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Marion apparut, guidée par un Cyrus piaffant qui était allé la quérir dans l’office.

— Marion, M. Nicolas sera désormais des nôtres. Préparez la chambre bleue. Demandez à Poitevin d’y monter le bagage de notre ami. Secundo, j’offrirai, dimanche, un souper. Nous ferons aussi un peu de musique. Nous serons cinq, avec Nicolas et ses amis, le père Grégoire des Carmes et ce jeune séminariste, M. Pigneau, que vous me présentâtes un jour au concert spirituel ; enfin nous aurons M. Balbastre, l’organiste de Notre-Dame[44]. Je vous donnerai des billets à faire porter. Quant au repas, Marion. je compte que vous me ferez honneur. Il n’y a pas plus fines gueules que les prêtres et les musiciens, sauf, peut-être, les magistrats.

Marion avait écouté son maître, avec une satisfaction visible, en joignant ses mains de contentement. Elle disparut aussi vite que le lui permettaient ses vieilles jambes, afin d’apprendre la bonne nouvelle à Poitevin.

Nicolas découvrit avec ravissement la chambre qui lui était destinée. L’alcôve, qui abritait un petit lit, était entourée de deux bibliothèques installées dans l’épaisseur du mur et pleines de la plinthe jusqu’à la corniche. Les livres paraissaient toujours monter une garde silencieuse autour de lui. Enfant, il avait passé bien des heures en leur compagnie, dans le grenier de la maison de Guérande, et plus tard dans la bibliothèque du marquis, à Ranreuil. Rien ne pouvait advenir de mauvais, lorsqu’on était protégé par des alignements de reliures fraternelles. Il suffisait d’ouvrir un volume pour que s’élève une petite musique toujours émouvante et jamais semblable. Un secrétaire à cylindre, un fauteuil, une table de toilette et une petite cheminée complétaient l’ensemble de l’ameublement de la chambre tapissée d’un papier bleu à motif fleuri. Jamais Nicolas n’avait vécu dans un tel luxe. Il n’y avait pas de comparaison possible avec la mansarde des Blancs-Manteaux.

Après l’heureuse conclusion de sa visite rue Montmartre et le beau temps aidant. Nicolas rejoignit le Châtelet tout attendri de contentement. Il inspecta cependant les alentours du sombre monument, mais l’objet de sa recherche, le sagace Tirepot, ne parut pas. Sans doute ses recherches n’avaient-elles pas encore abouti. Il est vrai qu’elles exigeaient beaucoup de prudence. Nicolas savait que ce type de démarche aventurée mettait souvent en danger la vie des informateurs. On ne pouvait leur reprocher de prendre leur temps et de multiplier les précautions lorsque leur enquête les conduisait au cœur des ténèbres du Paris criminel.

Dès son arrivée, il s’enquit auprès du geôlier en chef de la cellule dans laquelle l’inspecteur avait fait incarcérer Semacgus. Il lui fut répondu que M. Bourdeau était demeuré enfermé toute la nuit avec un prisonnier inconnu enregistré sous le nom de « M. d’Issy » ; il s’y trouvait d’ailleurs encore. C’était une cellule à pistole, au confort décent, avec un ordinaire pouvant être commandé à l’extérieur. Nicolas admira la prudence de son adjoint.

Après s’être fait reconnaître, le jeune homme entra dans la pièce et fut frappé par l’atmosphère confinée, mélange d’odeur de paille et d’âcreté de corps en sommeil. Au-dessus de tout cela flottaient des miasmes de fumée froide. Semacgus et Bourdeau avaient dû sacrifier à leur penchant commun du tabac. L’inspecteur était en redingote, la cravate dénouée et sa chevelure grise ébouriffée. Semacgus, allongé sur la paille de la couchette, dormait, le tricorne sur les yeux. Sur la table, des carcasses de poulets, deux verres et trois bouteilles vides témoignaient que les événements tragiques de Vaugirard n’avaient pas coupé l’appétit aux deux compères. Nicolas songea que ce n’était pas là la manière de faire d’un assassin présumé. Il se corrigea aussitôt ; la remarque pouvait tout aussi bien confirmer la dureté de cœur et l’insensibilité d’un criminel avéré. Il prit la chose comme une leçon. Toute apparence avait une double face, selon le jugement porté a priori dans un sens ou dans un autre. Il mesura ainsi la fragilité des témoignages humains soumis aux humeurs et à la première impulsion donnée.

Après avoir considéré Semacgus allongé, il pria Bourdeau d’aller faire toilette et de le rejoindre ensuite ; il souhaitait demeurer seul avec le suspect. Bourdeau obéit, non sans dissimuler le désappointement que cet éloignement lui causait. De fait, Nicolas avait ses raisons de préférer une entrevue sans témoin. Il la justifiait — sans se convaincre lui-même — par la nécessité de préserver son mystère, et par conséquent son autorité, aux yeux de son adjoint. La vérité, plus prosaïque, résidait dans le fait que, n’ayant pas tout dit à Bourdeau de ses aventures de la veille et de sa nuit chez la Satin, il ne voulait pas être pris en flagrant délit de dissimulation.

Nicolas hésita encore un moment avant de secouer l’épaule de Semacgus. Il avait scrupule à tirer de son repos un homme promis aux plus graves accusations et pour lequel ses sentiments n’avaient pas varié. Semacgus soupira, se redressa et son chapeau roula à terre. L’effroi fugitif qui se dessina sur son visage disparut lorsqu’il reconnut Nicolas.

— Le vin de M. Bourdeau est plus efficace par ses qualités narcotiques et soporatives que l’élixir opiacé le mieux concentré, dit-il en bâillant. Par Dieu, quel sommeil ! Mais vous voilà la mine bien sérieuse, mon cher Nicolas...

Il se leva et saisit une chaise sur laquelle il s’installa à califourchon.

— C’est sans doute à vous que je dois d’être logé dans cette chambre ? Je vous en sais gré.

Il y avait à la fois de la reconnaissance et de l’ironie dans sa voix.

— Je crois, en effet, que vous le pouvez, sourit Nicolas. Outre que vous auriez pu passer la nuit dans l’un de ces séjours divins que sont « La Barbarie » ou « Les Chaînes », on eût pu préférer vous accueillir dans « La Fin d’aise », célèbre par ses reptiles et son ordure, ou encore dans « La Fosse », en cône renversé, dans laquelle, le dos courbé et les pieds dans l’eau, il vous aurait été loisible de méditer sur l’inconvénient de ne pas faire confiance à ses amis[45].

— Oh ! Oh ! Voilà, je le crois, une pierre dans mon jardin qui impose que celui qui la jette en fournisse aussi l’explication.

Nicolas s’assit sur l’autre chaise.

— J’ai voulu que cet entretien n’ait pas de témoin, reprit-il. Ce n’est pas un interrogatoire officiel. La chose viendra peut-être mais, pour le moment, je voudrais vous parler de certains faits avec la plus grande ouverture. N’y voyez ni malice ni ruse de ma part. Vous y discernerez sans doute un peu de candeur, mais c’est une part préservée de moi-même que je n’entends pas encore abandonner. La forteresse est pourtant investie et vous y avez contribué...

Semacgus écoutait, sans trace d’émotion particulière.

— Vous n’avez, à aucun moment, joué partie claire avec moi. Dès notre rencontre à la Basse-Geôle, vous vous êtes montré fuyant, imprécis et dissimulé. Reprenons, si vous le voulez bien. Vous m’avez déclaré être parti de chez la Paulet à trois heures du matin. Cette précision m’avait alors étonné chez quelqu’un qui sortait d’une partie fine. Dès cet instant, vous étiez suspect...

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44

Compositeur et organiste français (1727-1799).

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45

Les plus célèbres fosses du Châtelet. Dès 1670, Louis XIV avait édicté que « les prisons du Châtelet soient saines », mais c’est Louis XVI, en 1780, qui décida de les supprimer.