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Quand Paul se tut, le haut fonctionnaire paraissait complètement sonné. Au bout d’une longue minute, il demanda :

— C’est pour ça que Charlier est là ?

— Avec Beauvanier. Ils sont mouillés jusqu’à l’os dans cette histoire. Ils sont venus s’assurer que Schiffer est bien mort. Mais il reste Anna Heymes. Et Charlier doit la trouver avant qu’elle parle. Il l’éliminera dès qu’il aura mis la main dessus. Vous courez après le même lièvre.

Amien se plaça devant Paul et s’immobilisa. Son expression avait la dureté de la pierre :

— Charlier, c’est mon problème. Qu’est-ce que vous avez pour localiser la femme ?

Paul regardait les sépultures autour de lui. Un portrait suranné, dans un cadre ovale. Une vierge placide, regard incliné, drapée dans une cape languide. Un christ taciturne, aux humeurs de bronze... Un détail lui parlait dans tout cela, mais il n’aurait su dire lequel.

Amien lui saisit violemment le bras :

— Quelle piste avez-vous ? Le meurtre de Schiffer va vous retomber dessus. En tant que flic, vous êtes fini. A moins qu’on ne mette la main sur la fille et que l’affaire soit révélée au grand jour. Avec vous dans le rôle du héros. Je répète ma question : quelle piste avez-vous ?

— Je veux continuer l’enquête moi-même, déclara Paul.

— Donnez-moi les informations. On verra ensuite.

— Je veux votre parole.

Amien se crispa :

— Parlez, nom de Dieu.

Paul embrassa d’un dernier regard les monuments : la figure érodée de la Vierge, la longue tête du Christ, le camée aux traits sépia... Il comprit enfin le message : des visages. Sa seule voie pour l’atteindre, Elle.

— Elle a changé de gueule, murmura-t-il. Chirurgie esthétique. J’ai la liste des dix chirurgiens susceptibles d’avoir effectué l’opération à Paris. J’en ai déjà vu trois. Donnez-moi la journée pour interroger les autres.

Amien marqua sa déception.

— C’est... C’est tout ce que vous avez ?

Paul se souvint du site de conservation des fruits, du vague soupçon concernant Azer Akarsa. Si ce salopard était impliqué dans la série des meurtres, il le voulait pour lui seul.

— Oui, mentit-il, c’est tout. Et c’est déjà pas mal. Schiffer était persuadé que le chirurgien nous permettrait de la retrouver. Laissez-moi vous prouver qu’il avait raison.

Amien serra les mâchoires : il ressemblait maintenant à un prédateur. Il désigna un portail dans le dos de Paul :

— La station de métro Alexandre-Dumas est derrière vous, à cent mètres. Disparaissez. Je vous donne jusqu’à midi pour mettre la main dessus.

Paul comprit que le flic l’avait emmené ici intentionnellement. Il avait toujours voulu lui proposer ce marché. Il lui glissa une carte de visite dans la poche :

— Mon portable. Retrouvez-la, Nerteaux. C’est votre seule chance de vous en tirer. Sinon, dans quelques heures, c’est vous qui serez la proie.

63

Paul ne prit pas le métro. Aucun flic digne de ce nom ne prend le métro.

Il sprinta jusqu’à la place Gambetta, le long du mur d’enceinte du cimetière, et récupéra sa voiture garée rue Emile-Landrin. Il attrapa son vieux plan de Paris, encore taché de sang, et relut la liste des derniers toubibs.

Sept chirurgiens.

Répartis dans quatre arrondissements de Paris et deux villes de banlieue.

Il marqua leur adresse d’un cercle sur son plan puis prépara l’itinéraire le plus rapide pour les interroger l’un après l’autre, en partant du 20e arrondissement.

Quand il fut certain de la voie à suivre, il fixa son gyrophare et démarra à fond, concentré sur le premier nom.

Docteur Jérôme Chéret.

18, rue du Rocher, 8e arrondissement.

Il mit le cap plein ouest, remonta le boulevard de la Villette, le boulevard Rochechouart, puis celui de Clichy. Il roulait exclusivement dans les couloirs protégés des bus, avalait les pistes cyclables, mordait les trottoirs, et prit même deux fois la circulation à contresens.

En vue du boulevard des Batignolles, il ralentit et appela Naubrel :

— Où tu en es ?

— Je sors des entreprises Matak. Je me suis démerdé avec les mecs de l’Hygiène. Une visite-surprise.

— Alors ?

— Une usine toute blanche, toute propre. Un vrai laboratoire. J’ai vu le caisson à haute pression. Briqué de près : inutile d’espérer la moindre trace. J’ai aussi parlé avec les ingénieurs...

Paul avait imaginé un site industriel, à l’abandon, plein de rouille et de hurlements que personne n’aurait pu entendre. Mais l’idée d’un espace immaculé lui semblait tout à coup plus adaptée.

— Tu as interrogé le patron ? trancha-t-il.

— Ouais. En douceur. Un Français. Il m’a paru blanc-blanc.

— Et plus haut ? Tu es remonté jusqu’aux propriétaires turcs ?

— Le site dépend d’une société anonyme, YALIN AS, elle-même affiliée à une holding enregistrée à Ankara. J’ai déjà contacté la Chambre de Commerce de...

— Magne-toi. Trouve la liste des actionnaires. Et garde en tête le nom d’Azer Akarsa.

Il raccrocha, consulta sa montre : vingt minutes depuis son départ du cimetière.

Au carrefour de Villiers, il braqua violemment à gauche et se retrouva dans la rue du Rocher. Il coupa sa sirène et ses lumières, entrée discrète obligée.

A 11 h 20, il sonnait chez Jérôme Chéret. On le fit passer par une porte dérobée pour ne pas effrayer la clientèle. Le médecin le reçut discrètement dans l’antichambre de sa salle d’opération.

— Juste un coup d’œil, prévint Paul après quelques mots d’explication.

Il s’en tint cette fois à deux documents : le portrait-robot de Sema, le nouveau visage d’Anna.

— C’est la même ? demanda le médecin d’un ton admiratif. Beau boulot.

— Vous la connaissez ou non ?

— Ni l’une ni l’autre. Désolé.

Paul dévala les escaliers, entre tapis rouge et moulures blanches. Une biffure sur son plan et en route. Il était 11 h 40.

Docteur Thierry Dewaele.

22, rue de Phalsbourg, 17e arrondissement.

Même genre d’immeuble, mêmes questions, même réponse.

A 12 h 15, Paul tournait de nouveau la clé de contact quand son portable sonna dans sa poche. Un message de Matkowska : il avait appelé durant la brève entrevue chez le médecin. Derrière ces murs épais de rupins, la connexion ne s’était pas faite. Il rappela aussi sec.

— J’ai du nouveau sur les sculptures antiques, dit Matkowska. Un site archéologique qui regroupe des têtes géantes. J’ai les photos. Ces statues ont des fissures... Exactement les mêmes dessins que les mutilations...

Paul ferma les yeux. Il ne savait pas ce qui l’exaltait le plus : s’approcher d’une folie meurtrière ou avoir eu raison depuis le début. Matkowska poursuivait, d’une voix frémissante :

— Ce sont des têtes de dieux, mi-grecs, mi-perses, qui datent du début de l’ère chrétienne. Le sanctuaire d’un roi, au sommet d’une montagne, en Turquie orientale...

— Où exactement ?

— Au sud-est. Vers la frontière syrienne.

— Donne-moi des noms de villes importantes.

— Attendez.