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— Il vous va trop bien, je veux dire parfaitement. Il ne vous manque que l’épée pour paraître à Versailles. Qu’en pensez-vous ?

— Je le prends, répondit Nicolas. Faites débroder l’ordre et relâcher légèrement la culotte. Quand pourra-t-il être prêt ?

— Dès demain. Je vous le ferai livrer chez le commissaire Lardin. Comment se porte-t-il ?

Nicolas jubilait ; Vachon lui avait, de lui-même, offert l’ouverture recherchée.

— Il y a longtemps que vous ne l’avez vu ?

— Juste après l’Epiphanie. Il est venu me commander ce n’est pourtant pas ma pratique — quatre capes de satin noir, avec leurs masques, et aussi un de ces pourpoints de cuir dont il aime se revêtir depuis des années.

— Toutes de la même taille, les capes ?

— Identiques.

— Vous les avez livrées ?

— Que non pas ! Le commissaire est venu les chercher dans les derniers jours du mois de janvier. Mais, monsieur, vous m’inquiétez, n’auraient-elles pas donné satisfaction ?

— Vous saurez toujours assez tôt, monsieur Vachon, que, depuis le 2 février dernier, M. Lardin n’a pas réapparu à son domicile et que la police — votre serviteur — est à sa recherche.

Nicolas avait cru que la soudaineté de cette annonce inciterait maître Vachon à lâcher quelque remarque. Il n’en fut rien. Le premier moment de stupeur passé, il ne fut plus question que de détails subalternes, de prises de mesures et d’assurances obséquieuses que tout serait déployé pour satisfaire le protégé de M. de Sartine qui précisa sa nouvelle adresse.

Quand il se retrouva dans la me Vieille-du-Temple, Nicolas eut l’idée de pousser jusqu’à la me des Blancs-

Manteaux toute proche. Il repéra vite la nouvelle mouche de relève et se fit reconnaître. Mme Lardin était au logis. La rumeur s’étant répandue dans le voisinage que la cuisinière avait été chassée, plusieurs matrones et une jeunesse étaient venues proposer leurs services. La mouche, joli garçon, avait facilement lié conversation avec elles ; elles n’étaient que trop heureuses de commenter aigrement leur déconvenue. Reçues par une Louise rechignée et hautaine, elles s’étaient vu répondre « qu’on n’avait besoin de personne » et claquer sèchement l’huis à la figure. Nicolas avait remarqué, lors de sa dernière nuit dans la maison, combien elle était laissée à l’abandon. Jamais, par exemple, Catherine n’aurait laissé pourrir une venaison dans le caveau. Mille et un détails de l’intérieur du logis témoignaient du laisser-aller le plus complet. Comment Mme Lardin, si raffinée et exigeante, pouvait-elle tolérer un tel désordre domestique ? Nicolas sentait bien qu’elle ne souhaitait plus de témoins dans sa demeure. C’est pour cette raison que Catherine et lui avaient été chassés, et Marie éloignée.

La mouche indiqua également à Nicolas qu’un personnage ressemblant au commissaire Lardin était apparu à la porte de l’église des Blancs-Manteaux. Il s’était engouffré dans l’édifice en apercevant l’indicateur qui s’était aussitôt jeté à sa suite, mais en vain. Il est vrai que le couvent possédait d’autres issues. Interrogée sur les raisons qui lui faisaient penser qu’il s’agissait du disparu, la mouche répondit avoir reconnu le pourpoint de cuir si caractéristique du commissaire, mais il n’avait pu entrevoir le visage de l’inconnu.

Nicolas, qui n’avait dans le ventre que le chocolat et le pain mollet de M. de Noblecourt, se sentait tenaillé par la faim. Il lui restait toutefois une démarche à accomplir. Descart mort, qui disposerait de ses biens et de sa fortune ? Selon certaines affirmations, notamment celles de la Paulet, ceux-ci n’étaient pas négligeables. Par chance, Nicolas avait entendu les Lardin citer le nom du notaire de Descart à l’occasion de la vente d’un verger à Popincourt dont le commissaire, pressé de dettes, souhaitait se séparer. Il s’agissait de maître Duport, dont l’étude se trouvait rue de Bussy, rive gauche du fleuve. Le temps se maintenant au beau, Nicolas décida de s’y rendre à pied. L’air était limpide et glacé et pénétrait la poitrine comme une eau-de-vie blanche. Une lumière éclatante, qui venait juste de franchir le zénith, hésitait à se dissiper. La ville était comme reconstruite par la clarté et le gel. Ne voulant pas s’attarder outre mesure dans le quartier Saint-Avoye, le jeune homme prit au plus court, avec l’intention de se restaurer à l’un des étals de la rue des Boucheries-Saint-Germain.

Tout en marchant, il se remémorait sa matinée. De toute évidence M. de Noblecourt éprouvait des réserves à l’égard de Lardin et soupçonnait d’étranges menées autour du couple, dont il ne cachait pas la désunion.

Quant à la visite à maître Vachon, elle prouvait en tout cas deux choses. La première, qui ne lui avait pas paru alors avoir de signification particulière, était que Lardin disposait de plusieurs pourpoints de cuir. Les débris de l’un d’eux, découverts à Montfaucon, constituaient une des pièces à conviction de la mort du commissaire et tendaient à confirmer l’identité du cadavre. Cette constatation prenait un tour plus étrange, après le rapport de l’indicateur de la rue des Blancs-Manteaux. La seconde était la commande, par Lardin, de quatre capes de satin noir. Pourquoi quatre vêtements de carnaval ? Nicolas voyait parfaitement à qui étaient destinés trois d’entre eux : un pour Lardin, un pour Semacgus et un pour Descart. Le compte y était pour les participants à la « partie » au Dauphin couronné. Mais pour qui était la quatrième cape ? Louise Lardin était, elle aussi, sortie ce vendredi soir — le témoignage de Catherine était formel — vêtue d’une cape de satin noir. Était-ce l’une de celles de maître Vachon ou une autre ? Si c’était celle du tailleur, pourquoi le commissaire l’avait-il donnée à sa femme ? Il y avait là bien du mystère. Nicolas ne se souvenait pas d’avoir vu cette cape, lors de sa perquisition dans les chambres de la maison Lardin. Il faudrait, à nouveau, interroger Catherine pour savoir ce qu’elle avait fait du vêtement, ou alors...

Il franchit la Seine par le Pont-Neuf et gagna le carrefour de Bussy par la rue Dauphine. Il aimait ce quartier qu’il avait souvent sillonné lorsqu’il logeait au couvent des Cannes. Il songea avec affection au père Grégoire, qu’il retrouverait dimanche au dîner prié de M. de Noblecourt.

Nicolas estima peu habile de déranger le notaire à l’heure du repas, et il se dirigea vers la rue voisine des Boucheries-Saint-Germain. Il en connaissait les ressources, et il avait découvert qu’une boucherie parisienne était un monde bien à part. La profession était régie par des règlements et par les usages d’une corporation jalouse de ses droits et de ses privilèges. Il avait appris avec surprise que les prix étaient fixés par le lieutenant général de police, selon les cours du bétail sur pieds. Les poids de vente et leur véracité étaient également vérifiés par l’administration. Nicolas avait eu ainsi à connaître de quelques affaires. La police organisait la répression des « mercandiers » qui colportaient la viande à la sauvette, sans qu’on sache exactement sa provenance. Les bouchers assuraient toujours qu’il s’agissait de viande volée, avariée et malsaine — accusations auxquelles les mercandiers rétorquaient qu’ils avaient leur clientèle et qu’ils vendaient moins cher que les maîtres bouchers membres des jurandes. Il avait eu également à traiter des innombrables contestations opposant les services du lieutenant général de police, les bouchers et leur clientèle. L’éternel problème des « réjouissances » agitait le petit peuple des quartiers et des faubourgs. Il s’indignait particulièrement de voir vendues les parties non comestibles avec celles qui l’étaient.