Выбрать главу

— Vous n’êtes pas le premier à me montrer ce visage.

— Quel visage ? tressaillit Paul.

— Celui-là.

Simonnet désignait le portrait-robot de Sema Gokalp.

— Qui vous l’a déjà montré ? Un policier ?

Il acquiesça. Ses doigts grattouillaient toujours la nuque du matou. Paul songea à Schiffer :

— Un certain âge, costaud, les cheveux argentés ?

— Non. Un jeune homme. Mal coiffé. Le genre étudiant. Il avait un léger accent.

Paul encaissait maintenant chaque coup comme un boxeur au fond des cordes. Il dut s’appuyer contre le plateau de marbre de la cheminée.

— Turc, l’accent ?

— Comment voulez-vous que je sache ? Oriental, oui, peut-être.

— Quand est-il venu ?

— Hier, dans la matinée.

— Quel nom a-t-il donné ?

— Pas de nom.

— Un contact ?

— Non. C’était étrange. Dans les films, vous laissez toujours des coordonnées, non ?

— Je reviens.

Paul courut à sa voiture. Il prit un des tirages des obsèques de Türkes où apparaissait Akarsa. Une fois de retour, il tendit le cliché :

— L’homme en question est-il sur cette photo ?

Le chirurgien désigna l’homme en veste de velours :

— C’est lui. Aucun doute possible.

Il leva les pupilles :

— Ce n’est pas un collègue à vous ?

Paul puisa au tréfonds de lui-même quelques parcelles de sang-froid et montra à nouveau le portrait informatique de la rousse :

— Vous m’avez dit qu’il vous avait soumis ce portrait. C’était exactement le même ? Un dessin comme celui-ci ?

— Non. Une photographie noir et blanc. Une photo de groupe, en fait. Sur un campus d’université, quelque chose de ce genre. La qualité était mauvaise mais la femme était la même que la vôtre. Aucun doute.

Sema Gokalp, jeune et vaillante parmi d’autres étudiantes turques, flotta un instant devant ses yeux.

La seule photo que possédaient les Loups Gris.

L’image floue qui avait coûté la vie à trois femmes innocentes.

Paul démarra en laissant de la gomme sur l’asphalte.

Il fixa de nouveau son gyrophare sur le toit et envoya la sauce, lumières et sirène perçant cette journée d’aquarium.

Les déductions en cascades.

Les battements de son cœur à l’unisson.

Les Loups Gris suivaient désormais la même piste que lui. Il leur avait fallu trois cadavres pour comprendre leur erreur. Ils cherchaient maintenant le plasticien qui avait métamorphosé leur Cible.

Nouvelle victoire posthume pour Schiffer.

« On va se retrouver sur les mêmes rails, fais-moi confiance. »

Paul regarda sa montre : 14 heures 30.

Plus que deux noms sur la liste.

Il devait débusquer le chirurgien avant les tueurs.

Il devait trouver la femme avant Eux.

Paul Nerteaux contre Azer Akarsa.

Le fils de personne contre le fils d’Asena, la Louve Blanche.

66

Frédéric Gruss habitait sur les hauteurs de Saint-Cloud. Le temps d’attraper la voie express le long de la Seine et de filer jusqu’au bois de Boulogne, Paul contacta encore une fois Naubrel :

— Toujours rien avec les Turcs ?

— Je galère, capitaine. Je...

— Tu laisses tomber.

— Quoi ?

— Tu as gardé des doubles des photos de l’enterrement de Türkes ?

— Je les ai dans mon ordinateur, ouais.

— Il y a une image où le cercueil est au premier plan.

— Attendez. Je note.

— Sur cette photo, le troisième homme en partant de la gauche est un jeune type, en veste de velours. Je veux que tu agrandisses son portrait et que tu lances un avis de recherche au nom de...

— Azer Akarsa ?

— Exactement.

— C’est lui le tueur ?

Paul avait les muscles de la gorge si tendus qu’il éprouvait des difficultés à parler :

— Lance l’avis de recherche.

— Ça roule. C’est tout ?

— Non. Tu vas voir Bomarzo, le magistrat en charge des homicides. Tu lui demandes un mandat de perquisition pour les entreprises Matak.

— Moi ? Mais il vaudrait mieux que ça soit vous qui...

— Tu y vas de ma part. Tu lui expliques que j’ai des preuves.

— Des preuves ?

— Un témoin oculaire. Appelle aussi Matkowska et demande-lui les clichés du Nemrut Dağ.

— Du quoi ?

De nouveau, il épela et expliqua de quoi il retournait.

— Vois aussi avec lui si le nom d’Akarsa n’est pas apparu parmi les visas. Tu regroupes tout ça et tu fonces chez le juge.

— Et s’il me demande où vous êtes ?

Paul hésita :

— Tu lui donnes ce numéro.

Il dicta les coordonnées d’Olivier Amien. Qu’ils se démerdent entre eux, pensa-t-il en raccrochant. Il était en vue du pont de Saint-Cloud.

15 heures 30.

Le boulevard de la République luisait littéralement dans le soleil, serpentant à travers la colline qui mène à Saint-Cloud. Un grand éblouissement de printemps, déjà propice aux épaules nues, aux poses languides le long des terrasses de café. Dommage : pour le dernier acte, Paul aurait préféré un ciel chargé de menaces. Un ciel d’apocalypse, déchiré d’orages et de noirceur.

En remontant le boulevard, il se souvint de sa visite à la morgue de Garches avec Schiffer : combien de siècles s’étaient écoulés depuis cette journée ?

Sur les hauteurs de la ville, il découvrit des rues calmes et sereines. La crème de la crème des beaux quartiers. Un petit concentré de vanité et de richesse dominant la vallée de la Seine et la « basse ville ».

Paul grelottait. La fièvre, l’épuisement et l’excitation. De brèves éclipses trouaient sa vision. Des étoiles sombres frappaient le fond de ses orbites. Il était incapable de résister au sommeil, c’était une de ses faiblesses. Il n’y était jamais parvenu, même lorsqu’il était enfant, et qu’il guettait, paralysé d’angoisse, le retour de son père.

Son père. L’image du vieux commença à se confondre avec celle de Schiffer, les lacérations du siège de Skaï mêlées aux blessures du cadavre couvert de cendres...

Un coup de klaxon le réveilla. Le feu était passé au vert. Il s’était endormi. Il démarra avec rage et trouva enfin la rue des Chênes.

Il s’y engagea et ralentit, en quête du numéro 37. Les demeures étaient invisibles, cachées derrière des murs de pierre ou des rangées de pins ; des insectes bourdonnaient ; toute la nature semblait engourdie par le soleil de printemps.

Il trouva une place de stationnement juste devant le bon numéro : un portail noir, coincé entre des remparts blanchis à la chaux.

Il s’apprêtait à sonner quand il aperçut le battant entrouvert. Un signal d’alerte s’alluma sous son crâne. Cela ne cadrait pas avec l’atmosphère de méfiance générale du quartier. Paul dégagea machinalement le rabat Velcro qui serrait son arme.

Le parc de la propriété était sans surprise. Un parterre de pelouse, des arbres gris, une allée de gravier. Au fond, l’hôtel particulier s’élevait, massif, avec ses murs blancs et ses volets noirs. Un garage à deux ou trois places, fermé par une porte basculante, jouxtait l’édifice.