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Nicolas regardait sans les voir les passants pressés de la rue. Que faisait-il lui-même, jeté dans cette ville par le hasard, et à quelle nécessité répondait cette course effrénée poursuivie depuis deux semaines contre un ennemi invisible ? Pour quelle raison le destin l’avait-il choisi, et dans quelle intention ultime, alors qu’il aurait pu demeurer à Rennes dans les tâches médiocres et rassurantes d’un clerc de notaire ?

Ils avaient atteint la rue du Faubourg-Saint-Honoré. Nicolas frappa sur la caisse pour arrêter la voiture. Ils étaient partis si vite du Châtelet qu’aucun plan d’attaque n’avait été préparé. Bourdeau avait respecté sa rêverie. Désormais, il fallait aviser.

— Je connais bien cette maison, dit Nicolas, exagérant un peu. Si Mauval est là, nous devons nous méfier car l’homme est dangereux. Le mieux est que j’entre seul au Dauphin couronné en essayant de ne pas donner l’éveil.

— Il est hors de question que je vous lâche, répondit Bourdeau. Nous ferions mieux d’attendre ici du renfort. Rappelez-vous ce qui est advenu au faubourg Saint-Marcel. Ne commettons pas deux fois la même erreur. Attendons les exempts.

— Non, le temps presse et il faut profiter de l’effet de surprise. Vous êtes l’élément principal de mon plan. Je sais, par la Satin, que la maison possède une issue secrète donnant sur le jardin. Vous irez vous y poster. Si Mauval est ici, il évitera l’affrontement direct. Il nous a glissé entre les mains ce matin et doit tenir pour assuré que nous sommes en nombre. Donc, il cherchera à s’enfuir par les arrières. C’est là que vous le pincerez. C’est pour vous que je m’inquiète. Soyez sur vos gardes, l’espèce est traîtresse en diable ! Nous allons renvoyer le cocher demander de l’aide.

L’homme, dûment chapitré, fit faire demi-tour à l’équipage et Nicolas et Bourdeau se séparèrent. Le jeune homme se dirigea vers le Dauphin couronné. Il heurta la porte à plusieurs reprises. Un guichet grillé s’ouvrit et il dut supporter l’examen d’une personne invisible qui finit par ouvrir la porte. Nicolas, qui s’attendait à voir la Paulet ou la négrillonne, fut surpris de trouver à leur place une grande vieille toute vêtue de voiles noirs, le visage couvert d’une épaisse couche de céruse avec du rouge vif aux joues. Elle appuyait des mains tremblantes, recouvertes de gants de filoselle, sur le pommeau d’une canne, L’ensemble évoquait aussi bien une veuve qu’une religieuse qui aurait troqué sa vêture conventuelle contre un habit plus séculier. Elle souleva la tête et le regarda de côté.

— Le bonjour, madame. Je souhaiterais parler à Mme Paulet.

— Monsieur, lui répondit une voix rauque et minaudière, Mme Paulet est en ville pour le moment, où elle vaque à ses affaires. Peut-être vous plairait-il de l’attendre, elle ne saurait tarder.

Elle s’inclina et recula à petits pas pour lui permettre d’entrer. Il reconnut le corridor et fut introduit sans surprise dans le salon jaune. Celui-ci n’avait pas changé d’aspect. Les volets étaient fermés et occultés par de lourds rideaux, et seul un bougeoir placé sur un guéridon éclairait chichement la pièce. Ce qui lui avait paru luxueux, lors de sa première visite, se confirma être éclatant de vulgarité et de crasse. Il repéra dans l’ombre la cage du perroquet et s’en approcha, intrigué par le calme et le silence du volatile. C’est alors qu’il s’aperçut de la substitution ; l’oiseau avait été remplacé par sa réplique en porcelaine.

— Monsieur a sans doute connu Coco ? demanda la vieille devant son air surpris. Hélas, il nous a quittés ! Il a péri d’émotion. C’était un petit drôle qui parlait très bien. Trop, quelquefois.

Elle ricana et se retira.

— Je vous laisse, j’ai à faire. Mme Paulet ne vous fera pas languir longtemps.

Nicolas s’assit sur une des bergères jonquille. Il aurait pu choisir d’entrer en force et fouiller la maison, avec les risques que cela pouvait comporter pour la séquestrée. La vieille ne le connaissant pas, mieux valait attendre sagement la Paulet et la contraindre à admettre les faits. Cela donnerait d’ailleurs le temps aux renforts d’arriver.

Au bout d’une dizaine de minutes, il se leva, s’approcha de la cheminée et se considéra dans le miroir. Il avait vieilli et la fatigue marquait ses traits. Comme il continuait à se dévisager, il perçut soudain connue un fourmillement entre ses épaules. Un frisson le parcourut. Il sentait un regard peser sur lui. Il se déplaça imperceptiblement sur le côté et finit par découvrir, dans l’angle droit de la glace, le visage de la vieille qui approchait de lui en silence. Les voiles rejetés en arrière laissaient apparaître un visage de poupée, mais les yeux étaient maintenant grands ouverts et, dans leur reflet vert, Nicolas reconnut en même temps le regard de Mauval et y lut une meurtrière détermination. Il sut, avant de voir l’arme, que son ennemi était sur le point de lui planter une épée dans le corps. Il s’immobilisa sans rien laisser paraître. Il devait éviter tout mouvement indiquant qu’il était sur ses gardes.

Il sut en un instant ce qui pouvait le sauver. Joueur de soûle endurci, il avait appris à plonger sur le sol et à tomber. Il fallait retourner la situation et placer l’adversaire en position d’incertitude. Certes, Mauval avait l’avantage de le voir en face de lui, mais qu’il perde Nicolas de vue et l’égalité entre eux était rétablie.

Nicolas se laissa choir brusquement sur le guéridon. Le meuble tomba et avec lui le bougeoir. D’une main preste, Nicolas éteignit la chandelle. La pièce était désormais plongée dans l’obscurité. En touchant le sol, Nicolas avait poussé le guéridon vers son adversaire dans l’espoir de le troubler et de retarder sa progression. Il roula sur le côté. Le silence recouvrait la pièce comme une chape.

Il songea un instant à crier pour alerter Bourdeau, mais y renonça aussitôt. Son adjoint l’entendrait-il, et pourrait-il entrer dans la maison ? Mauval avait dû multiplier les précautions. Il s’en voulut de s’être laissé prendre dans ce piège, et pensa que la première chose à faire était de protéger ses arrières en évitant de se faire clouer contre le mur comme un papillon sur sa planche.

À demi couché près de la cheminée, il tâtonna de la main et toucha des tiges métalliques froides ; c’étaient des pincettes. Il réussit à les décrocher et, prenant garde à ne rien heurter, les projeta à travers la pièce. Le lustre, frôlé, tinta discrètement, puis il y eut un bruit sec et une cascade de sons cristallins. L’une des glaces de la paroi, brisée, avait dû s’effondrer. Il y eut un froissement de tissus, un choc et un meuble renversé. Nicolas pria le ciel que son adversaire ne dispose pas de briquet. Il se rassura cependant ; le premier qui ferait du feu se découvrirait.