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— Du meurtre de Lardin ?

— Suspect. C’est vous qui, pour la deuxième fois, évoquez l’assassinat hypothétique du commissaire. Vous étiez aussi convaincu de dissimulation ; ainsi m’avez-vous déclaré plus tard n’avoir cédé qu’une seule fois à Louise Lardin. Or, il appert, selon des témoignages recevables, que votre liaison avec la femme de votre ami durait encore, et dure peut-être à l’heure où nous sommes. Enfin...

Nicolas sortit de la poche de son habit un papier vierge qu’il feignit de lire.

— « A déclaré avoir reçu un louis pour dire et affirmer que ledit inconnu était demeuré avec elle jusqu’à trois heures du malin et pour n’avouer jamais qu’il était parti bien avant. Interrogée sur ce point, a dit et répété que ledit inconnu était sorti sans que quiconque pût l’apercevoir par la porte dérobée du jardin par laquelle les joueurs se retirent en cas de descente de police. À la question à quelle heure était-il parti, ladite fille a répondu : Un quart d’heure après minuit. » Cette fille s’appelle la Satin. Inutile de vous demander si vous la connaissez, n’est-ce pas ?

— Nicolas, vous faites les questions et les réponses. De plus, tout cela a-t-il quelque chose à voir avec le meurtre du docteur Descart ?

— En effet la chose reste à prouver. Je tente simplement de vous faire comprendre qu’un magistrat qui ne vous connaîtrait pas et qui procéderait à l’examen de votre cas, concernant la disparition de Lardin, en viendrait, en toute bonne foi, à douter de vos déclarations. Imaginez ensuite que ce même magistrat vous retrouve dans une affaire de meurtre et, qui plus est, dans le meurtre d’un homme avec lequel, de notoriété publique, vos relations étaient pour le moins difficiles, mettez ensemble toutes ces conjonctions d’impressions et de faits et concluez vous-même sur les issues vraisemblables. Mesurez alors la chance d’avoir affaire à moi. à un ami qui — c’est ainsi — détient un pouvoir discrétionnaire sur l’instruction de ces deux affaires et qui espère que vous n’êtes pour rien dans ces deux drames. Considérez donc ma position et jugez si le moment n’est pas venu de vous ouvrir à moi des circonstances vraies et réelles et des conditions dans lesquelles vous y avez été mêlé.

Un long silence suivit cet exorde prononcé d’une voix appuyée et que Nicolas avait ponctué, à plusieurs reprises, en martelant de ses paumes la surface crasseuse de ta table. Semacgus, pensif, se leva, fit quelques pas dans la cellule, se rassit, puis, après un soupir, prit la parole.

— Je suis sensible, mon cher Nicolas, à vos propos et aux sentiments qui les inspirent. Je n’avais pas mesuré la chance d’avoir un ami pour enquêteur. Pardonnez-moi, mais votre élévation a été si soudaine que, malgré l’estime que je vous porte, j’étais loin d’avoir dans vos capacités la confiance requise par les circonstances. Aussi, je vous le demande en grâce, faisons table rase de mes tergiversations passées. Je suis prêt à répondre à toutes vos questions. Mais je vous préviens, l’évidence peut conduire parfois à de fausses certitudes. C’est un innocent qui vous parle.

— Mon ami, voilà ce que je voulais entendre. Je vais d’abord vous demander de m’expliquer. Bourdeau m’a déjà fourni les détails sur la découverte du corps de Descart — les conditions dans lesquelles vous avez été appelé à le rencontrer avant-hier soir.

Semacgus réfléchit un moment, et commença :

— Vers neuf heures, on a tiré la sonnette de ma demeure. Awa, qui ne cesse d’attendre des nouvelles de Saint-Louis, s’est précipitée à la porte. Elle a trouvé à terre une lettre pliée en quatre et fermée d’un pain à cacheter. Ne sachant qu’en faire, elle me l’a aussitôt portée. Je l’ai ouverte...

Semacgus fouilla dans le revers de sa manche droite et en sortit un petit billet qu’il tendit à Nicolas.

— Pas d’adresse..., constata celui-ci. Aucune marque sur le pain. Voyons... « Venez ce soir à la maison, je vous attendrai à la demie de cinq heures. Guillaume Descart. » Le papier a été déchiré...

— Il l’était quand je l’ai reçu des mains d’Awa. Mais Descart était économe, pour ne pas dire avare.

— Awa aurait-elle pu en couper un morceau ?

— Impossible, elle ne sait pas lire, et considérez l’ensemble ; les pliures coïncident, y compris avec les traces de pain à cacheter.

— C’est vrai. Quelle fut votre première réaction à la lecture de ce billet ? L’écriture de Descart ne vous était pas étrangère.

— En effet, du temps où nos relations étaient plus suivies, il m’envoyait certaines pratiques indignes de sa science. J’ai donc parfaitement reconnu son écriture. À vrai dire, le laconisme de la lettre m’a intrigué, mais le personnage était étrange et j’ai pris l’invitation pour ce qu’elle paraissait être, une demande d’entretien. Je me suis creusé la tête pour deviner son objet. Notre dernière rencontre, vous étiez là, avait tourné court. Au fond, je ne m’attendais guère à une offre de réconciliation.

— Vous avez dit à Bourdeau que seule une raison grave, touchant à l’exercice de votre étal, pouvait justifier cette convocation.

— Certes, je pouvais imaginer qu’il tint à m’informer de l’état de la procédure qu’il avait engagée visant à m’interdire l’exercice de la médecine, à moi, chirurgien de marine. Ce genre de provocation l’aurait rempli d’aise.

— Pour quelle raison êtes-vous arrivé en avance à Vaugirard ?

— Je devais déposer un herbier de plantes tropicales au Jardin des plantes. J’avais vu large dans mon horaire ; le temps était menaçant. Je suis donc rentré à Vaugirard et n’ai pas cru pendable de me présenter chez Descart avec un peu d’avance.

— Lorsque vous avez découvert le corps de Descart, rien ne vous a frappé ?

— J’étais hors de moi, ayant compris aussitôt dans quel piège j’étais tombé et que j’allais faire un suspect sur mesure. J’ai constaté le décès. J’ai vu la lancette. Elle m’a rappelé notre controverse sur la saignée et qu’ainsi l’instrument du crime allait témoigner aussi contre moi ! Je n’ai rien vu d’autre. N’oubliez pas que je n’avais qu’un bout de chandelle pour m’éclairer.

Nicolas fit durer le silence qui s’était établi. Semacgus se tenait la tête entre les mains.

— Mon ami, dit le jeune homme, des éléments, de moi seul connus, m’incitent à considérer votre récit comme véridique. Mais, maintenant, il va falloir me répondre sur ce que je suis fondé à estimer être une suite de mensonges. À quelle heure avez-vous quitté l’établissement de la Paulet, vendredi dernier ?

— Vous me posez la question et vous savez la réponse.

— Je voulais vous l’entendre confirmer de votre propre bouche. Cela n’explique pas que vous me l’ayez dissimulé la première fois que je vous l’ai demandé. Pourquoi toute cette comédie avec cette fille ?

— Vous me contraignez, Nicolas, à admettre ce que je voulais vous cacher pour ne pas compromettre une tierce personne...

— Avec laquelle vous n’avez pas rompu et que vous continuiez à fréquenter...