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Elle s’évertuait, en tirant la langue, à former des mots d’une écriture enfantine.

— « Et cela à la demande expresse du commissaire Lardin. » Signez... Je vous remercie, madame, notre entretien fut des plus fructueux.

Nicolas quitta les lieux très satisfait de lui-même et avec le sentiment du devoir accompli. Son enquête avait considérablement progressé, d’autant plus que l’affaire des jeux et celle de la disparition de Lardin paraissaient désormais s’articuler entre elles. Il disposait à présent d’un témoin précieux. Les manigances de Camusot s’éclairaient d’un jour nouveau, dévoilant la collusion entre les deux magistrats de police. Il s’avérait que Lardin était bien tombé dans un piège lié à l’enquête qu’il menait dans les milieux du jeu et qu’un chantage s’exerçait sur lui. Son image ressortait bien abîmée de ces découvertes successives.

Quant à sa femme, les impressions de Nicolas se confirmaient et il comprenait mieux la raison du malaise où le plongeait chacune de leurs rencontres. Si son mari avait vraiment été assassiné, plusieurs hypothèses apparaissaient plausibles. Soit qu’il ait été dans l’impossibilité de faire face à ses dettes et que les menaces de ses créanciers aient été mises à exécution, soit encore que Descart, démasque dans ses turpitudes, se soit vengé en le tuant. Quels étaient, dans ce cas, le rôle et la responsabilité de Louise Lardin ?

L’avantage de tout cela c’était que Semacgus paraissait hors de cause, n’ayant été ni de près ni de loin compromis dans ces affaires, à l’exception de sa passade avec Mme Lardin. Enfin, Nicolas comprenait maintenant les réticences et la discrétion de M. de Sartine, incertain de la loyauté de Lardin et soucieux de ne pas donner l’alarme au commissaire Camusot.

Guilleret, Nicolas courait presque, sautant les monticules de neige et glissant joyeusement sur les plaques de glace. Il était impatient, pour le coup, de faire un compte rendu complet à M. de Sartine dont il imaginait déjà la surprise et la satisfaction.

Pour rejoindre au plus vite le Châtelet, où le lieutenant général tenait son audience du mercredi, il décida de prendre un fiacre. Comme il observait la rue afin de trouver quelque voiture disponible, il entendit derrière lui, assourdi par la neige, le bruit d’un véhicule qui menait grand train. Il remarqua, en un éclair, le cocher au visage emmitouflé. Il lui fit signe d’arrêter mais, à vingt pas, le conducteur fouetta son cheval qui partit au galop. La voiture fonçait maintenant sur lui. Son dernier geste conscient fut de tenter de s’écarter, mais l’espace entre lui et les maisons était trop restreint ; il fut brutalement heurté à l’épaule, projeté en l’air et retomba sur le pavé glacé où sa tête rebondit. Un grand éclair jaillit devant ses yeux, puis il sombra dans l’inconscience.

VII

BRUITS ET FUREURS

I pall in resolution, and begin

To doubt the equivocation of the fiend

That lies like truth...

Ma résolution s’affaiblit, et je commence

À soupçonner une équivoque du démon

Qui ment tout en semblant dire vrai...

Shakespeare

— Eh bien, Nicolas, comment te sens-tu ? Tu m’as fait une jolie peur !

Il tenta d’ouvrir les yeux, porta la main à sa tète et sentit, derrière l’oreille gauche, une énorme bosse recouverte d’un morceau de taffetas. Il était allongé, nu, dans un lit. Une jeune femme en chenille[23] assise sur une chaise auprès de lui, le regardait en souriant. Il remonta le drap jusqu’au cou et l’interrogea du regard.

— Tu ne me reconnais pas ? Antoinette, ton amie.

— Mais oui... Que m’est-il arrivé ? Je rêvais d’une chute de cheval.

— Il s’agit bien d’un cheval ! Ce matin, au sortir de chez moi, j’ai vu un fiacre essayer de t’écraser. Tu peux m’en croire, on voulait te tuer, et le cocher a dirigé sur toi. Tu as été renversé et il ne s’est pas arrêté. J’ai couru, tu perdais du sang et tu étais si blanc que j’ai eu peur. Je t’ai fait porter dans ma chambre et j’ai appelé un voisin barbier qui t’a pansé et saigne. Il a dit que tu n’étais qu’assommé. Et te voilà réveillé, j’en suis bien heureuse.

— Qui m’a dévêtu ?

— Eh quoi ! Toujours aussi pudique ! C’est moi, et ce n’est pas la première fois... Tu ne voulais pas que je gâche ma couchette avec tous tes vêtements boueux et sanglants ?

Il rougit. Antoinette avait été, au début de son premier séjour à Paris, une petite distraction dont il s’accusait souvent en pensant à Isabelle. La gentillesse et la simplicité de la jeune fille l’avaient séduit et ému. Elle travaillait comme femme de chambre chez l’épouse d’un président au Parlement. Toujours rieuse et discrète. Elle ne lui avait jamais rien demandé. Il éprouvait pour elle une tendre amitié et lui avait fait de petits cadeaux — un châle, un bouquet, un dé à coudre en argent et l’avait quelquefois emmenée, aux beaux jours, déjeuner dans une guinguette des faubourgs.

— Quelle heure est-il donc ?

— L’Angélus vient de sonner à Saint-Roch.

— Comment, si tard ? Il faut que je parte.

Il tenta de se lever, mais un vertige le rejeta sur sa couche.

— Tu dois te reposer encore un peu, Nicolas.

— Mais, toi ? Ton service ?

Elle détourna le regard et ne répondit pas. Elle frissonna, la chambre n’étant pas chauffée. Elle entra dans le lit et se blottit contre lui. Il éprouvait une grande reconnaissance pour elle. Il retrouva son parfum, sa douceur, et il lui sembla rejoindre un rêve interrompu. Il ne la vit pas se dévêtir et n’eut pas le courage de la repousser. Il se laissa aller aux gestes habituels et toujours nouveaux, mais il n’avait jamais ressenti pareille langueur. Ses gestes étaient ralentis et ses sensations exacerbées. Avant de s’abandonner à une torpeur heureuse, il éprouva sans remords le bonheur de ce moment d’apaisement.

Jeudi 8 février 1761

Une odeur de café[24] réveilla Nicolas. Il se sentait dispos, même si sa blessure à la tête se rappelait à son souvenir par des élancements douloureux. Antoinette, déjà vêtue, lui tendit un bol de café et un petit pain. Elle était descendue faire ses emplettes au petit matin. Nicolas l’attira vers lui et l’embrassa. Elle se dégagea en riant.

— Les chutes te réussissent, tu n’étais pas le même hier soir. Plus tendre, plus...

Il buvait son café sans répondre. Il la considérait avec un mélange d’attendrissement et de confusion.

— Antoinette, tu n’es plus logée chez le président ?

Il se souvenait d’une petite chambre et d’un escalier de service en colimaçon qu’il gravissait, les souliers à la main, tremblant d’être découvert.

— C’est une longue histoire, répondit la jeune fille. J’étais heureuse depuis deux ans dans cette maison. La tâche n’était pas rude et Madame était douce avec moi. Mais, il y a un an, un cousin de Monsieur s’est installé dans leur hôtel et a commencé à me tenir des propos de galanterie. Au début, j’ai ri et les ai ignorés en lui disant que je n’étais pas entrée dans cette maison pour y trouver mon déshonneur et que je n’étais pas faite pour le libertinage, qu’il avait d’ailleurs une femme, jeune et jolie, à laquelle il devait se consacrer...

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23

En tenue déshabillée.

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24

Le café devient rapidement, au XVIIIe siècle, une boisson très populaire, notamment mélangé avec le lait.