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Semacgus fixait Nicolas.

— Je ne m’étonne plus que M. de Sartine vous ait confié cette enquête. Vous pensez et déduisez avec un temps d’avance. Vous serez un redoutable adversaire pour les criminels.

— Pas de flatteries, Semacgus. Expliquez-moi plutôt pourquoi vous êtes allé retrouver Mme Lardin cette nuit-là, alors que son mari venait de quitter en fureur le Dauphin couronné et que vous pouviez juger plus que probable son retour au logis ?

— Vous m’obligez à entrer dans des détails humiliants, Nicolas. Il avait toujours été convenu entre Louise et moi que la voie était réputée libre quand elle plaçait une chandelle allumée à la croisée de sa chambre. Et, connaissant Lardin, il y avait gros à parier que sa fureur l’engagerait à errer, de tripot en tripot, jusqu’à l’aube. Aussi, je ne risquais pas grand-chose.

— Jusqu’à quelle heure êtes-vous resté rue des Blancs-Manteaux ?

— Six heures. J’ai bien failli me heurter à Catherine qui venait prendre son service.

— Avez-vous revu Mme Lardin depuis ce jour ?

— Non, à aucun moment.

— Vous saviez que Descart était son amant, vous me l’aviez dit. Cela ne vous gênait pas un peu ?

— Vous êtes cruel, Nicolas. La passion fait admettre bien des choses que la morale réprouve.

— Vous m’avez dit aussi que Catherine savait pour Descart. Pensez-vous qu’elle se soit confiée à Marie Lardin ?

— Sans nul doute, tout ce qui pouvait porter préjudice à Louise, Catherine en faisait son pain blanc. Elle confiait tout à Marie, qui haïssait sa belle-mère. Sous son air de couventine et en dépit de son âge, c’est un caractère ardent. Elle adorait son père, qui le lui rendait bien.

Nicolas réfléchissait. Se pouvait-il que la douce Marie... Il repensa aux empreintes relevées à Vaugirard, si conformes aux chaussures de la jeune fille dans sa chambre des Blancs-Manteaux.

— Semacgus, comment pouvez-vous aimer Louise Lardin ?

— Je ne vous souhaite pas d’en connaître les raisons. Sachez que le pire est d’aimer sans estimer. Nicolas, avez-vous des nouvelles de Saint-Louis ?

— Aucune et je ne veux pas vous donner de fausses espérances à son sujet.

Semacgus baissa la tête et se retourna vers la muraille, accablé.

— Mon ami, reprit Nicolas après un silence, je dois vous demander encore quelque chose. Pour votre sécurité, comme pour la bonne marche de l’enquête, il me faut vous maintenir au secret. J’espère aboutir le plus rapidement possible. Je n’ai aucune confiance dans les cellules du Châtelet, où quiconque peut entrer. Je vais vous faire conduire à la Bastille, je vous assure que cela est préférable. Il y va de votre vie et certaines cellules valent leur portion d’arsenic et prédisposent à d’étranges suicides, cela s’est vu. L’instruction est alors close et les vrais coupables assurés de l’impunité. Il y a, dans ces deux affaires, des gens rien moins que recommandables.

— Que puis-je faire, sinon m’en remettre à vous ?

— Rien, en effet, mais ne perdez pas confiance. Travaillez à votre ouvrage. Je donnerai les ordres nécessaires pour qu’on ne vous refuse rien à la Bastille. Faites-moi une liste de ce dont vous avez besoin. Pour le monde extérieur, vous disparaissez ; cela diminuera les risques. Fiez-vous à moi.

Semacgus lui jeta un regard résigné. Nicolas le salua, sortit, referma soigneusement à clef la cellule et partit à la recherche de l’inspecteur Bourdeau. Il finit par le découvrir dans le bureau de permanence, attablé devant un bol de soupe que lui avait procuré le père Marie.

Nicolas se sentait coupable d’avoir, d’une manière si cavalière, écarté l’inspecteur de l’entretien avec Semacgus, mais Bourdeau lui évita toute gêne en lui tendant, sans un mot, deux plis. L’un portail son adresse tonnée d’une écriture haute et ferme et était fermé d’un sceau de cire rouge, portant « d’or à la bande d’azur chargée de trois sardines d’argent[46] », qu’il reconnut comme étant celui de M. de Sartine. L’autre, d’une écriture fine, lui fit bondir le cœur dans la poitrine. Il compta mentalement les jours qui s’étaient écoulés depuis sa dernière rencontre avec Isabelle. C’était le temps — plus d’une semaine — qu’il fallait à la poste royale pour joindre Guérande à Paris. La lettre avait dû être postée le samedi à midi, ou le lundi. Il la rangea dans sa chemise, à même la peau, dans l’intention de la lire plus tard, à loisir. Il ouvrit celle du lieutenant général de police. Le message était laconique et indiquait que, le roi accompagnant Mme de Pompadour à son château de Choisy, l’audience hebdomadaire qu’il accordait à M. de Sartine, chaque dimanche à Versailles, était reportée. Cette circonstance « offrait un délai supplémentaire pour éclairer rapidement l’affaire en question ». Il concluait en incitant Nicolas « à n’épargner rien ni personne pour aboutir ». Le temps pris à cette lecture avait permis à Bourdeau de se faire plus amène, ses bouderies ne durant jamais très longtemps. Sans un mot, Nicolas tendit à ce dernier le billet de Descart et, pendant que l’inspecteur l’examinait, il dut se retenir de reprendre la lettre d’Isabelle.

— Que vous en semble, Bourdeau ? demanda-t-il.

— Je crois, monsieur, que ce papier pourrait bien appartenir au corps d’une lettre et avoir été découpé après coup, pour un usage particulier.

— Je vois que nos avis concordent sur ce point. Reste à savoir la raison et l’auteur de ce montage. Mes compliments pour le soin que vous avez pris à Vaugirard. J’ai vu Rabouine, qui m’a été fort utile, tout autant que votre homme me des Blancs-Manteaux.

Bourdeau rosit de plaisir et parut tout à fait remis de sa déception.

— L’homme m’a fait rapport, après qu’il eut été relevé, dit-il. Il a vu Mme Lardin sortir à neuf heures et...

— Impossible, s’écria Nicolas, il m’a dit lui-même ne l’avoir point vue rentrer de la nuit. Ou alors il s’est assoupi, ce qui serait pardonnable par ce froid.

— J’allais tout juste vous signaler ce fait. Mon homme m’assure ne pas s’être endormi. J’ai tendance à le croire, je l’ai souvent éprouvé sans jamais trouver rien à redire à son service.

— Allons, il faut chercher : tout mystère a une explication. Redoublez la surveillance de la maison Lardin. Peut-être faudrait-il faire filer la femme du commissaire, que vous en semble ?

— Je me suis permis de l’ordonner ce matin.

— Vous êtes parfait, Bourdeau.

— Tellement parfait, qu’on me cache l’essentiel.

Nicolas s’était réjoui trop tôt, il s’en mordit les lèvres. Il n’avait pas encore l’usage suffisant des êtres. Il trouva cependant le biais pour se tirer d’affaire, il éclata de rire.

— Monsieur Bourdeau, vous êtes un sot. Vous n’avez donc pas compris que je n’avais rien à attendre d’un homme de l’âge et du caractère de Semacgus, qui eût été interrogé devant vous, homme respectable et pareillement âgé. Je croyais que vous aviez compris que vous n’étiez pas en cause. Et pour vous le prouver, voilà où nous en sommes. Semacgus nous avait menti, il avait quitté le Dauphin couronné, à minuit quinze, pour rejoindre Mme Lardin avec laquelle il était resté jusqu’à six heures. Pour Vaugirard, ma conviction est qu’il est hors de cause. Rabouine a dû vous dire que la maison était habitée pendant votre transport et qu’elle a ensuite été dûment visitée. Voilà, mon cher Bourdeau, de quoi panser les plaies de votre amour-propre.

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46

Armoiries d’Antoine Gabriel de Sartine qui, récemment anobli (comte d’Alby), avait tenu à faire figurer dans celles-ci l’image de ce poisson vendu jadis par un de ses aïeux, épicier, et qui faisait écho à son patronyme.