Выбрать главу

— Le plus curieux, en effet, madame, c’est que vous savez parfaitement que cette rencontre n’était pas fortuite et que, si Descart était là, c’est qu’il y était invité.

Sans doute sensible au changement de ton de Nicolas, le perroquet se mit à piailler, tandis que la Paulet s’agitait et tentait, sans succès, d’échapper aux poignes de fer qui enserraient ses bras. Elle remuait la tête, la bouche vermillon s’ouvrait comme si elle ne parvenait pas à reprendre sa respiration. Un fragment de blanc tomba sur la robe et se dissipa en un léger nuage. Sous l’effet de la surprise et de la colère, son masque se fissurait en débâcle.

— Sale petit pouacre. Lâche-moi, lu me fais mal ! Qu’as-tu à fouiller ainsi ? Tu es plus mouchard que les mouches ! C’est Descart qui t’a dit cela ? Je lui réserve un chien de ma chienne.

— Non, c’est Lardin, jeta Nicolas qui attendit la réaction.

Elle le regardait, hébétée.

— Ce n’est pas possible.

— Et pourquoi donc ?

— Mais... je ne sais pas.

— Moi, je sais quelque chose, lâcha en rafale Nicolas, c’est que la Paulet file un mauvais coton, que la Paulet, croyant parler à un acolyte du commissaire Camusot, s’est trompée de public, qu’elle a lâché beaucoup de propos graves et circonstanciés qui font qu’il y a mille raisons de fermer le Dauphin couronné, d’arrêter ladite Paulet, de la transférer au Châtelet, de l’y faire interroger par le bourreau, de la faire condamner et enfermer à vie, toute brisée et sanglante, à l’Hôpital général ou à la Grande Force. Que toutes ses prétintailles d’arguments n’y feront rien, ni ses protections qui s’évanouiront à l’annonce de son arrestation. En un mot, madame, vous avez eu le malheur de me prendre pour qui je ne suis pas.

— Mais enfin, qui êtes-vous ?

— Je suis l’envoyé de M. de Sartine, lieutenant général de police, madame.

Nicolas, à la vue de la Paulet effondrée, sut que le poisson était ferré et qu’il devenait politique de laisser un peu de mou dans la prise. Il revit une petite anse rocheuse, dans l’embouchure de la Vilaine, entre Camoël et Arzal, où il allait, avec des coquins de son âge, pêcher les grands saumons qui remontaient le courant. La Paulet était prise, il fallait la forcer à cracher le morceau.

— Que voulez-vous de moi, monsieur ?

— Allons, allons, nous ne sommes pas mauvais garçon. Vous m’avez très aimablement accueilli ; vos bontés n’ont pas touché un ingrat. Mais il faut être sérieux. Si vous voulez que j’arrange vos affaires, vous devez, sans barguigner, vous ranger du bon côté, c’est-à-dire du côté du plus fort, du côté où les sûretés seront les plus assurées. Voilà, dans votre situation, un argument à ne pas négliger.

Le poisson reprit mouvement et tenta de faire diversion.

— Je ne peux vous aider en rien. Je ne suis qu’une pauvre femme victime des méchants. J’ai obéi à la police. Réglez vos comptes entre vous.

— J’écarte cette affaire-là, que nous reprendrons plus tard. Ce que je veux savoir, c’est pourquoi et comment Descart s’est trouvé là vendredi soir.

— Je n’en sais rien.

— Il avait coutume de venir à l’improviste ?

— Sans doute.

Le poisson gagnait du terrain, sa nage était plus ample et il songeait à rompre la ligne. Il n’était que temps de faire à nouveau sentir la pointe. Il sortit la montre de son tuteur, qui venait de sonner onze heures.

— Je vous donne trois minutes pour me dire, de la manière la plus précise et la plus exacte, les conditions de la visite, ici, vendredi soir, du docteur Descart. Ce délai écoulé, je vous traîne au Châtelet.

— Le commissaire Lardin l’avait invité.

— Pour se battre ensuite avec lui ? Cela n’a pas le sens commun.

— C’est tout ce que je sais.

— Ou c’est tout ce que vous voulez dire ?

La Paulet paraissait butée. Le visage fermé, tassée sur elle-même, elle ressemblait à une de ces idoles païennes dont l’ami Pigneau avait montré des gravures à Nicolas, un jour qu’il rêvait à son voyage futur dans les Indes orientales. Le jeune homme décida de sortir le poisson de l’eau. Il brandit, sous les yeux de la Paulet, le morceau de billet trouvé dans le pourpoint de cuir de l’inconnu de Montfaucon. Il le tenait de telle manière qu’elle ne puisse voir qu’il n’avait que la moitié du document.

— Vous reconnaissez votre écriture et votre signature, madame ?

La Paulet se tordit en arrière et poussa un hurlement strident. Prise de frénésie, elle déchirait ses vêtements. Le salon cossu se transforma d’un coup en pandémonium. Le perroquet s’envola, se cogna aux murs et au lustre dont les tintements cristallins ajoutèrent à la cacophonie ambiante. La négrillonne entra en coup de vent, hurlant elle aussi, et criant à l’assassin. Elle était suivie du singe qui se mit à sauter et à tourner sur lui-même comme un derviche de la Porte. Nicolas, impassible, se leva, saisit un des carafons du cabaret et, visant un espace de carrelage entre deux tapis, le fracassa sur le sol. Le geste et le bruit les frappèrent de stupeur.

La Paulet se redressa, le perroquet se posa sur le Cupidon qui surmontait la pendule de la cheminée et entreprit de mettre en pièces la chandelle d’un bougeoir ; le singe se réfugia sous la jupe de sa petite maîtresse, qui se figea, les mains sur la tête et la bouche grande ouverte sur des dents éclatantes de blancheur. Ce visage frappa Nicolas, qui ne parvint pas à saisir la pensée furtive que sa vue suscitait en lui.

— Il suffît, dit-il. Jeune fille, apportez-moi de quoi écrire.

Ce fut le singe qui quitta la pièce le premier. Il jaillit de la jupe et, ventre à terre, fila dans le vestibule. La négrillonne obéit et sortit à son tour.

— Madame, reconnaissez-vous ce papier ?

— Je n’ai été qu’un instrument, mon bon jeune homme, répondit la Paulet, qui reprenait ses esprits. Lardin m’a demandé un service. Il s’agissait d’inviter Descart, sous le prétexte de rencontrer une nouvelle fille. Le billet était accompagné de l’envoi d’une lévite noire et d’un loup à chute de satin. J’ai obéi. C’est tout, foi de Paulet. Je vous conjure de me croire. Je suis, dans mon genre, une honnête femme. Je donne aux pauvres et fais mes Pâques.

— Je ne vous en demande pas tant. Vous êtes désormais sous ma protection. Protection gracieuse, voyez comme vous gagnez au change.

La servante lui tendit un plateau avec du papier, une plume et un encrier. Il écrivit quelques mots et tendit la feuille à la Paulet.

— Si vous avez besoin de moi, ou s’il advient quelque chose que vous jugez utile de me faire connaître, envoyez-moi ce message sans signature.

Elle lut le papier où étaient inscrits ces mots : « Le saumon est sur la berge. »

— Que signifie...

— Peu vous importe, cela signifie beaucoup pour moi. Une dernière chose. Écrivez : « Je reconnais être l’auteur du billet adressé à M. Descart. l’invitant au Dauphin couronné, le vendredi 2 février 1761. »