

La voix était étrange : feutrée, sans timbre. Elle répondit :

— Tout de suite. C’est une urgence.

— Une urgence ?

— Je vous expliquerai. Recevez-moi.

Il y eut une pause, une seconde de retenue, comme chargée de méfiance. Puis la voix ouatée demanda :

— Dans combien de temps pouvez-vous être ici ?

— Une demi-heure.

Anna perçut un infime sourire dans la voix. Finalement, cet empressement avait l’air de l’amuser :

— Je vous attends.

18

— Je ne comprends pas. Quelle intervention vous intéresse au juste ?

Didier Laferrière était un petit homme aux traits neutres, aux cheveux crépus et gris, qui cadraient parfaitement avec sa voix atone. Un personnage discret, aux gestes furtifs, insaisissables. Il parlait comme à travers une paroi de papier de riz. Anna comprit qu’elle devrait percer ce voile si elle voulait obtenir les informations qui l’intéressaient.

— Je ne suis pas encore fixée, répliqua-t-elle. Je voudrais d’abord connaître les opérations qui permettent de modifier un visage.

— Modifier jusqu’à quel point ?

— En profondeur.

Le chirurgien commença sur un ton d’expert :

— Pour effectuer des améliorations importantes, il faut s’attaquer à la structure osseuse. Il existe deux techniques principales. Les opérations de meulage, qui visent à atténuer les traits proéminents, et les greffes osseuses, qui au contraire mettent en valeur certaines régions.

— Comment procédez-vous, précisément ?

L’homme prit une inspiration, se ménageant un temps de réflexion. Son bureau était plongé dans la pénombre. Les fenêtres étaient voilées par des stores. Une faible lueur caressait les meubles de facture asiatique. Il régnait ici une ambiance de confessionnal.

— Pour le meulage, reprit-il, nous réduisons les reliefs osseux en passant sous la peau. Pour la greffe, nous prélevons d’abord des fragments, le plus souvent sur l’os pariétal, au sommet du crâne, puis nous les intégrons aux régions visées. Parfois aussi, nous utilisons des prothèses.

Il ouvrit ses mains et sa voix s’adoucit :

— Tout est possible. Seule compte votre satisfaction.

— Ces interventions doivent laisser des traces, non ?

Il eut un bref sourire :

— Pas du tout. Nous travaillons par endoscopie. Nous glissons des tubes optiques et des micro-instruments sous les tissus. Ensuite nous opérons sur écran. Les incisions pratiquées sont infimes.

— Pourrais-je voir des photographies de ces cicatrices ?

— Bien sûr. Mais commençons par le début, voulez-vous ? Je voudrais que nous définissions ensemble le type d’opération qui vous intéresse.

Anna comprit que cet homme ne lui montrerait que des clichés édulcorés, où aucune marque ne serait visible. Elle prit un autre cap :

— Et le nez ? Quelles sont les possibilités pour le nez ?

Il plissa le front, sceptique. Le nez d’Anna était droit, étroit, menu. Rien à changer.

— C’est une région que vous voudriez modifier ?

— J’envisage toutes les possibilités. Que pourriez-vous faire sur cette zone ?

— Dans ce domaine, nous avons beaucoup progressé. Nous pouvons, littéralement, sculpter le nez de vos rêves. Nous en dessinerons ensemble la ligne, si vous voulez. J’ai là un logiciel qui permet...

— Mais l’intervention, en quoi consiste-t-elle ?

Le médecin s’agita, dans le spencer blanc qui lui tenait lieu de blouse.

— Après avoir assoupli toute cette zone...

— Comment ? En brisant les cartilages, non ?

Le sourire était toujours là, mais les yeux devenaient inquisiteurs. Didier Laferrière cherchait à déceler les intentions d’Anna.

— Nous devons bien sûr passer par une étape assez... radicale. Mais tout se déroule sous anesthésie.

— Ensuite, comment faites-vous ?

— Nous disposons les os et les cartilages en fonction de la ligne décidée. Encore une fois : je peux vous offrir du sur-me-su-re.

Anna ne lâchait pas sa direction.

— Une telle opération doit laisser des traces, non ?

— Aucune. Les instruments sont introduits par les narines. Nous ne touchons pas la peau.

— Et pour les liftings, enchaîna-t-elle, quelle technique utilisez-vous ?

— L’endoscopie, toujours. Nous tirons la peau et les muscles grâce à des pinces minuscules.

— Donc, pas de marques non plus ?

— Pas l’ombre d’une trace. Nous passons par le lobe supérieur de l’oreille. C’est absolument indécelable. (Il agita la main.) Oubliez ces problèmes de cicatrices : ils appartiennent au passé.

— Et les liposuccions ?

Didier Laferrière fronça les sourcils :

— Vous m’avez parlé du visage.

— Il existe bien des liposuccions de la gorge, non ?

— C’est vrai. C’est même une des opérations les plus faciles à pratiquer.

— Provoque-t-elle des cicatrices ?

C’était la question de trop. Le chirurgien prit un ton hostile :

— Je ne comprends pas, ce sont les améliorations qui vous intéressent ou les cicatrices ?

Anna perdit contenance. En une seconde, elle sentit revenir la panique qu’elle avait éprouvée à la galerie. La chaleur montait sous sa peau, de la gorge jusqu’au front. A cette minute, son visage devait être marbré de rouge.

Elle murmura, parvenant tout juste à lier ses mots :

— Excusez-moi. Je suis très craintive. Je... J’aimerais... Enfin, avant de me décider, j’aimerais voir des photographies des interventions.

Laferrière radoucit sa voix : un peu de miel dans le thé de l’ombre.

— C’est hors de question. Ce sont des images très impressionnantes. Nous devons seulement nous préoccuper des résultats, vous comprenez ? Le reste, c’est mon affaire.

Anna serra les accoudoirs de son siège. D’une manière ou d’une autre, elle devait arracher la vérité à ce médecin.

— Je ne me laisserai jamais opérer si je ne vois pas, de mes yeux, ce que vous allez me faire.

Le médecin se leva, effectuant un geste d’excuse :

— Je suis désolé. Je ne crois pas que vous soyez prête, psychologiquement, pour une intervention de ce type.

Anna ne bougea pas.

— Qu’est-ce que vous avez donc à cacher ?

Laferrière se figea.

— Je vous demande pardon ?

— Je vous parle de cicatrices. Vous me répondez qu’elles n’existent pas. Je demande à voir des images d’opérations. Vous refusez. Qu’est-ce que vous avez à cacher ?

Le chirurgien se pencha et appuya ses deux poings sur le bureau :

— J’opère plus de vingt personnes par jour, madame. J’enseigne la chirurgie plastique à l’hôpital de la Salpêtrière. Je connais mon métier. Un métier qui consiste à apporter du bonheur aux gens en améliorant leur visage. Pas à les traumatiser en leur parlant de balafres ou en leur montrant des photographies d’os broyés. Je ne sais pas ce que vous cherchez, mais vous vous êtes trompée d’adresse.

Anna soutint son regard :