Выбрать главу

Je commence mon exposé, en bon ordre :

— Le principe de la TEP (Tomographie par Emission de Positons) consiste à injecter un traceur radioactif dans le sang du sujet. Ainsi radioactive celui-ci émet des positions que la caméra capte en temps réel, ce qui permet de localiser l’activité cérébrale. Pour ma part, j’ai choisi un isotope radioactif classique, l’Oxygène-15, et...

Une voix m’interrompt :

— Dans votre note, vous évoquez des anomalies. Venez-en au fait : que s’est-il passé ?

— J’ai constaté que les sujets, après les tests, confondaient leurs propres souvenirs avec les anecdotes qui leur avaient été soumises durant la séance.

— Soyez plus précis.

— Plusieurs exercices de mon protocole consistent à diffuser des histoires imaginaires, des petites fictions que le sujet doit ensuite résumer oralement. Après les tests, les sujets évoquaient ces histoires comme des faits véridiques. Ils étaient tous convaincus d’avoir vécu, réellement, ces fictions.

— Vous pensez que c’est l’utilisation de l’O-15 qui a provoqué ce phénomène ?

— Je le suppose. La caméra à positons ne peut avoir d’effet sur la conscience : c’est une technique non invasive. L’O-15 est le seul produit administré aux sujets-témoins.

— Comment expliquez-vous cette influence ?

— Je ne l’explique pas. Peut-être l’impact de la radioactivité sur les neurones. Ou un effet de la molécule elle-même sur les neurotransmetteurs. Tout se passe comme si l’expérience exaltait le système cognitif, le rendait perméable aux informations rencontrées durant le test. Le cerveau ne sait plus faire la différence entre les données imaginaires et la réalité vécue.

— Pensez-vous qu’il soit possible, grâce à cette substance, d’implanter dans la conscience d’un sujet des souvenirs, disons... artificiels ?

— C’est beaucoup plus complexe que cela, je...

— Pensez-vous que cela soit possible, oui ou non ?

— Il serait envisageable de travailler dans ce sens, oui.

Silence. Une autre voix :

— Durant votre carrière, vous avez travaillé sur les techniques de lavage de cerveau, non ?

J’éclate de rire, vaine tentative pour désamorcer l’atmosphère d’inquisition qui règne ici :

— Il y a plus de vingt ans. C’était dans ma thèse de doctorat !

— Avez-vous suivi les progrès effectués dans ce domaine ?

— Plus ou moins, oui. Mais dans ce secteur, il y a beaucoup de recherches non publiées. Des travaux classés Secret Défense. Je ne sais pas si...

— Des substances pourraient-elles être utilisées efficacement comme paravent chimique occultant la mémoire d’un sujet ?

— Il existe plusieurs produits, oui.

— Lesquels ?

— Vous êtes en train de parler de manipulations de...

— Lesquels ?

Je réponds à contrecœur :

— On parle beaucoup actuellement de substances comme le GHB, le gamma-hydroxybutyrate. Mais pour atteindre ce type d’objectifs, il vaudrait mieux encore utiliser un produit plus courant : le Valium, par exemple.

— Pourquoi ?

— Parce que le Valium, à certaines doses infra-anesthésiques, provoque non seulement une amnésie partielle, mais aussi des automatismes. Le patient devient perméable à la suggestion. De plus, on possède un antidote : le sujet peut ensuite retrouver la mémoire.

Silence. La première voix :

— En admettant qu’un sujet ait subi un tel traitement, peut-on imaginer de lui injecter, ensuite, de nouveaux souvenirs grâce à l’Oxygène-15 ?

— Si vous comptez sur moi pour...

— Oui ou non ?

— Oui.

Nouveau silence. Tous les regards sont verrouillés sur moi.

— Le sujet ne se souviendrait de rien ?

— Non.

— Ni du premier traitement au Valium, ni du second à l’Oxygène-15 ?

— Non. Mais il est trop tôt pour...

— A part vous, qui connaît ces effets ?

— Personne. J’ai contacté les laboratoires qui utilisent l’isotope mais ils n’ont rien remarqué et...

— Nous savons qui vous avez contacté.

— Vous... Je suis surveillé ?

— Avez-vous parlé de vive voix aux responsables de ces laboratoires ?

— Non. Tout s’est passé par e-mail. Je...

— Merci, professeur.

A la fin de l’année 1994, un nouveau budget est voté. Un programme entièrement dédié aux effets de l’Oxygène-15. Telle est l’ironie de l’histoire : moi qui ai rencontré tant de difficultés pour obtenir les fonds d’un programme que j’avais conçu, présenté, défendu, on m’alloue maintenant des moyens financiers pour un projet que je n’ai même pas envisagé.

Avril 1995.

Le cauchemar commence. Je reçois la visite d’un policier, protégé par deux nervis habillés en noir. Un colosse à moustache grise, vêtu de gabardine de laine. Il se présente : Philippe Charlier, commissaire. Il paraît jovial, souriant, débonnaire, mais mon instinct d’ancien hippie me souffle qu’il est dangereux. Je reconnais en lui le casseur de gueules, le briseur de révolte, le salopard sûr de son droit.

— Je suis venu te raconter une histoire, annonce-t-il. Un souvenir personnel. A propos de la vague d’attentats qui a semé la panique en France, de décembre 1985 à septembre 1986. La rue de Rennes, tout ça, tu te souviens ? Au total, treize morts et deux cent cinquante blessés.

» A l’époque, je travaillais pour la DST (Direction de la Surveillance du Territoire). On nous a accordé tous les moyens. Des milliers de gars, des systèmes d’écoute, des gardes à vue illimitées. On a retourné les foyers islamistes, secoué les filières palestiniennes, les réseaux libanais, les communautés iraniennes. Paris était entièrement sous notre contrôle. On a même proposé une prime d’un million de francs à quiconque pourrait nous renseigner. Tout ça pour que dalle. On n’a pas dégoté un indice, une information. Rien. Et les attentats continuaient, tuant, blessant, démolissant, sans qu’on puisse empêcher le massacre.

» Un jour, en mars 86, un petit quelque chose a changé et on a arrêté d’un coup tous les membres de la filière : Fouad Ali Salah et ses complices. Ils stockaient leurs armes et leurs explosifs dans un appartement de la rue de la Voûte, dans le 12e arrondissement. Leur point de ralliement était un restaurant tunisien de la rue de Chartres, dans le quartier de la Goutte d’Or. C’est moi qui ai dirigé l’opération. On les a tous chopés, en quelques heures. Du boulot propre, net, sans bavure. Du jour au lendemain, les attentats ont cessé. Le calme est revenu sur la ville.

» Tu sais ce qui a permis ce miracle ? Le « petit quelque chose « qui a modifié toute la donne ? Un des membres du groupe, Lotfi ben Kallak, avait simplement décidé de retourner sa veste. Il nous a contactés, a balancé ses complices en échange de la récompense. Il a même accepté d’organiser le piège, de l’intérieur.

» Lotfi était fou. Personne ne renonce à la vie pour quelques centaines de milliers de francs. Personne n’accepte de vivre comme une bête traquée, de s’exiler au bout du monde en sachant que, tôt ou tard, le châtiment viendra. Mais j’ai pu mesurer l’impact de sa trahison. Pour la première fois, on était à l’intérieur du groupe. Au cœur du système, tu piges ? Dès cet instant, tout est devenu clair, facile, efficace. C’est la morale de mon histoire. Les terroristes n’ont qu’une force : le secret. Ils frappent n’importe où, quand ça leur chante. Il n’y a qu’un seul moyen de les stopper : pénétrer leur réseau. Pénétrer leur cerveau. Alors seulement, tout devient possible. Comme avec Lofti. Et grâce à toi, on va y arriver pour tous les autres.