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Après l’avoir priée de demeurer dans la salle à manger sous bonne garde, il invita Bourdeau à gagner les chambres du premier. Un grand désordre régnait dans celle de Louise. Le lit était ravagé et les oreillers conservaient encore la trace de deux têtes qui s’y étaient reposées. Bourdeau passa la main sous la couverture, la couche était encore tiède, des deux côtés. Tout semblait justifier leur soupçon : Mme Lardin n’était pas seule au moment de leur intrusion.

Un exempt fut dépêché pour fouiller la maison en commençant par le grenier ; il revint bredouille. Nicolas vidait systématiquement les commodes et les armoires. Il saisit une cape et un masque de soie noire, ainsi que des chaussures, et plaça le tout dans un drap qui fut noué et scellé. Il ne trouva aucune trace, parmi les affaires du commissaire, du pourpoint de cuir ou d’une autre cape. La chambre de Marie Lardin n’avait pas changé d’aspect. Une surprise l’attendait cependant : ouvrant l’armoire dont le contenu l’avait, surpris lors de sa précédente fouille, il la trouva presque vide. Des robes, des jupes, des mantes et des souliers avaient disparu. Marie était-elle revenue ? Ou bien... Il se promit d’interroger Louise à ce sujet. Une dernière inspection lui fit découvrir, au fond du tiroir d’une petite table de marqueterie, le missel de la jeune fille. Il avait souvent remarqué ce petit livre relié en velours bleu qu’elle portait pour aller à la messe. Pourquoi l’avait-elle laissé ? Elle y était pourtant fort attachée, l’objet lui venant de sa mère. Intrigué et ému, Nicolas se mit à feuilleter le petit livre. Un billet en tomba, plié en deux, identique aux énigmatiques messages du commissaire. Celui-ci disait :

Recherchées sans relâche et Tout son dû au roi.

Ainsi, un troisième message avait été placé par Lardin à un endroit où il était assuré que sa fille le trouverait un jour ou l’autre. Cela avait-il été le cas ? Marie n’usait de son livre d’heures que pour la messe, du moins Nicolas le supposait-il. Bourdeau n’avait pas remarqué sa découverte ; il la rangea dans sa poche. Il lui faudrait comparer ce message aux deux, autres en sa possession. Il éprouvait le fol espoir que la mention du roi pût avoir un rapport avec les lettres qu’il était chargé de retrouver.

Nicolas entraîna ensuite Bourdeau dans son ancien domaine du second étage. Il le revit avec un peu de nostalgie, sans rien y relever de suspect. Ils redescendirent au rez-de-chaussée pour l’examen approfondi de la bibliothèque. Dans un exemplaire des poésies d’Horace, ils trouvèrent une facture de fournisseur — un ébéniste — pour un travail qui avait été payé le 15 janvier 1761. La proximité de la date intrigua Nicolas, qui recueillit le document. Avait-il été dissimulé dans ce livre à dessein ou servait-il simplement de signet ? Il ne coûterait rien de vérifier à quel objet cette facture correspondait. Là encore, il garda le silence sur cet indice.

Ils retrouvèrent Louise Lardin dans la salle à manger. Elle était assise droite au bord d’une chaise.

— Madame, dit Nicolas, je ne vous demanderai pas si vous étiez seule ; nous savons que non. Le quartier est surveillé. Votre visiteur n’ira pas loin.

— Vous êtes bien insultant et présomptueux. Nicolas, répondit-elle.

— Peu importe, madame. Je vous saurai gré de m’indiquer où sont passés les vêtements de Mlle Marie, votre belle-fille. Je vous conseille de répondre sans faire de difficultés, sinon vous y serez contrainte dans les chambres de la Conciergerie[65].

— Je suis donc suspecte ?

— Répondez à ma question.

— J’ai donné les hardes de ma belle-fille aux pauvres. Elle a décidé d’entrer au couvent.

— Je souhaite pour vous que ce point puisse être vérifié. Maintenant, inspecteur, nous allons fouiller la cuisine.

Louise eut un mouvement qu’elle réprima vite.

— Vous n’y trouverez rien.

— Bourdeau, donnez le bras à madame, elle nous servira de guide.

La cuisine était glacée. Nicolas aurait parié que le potager n’avait pas été allumé depuis plusieurs jours. Bourdeau se mil à renifler d’un air dégoûté.

— Quelle puanteur ! s’écria-t-il.

— Comment ! ironisa Nicolas. Vous ne trouvez pas ce fumet agréable ? Alors, demandez à Mme Lardin la raison de cette infection. Elle va vous expliquer, je pense, qu’elle goûte fort la venaison faisandée.

— Que voulez-vous dire ?

— Du gros gibier est en bas, dans le caveau, comme au pourrissoir. Comment expliquez-vous cela, madame ?

Pour la première fois depuis leur arrivée. Louise laissait transparaître des traces d’inquiétude. Elle s’adossa au buffet.

— J’ai chassé ma cuisinière, répondit-elle, et je n’ai encore trouvé personne pour la remplacer. Vous êtes bien placé, monsieur, pour savoir que c’était une artiste dans sa partie. Je ne me salis pas les mains aux besognes du logis, je laisse cela aux souillons. Dès que j’aurai quelqu’un, tout sera nettoyé.

— Et cela ne vous dérange pas ? demanda Bourdeau.

Louise ignora sa question et fit mine de sortir.

— Ne nous quittez pas, madame, ordonna Nicolas. Exempt, surveillez cette femme. Nous descendons au caveau.

Nicolas fit couler un peu de vinaigre d’un récipient en porcelaine. Il en humecta son mouchoir et proposa à Bourdeau d’en faire autant. Celui-ci refusa et agita sa pipe, qu’il eut bientôt bourrée et allumée.

— Je crois que nous sommes prêts. Prenons ce chandelier.

Dès qu’ils furent en bas, l’odeur, en dépit de leurs précautions, devint insupportable. Le sanglier était en décomposition. Des lambeaux de chair étaient tombés à terre et des bêtes rampantes les recouvraient d’une couche vivante, agitée de lents mouvements. Nicolas arrêta Bourdeau qui allait avancer. Il retira ses bottes, s’accroupit et, s’éclairant du chandelier, il examina le sol. Sa quête le conduisit devant un châssis de bois dont les traverses étaient garnies de bouteilles. Il saisit quelque chose qu’il montra à Bourdeau. Il s’agissait d’un morceau de cierge d’église écrasé. Il se redressa, se rechaussa, appela Bourdeau à la rescousse et entreprit de débarrasser les étagères de leurs bouteilles. Bourdeau, appuyé sur le meuble, le vit soudain glisser sur le côté de la muraille et découvrir une vieille porte.

— Que ferais-je sans vous ? dit Nicolas. Vous êtes comme Alexandre : alors qu’on s’évertue sans succès, vous tranchez le nœud gordien.

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65

Où était donnée la question préalable lors de l’instruction d’un procès criminel.