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— D’où sortez-vous tout cet attirail ? demanda l’inspecteur.

— Du pourpoint du mort.

— De celui de Lardin ?

— Celui du mort, pour le moment Ceci est un morceau de billet déchiré, sans cachet ni adresse.

Nicolas se mit à lire.

pour vous assurer de mes respects et pour

personne qui surpasse infiniment celle dernière

st fort jolie, grande et bien faite, car il semble qu’elle

que sa vue vous fera plaisir car, de surcroît, elle a beaucoup

d’entretenir par sa conversation. Aussi, j’attends votre visite pour

endredi et vous prie de tenir ci-joint le déguisement nécessaire en

arnaval. Je suis, monsieur, votre humble servante.

La Paulet

Bourdeau, au comble de l’excitation, se mit à sauter sur place, en criant :

— La preuve, la voilà la preuve ! C’est le papier qui était dans la poche de Descart, lorsqu’il en est venu aux mains avec Lardin au Dauphin couronné.

Nicolas jeta un œil sur la pièce métallique. Elle était un peu oxydée et il dut la frotter sur sa manche pour qu’apparaisse le dessin d’un poisson surmonté d’une couronne.

— Curieuse monnaie de singe ! Encore le Dauphin couronné !

— Il s’agit d’une tout autre volaille, monsieur. Ceci est un jeton de maison galante. Vous entrez, vous payez à la mère maquerelle, en échange elle vous donne un jeton que la fille vous réclamera une fois... une fois... la bouteille vide. Je vous l’apprends ?

Nicolas rougit et ne répondit pas à cette question directe.

— Il paraît donc bien que ce jeton provient du Dauphin couronné. Les présomptions s’accumulent, les preuves nous sont offertes. Le destin nous est par trop propice.

— Plaît-il ?

— Je vous dis que la voie facile n’est pas la voie de la vérité et que le destin nous fait des cadeaux douteux. Il reste que tout cela doit être précisément vérifié. Bourdeau, faites libérer la vieille Émilie ; elle ne peut rien nous apprendre de plus, pour le moment. Remettez-lui cette petite somme de ma part. Ensuite, courez rue des Blancs-Manteaux et tâchez de retrouver Catherine Gauss, la cuisinière des Lardin. Elle veut me parler et, comme elle a été chassée, je n’ai pu la voir ce matin. Quant à moi, je file de ce pas rue du Faubourg-Saint-Honoré faire connaissance de la Paulet.

— Doit-on annoncer à Mme Lardin la mort de son époux ?

— Provisoirement.

— Provisoirement ?

— Oui, mais je m’en chargerai. Quant aux pièces — et il désignait ce qu’il y avait sur la table — faites-les enfermer dans un endroit frais. Je garde le billet et le jeton. À bientôt, Bourdeau.

Nicolas décida de se rendre à pied rue du Faubourg-Saint-Honoré. La promenade serait longue, mais le temps froid se maintenait au beau. Le gel avait de nouveau durci le sol et le jeune homme arpentait gaillardement le pavé inégal et les fondrières gelées des rues de la capitale. Il avait toujours aimé marcher ; cet exercice était, pour lui, inséparable de la réflexion. Dans sa Bretagne natale, il aimait, sur les grèves désertes, voir se profiler à l’horizon les pointes des plages perdues dans les brumes. Il s’agissait de les atteindre et d’en découvrir une nouvelle qu’il faudrait à son tour rejoindre. Cette marche matinale lui fil du bien. Elle lui nettoyait l’âme. L’image des restes présumés du commissaire Lardin hantait son esprit et se mêlait au récit terrible de Sanson.

Quelque chose n’allait pas. Pourquoi ce corps tronçonné, ces vêtements dispersés, ce dépôt à Montfaucon, alors qu’il eût été si facile de le jeter à la Seine ? Pourquoi le ou les assassins n’avaient-ils pas soigneusement fouillé les poches du pourpoint de cuir, afin d’en retirer ce qui pouvait constituer des indices et les faire accuser ? Indices qui semblaient au contraire avoir été placés là pour qu’on les découvre aisément. Pourquoi cette mâchoire volontairement brisée et cette tache inexplicable sur le crâne ? Et, pour faire bonne mesure, que se passait-il rue des Blancs-Manteaux ? Quels desseins poursuivait Mme Lardin ? La haine de Catherine avait-elle pour seule raison le rejet d’une marâtre ayant usurpé la place de la mère de Marie ? Et ce cavalier insistant et omniprésent auquel répondait, plus lointaine, l’image menaçante du commissaire Camusot ? Et par-dessus tout cela, M de Sartine, proche et inaccessible, dont il sentait la volonté de le pousser dans des chemins de traverse incertains...

Nicolas avait atteint un espace immense où commençait à s’organiser, en lieu d’un ancien marécage, une place sur laquelle les échevins de Paris souhaitaient ériger une statue équestre du monarque régnant. L’endroit était toujours animé comme une fourmilière, mais la rigueur de l’hiver avait interrompu les travaux. Au bord du fleuve, et tout autour du périmètre, commençait à prendre forme l’enceinte octogonale d’un large fossé. Vers la ville, deux immenses bâtiments symétriques[16] sortaient de terre. Les échafaudages de bois, couverts de givre, leur dormaient l’aspect d’éphémères palais de cristal. Le tout formait un chaos de blocs titanesques à demi dissimulés sous la neige, glacier urbain sillonné de failles, de cavernes, de couloirs et de précipices. Sous le soleil éclatant, cela miroitait et transpirait une eau glacée qui, dans sa diffraction, jetait çà et là les feux multicolores du prisme.

Nicolas fit un long détour par la berge et traversa les jardins pour rejoindre la rue de la Bonne-Morue qui coupait, à angle droit, celle du Faubourg-Saint-Honoré. À quelques maisons de là, il repéra un immeuble de bonne apparence, à deux étages, que seule une enseigne de fer forgé, représentant un dauphin couronné, distinguait des autres demeures.

Il souleva le marteau de la porte.

VI

GROS

Ici, nulle pudeur et nulle retenue :

Sans honte, à vos regards,Cybèle paraît nue,

Modulant à son gré sa lascive chanson.

Chaque convive, ici, nomme tout par son nom.

Juvénal

Une négrillonne, tout enveloppée de madras, ouvrit la porte et lui demanda, en zézayant, ce qu’il désirait. Un petit singe travesti en arlequin sautait autour d’elle. Quand il vit Nicolas, il se hissa prestement sur les épaules de la fillette, agrippant le tissu de ses petites mains. Une fois sur la coiffe, il s’y cramponna et, pétillant de colère, se mit à lorgner le visiteur en crachant et en hurlant. La demoiselle rappela à l’ordre le fagotin[17] en le tirant par la queue. Il cessa son manège et poussa un jappement bref auquel répondit assourdi, de l’intérieur de la maison, un cri rauque suivi d’un : « Entrez, beaux Messieurs. »

Informée qu’il souhaitait s’entretenir avec la Paulet, la servante, sans marquer de surprise, le fit entrer dans une antichambre au carrelage ciré et aux murailles nues. Une frise géométrique courant le long de la corniche et un grand lustre à pendeloques de cristal égayaient un espace seulement occupé par deux banquettes en vis-à-vis, recouvertes de velours gris. Elle écarta une portière du même tissu et l’invita à pénétrer dans un salon où, sans un mot, elle le laissa.

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16

Il s’agit des hôtels symétriques des Ambassadeurs Extraordi­naires qui deviendront, par la suite, l’hôtel de Crillon et l’hôtel de la Marine.

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17

Singe habillé de vêtements.