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— Je ne l’ai pas fait exprès, répondit l’inspecteur, mais j’ai l’impression que cette porte va beaucoup nous apprendre. Le mérite, monsieur, vous en revient. Je n’ai fait que suivre le limier à l’arrêt que vous simuliez avec tant de conviction. Vous avez le nez creux !

— Pour l’instant, je l’aurais plutôt plein, dit Nicolas, en remettant son mouchoir devant son visage.

Ils éclatèrent de rire, repoussant un peu l’angoisse qui montait. Nicolas poussa la porte qui n’avait pas de serrure. Ils s’aperçurent alors que le châssis pouvait être déplacé de l’extérieur. Une corde attachée à l’une de ses extrémités passait dans un trou pratiqué dans la porte. Il suffisait de la tirer pour que le châssis roulant se déplace latéralement et dégage une ouverture. Voilà qui expliquait les déplacements mystérieux des visiteurs et des occupants de la maison Lardin. Les mouches étaient évidemment inutiles devant un tel système, et l’inconnu, qui était avec Louise, avait évidemment pris la poudre d’escampette par cette voie. Restait à savoir où conduisait cette issue.

Ils descendirent encore des marches. L’odeur ignoble de la charogne s’alourdissait dans l’air raréfié du souterrain. Après quelques pas, ils durent tourner deux fois sur la gauche et franchir à nouveau quelques degrés. Nicolas entendit Bourdeau qui armait son pistolet. Ils parcouraient un de ces boyaux immémoriaux dont le sol de Paris était truffé. Des compagnies de rats semblaient naître sous leurs pieds. Ils semblaient faire la queue en files pressées, les plus gros sautant par-dessus les autres. Leurs petits cris perçants et leur excitation devaient bien avoir une cause. La voie finit par aboutir à une salle voûtée. Nicolas s’arrêta, effaré devant le spectacle qu’il avait sous les yeux. De même que les lambeaux du sanglier étaient animés d’une vie indépendante, une forme mouvante gisait à quelques pas d’eux. Derrière lui, Bourdeau ne put retenir un cri. Pour s’approcher, ils durent se défendre à coups de bottes contre des rongeurs de plus en plus agressifs qui montraient les dents en couinant. Ils voyaient luire les centaines de points rouges des regards tournés vers la lueur de la chandelle. Bourdeau bouscula Nicolas. Il avait saisi une fiasque d’alcool dans sa poche. Il en vida le contenu sur son mouchoir, y mit le feu et le jeta sur les premiers rangs. Quelques bêtes se mirent à grésiller, déclenchant l’effroi dans la troupe immonde. En quelques instants, la panique fut générale et la place provisoirement nette.

Nicolas se demanderait longtemps si la vision de la marée des rats n’était pas préférable à celle qui emplissait leurs yeux. Un corps était là, celui d’un être humain, mais qui n’en avait plus l’aspect. Les théâtres de corruption de M. de Noblecourt n’étaient que pâles fantaisies auprès de la vision de ce cadavre décomposé et à demi dévoré. La cage thoracique éclatée laissait entrevoir les côtes. La tête était méconnaissable, mais sans cheveux. Bourdeau et Nicolas reconnurent en même temps le commissaire Lardin. Il n’y avait aucun doute sur l’identité du cadavre. Bourdeau poussa Nicolas du coude.

— Regardez, ces deux dents cassées sur le devant. Et son crâne chauve. C’est bien Lardin.

— Il y a quelque chose d’étrange, dit Nicolas. Regardez le ventre, et voyez ces rats morts depuis plusieurs jours. Tout autour des entrailles répandues. Malades ?

— Ou empoisonnés.

— Alors, empoisonnés par les viscères d’un homme mort par poison.

— Et qui manipule du poison ? La cuisinière contre la vermine et les rongeurs. Le jardinier contre les taupes, et les médecins ou les apothicaires qui en usent dans leurs remèdes.

— Catherine ne ferait pas de mal à une mouche, observa Nicolas. Je ne dis pas contre Louise Lardin, mais pour le commissaire, elle était l’une des rares personnes à en dire du bien.

— Il faudrait tout d’abord savoir à quand remonte le décès, ce qui peut fournir un alibi à certaines personnes.

— Vu l’état du corps, ce ne sera guère facile. Il y a encore la possibilité du suicide.

Bourdeau réfléchissait.

— Avez-vous remarqué que tous les vêlements du mort ont disparu ? demanda-t-il. Il n’est pas très fréquent que les désespérés se suppriment avec ce manque de tenue.

— Inutile d’épiloguer, il nous faut d’abord savoir où conduit ce souterrain.

Au bout de la crypte, de nouveaux degrés remontaient pour aboutir à un couloir en pente douce, étroit et bas de plafond. Une faible clarté apparaissait dans le fond. Ils tombèrent sur un amoncellement de planches qu’ils dégagèrent sans difficulté. Ils se trouvaient maintenant dans une bâtisse de pierre, sorte d’ancienne chapelle désaffectée dans laquelle la lumière du jour pénétrait par d’étroites meurtrières. Ils durent encore se dépêtrer de fagots amoncelés pour découvrir finalement une réserve de cierges. D’un côté s’amoncelaient des paquets réunis en brassées et, de l’autre, un tas de cierges à demi consumés. La porte poussée ouvrait sur un jardin qu’ils reconnurent aussitôt pour être celui des Blancs-Manteaux. Ainsi, tout s’expliquait. Les mouches avaient beau écarquiller les yeux et redoubler de vigilance, le passage permettait de jeter un voile épais sur tout ce qui entrait ou sortait de la demeure des Lardin. Voilà pourquoi un informateur avait cru voir le commissaire s’enfuyant vers l’église. Il avait bien précisé avoir reconnu son pourpoint de cuir. Mais était-ce le policier qui avait été vu ou quelqu’un qui souhaitait se faire passer pour lui, afin qu’on le crût encore vivant ? Tant que les vêtements du commissaire ne seraient pas retrouvés, le doute subsisterait. Ils rebroussèrent chemin et remirent tout en ordre pour dissimuler leur passage.

— J’ai une idée, dit Bourdeau. Elle vaut ce qu’elle vaut mais on pourrait tenter le coup. Imaginez que le fuyard ait été rattrapé. Vous voyez la scène. Vous remontez seul clans la cuisine. Vous annoncez à Mme Lardin que le corps de son mari a été retrouvé assassiné, que son visiteur a été pincé, qu’il a parlé et que je le tiens sous bonne garde. On verra bien sa réaction.

Nicolas mesura rapidement toutes les conséquences possibles de cette audacieuse proposition.

— Il y a plus d’avantages que d’inconvénients à essayer, conclut-il. J’ajouterai un peu de ragoût à la chose en improvisant suivant l’humeur de la bonne dame !

Ils refirent le chemin inverse en silence. Les rats reparaissaient, mais s’écartaient prudemment dès qu’ils approchaient. Bourdeau demeura dans le caveau et Nicolas remonta dans la cuisine. Louise Lardin, surveillée par l’exempt, était toujours adossée au buffet. Elle ne le vit pas tout de suite. Nicolas la trouvait pâle et vieillie.

— Madame, commença-t-il, il me paraît inutile de vous décrire ce que nous avons découvert dans le passage secret de votre demeure. Mais ce que vous ignorez encore, c’est que celui qui s’est enfui de votre chambre, à notre arrivée, a été appréhendé alors qu’il tentait de sortir des Blancs-Manteaux. Il a avoué le crime.

La surprise, l’effroi, puis le calcul se lurent successivement sur le visage de Louise. Elle se précipita les ongles en avant. Nicolas dut la saisir aux poignets pour préserver son visage pendant que l’exempt la ceinturait. Ils parvinrent enfin à l’immobiliser sur une chaise.