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— Ah ! Bourdeau, je suis bien aise de vous voir...

— Je vois cela. Vous avez l’air d’un spectre, si tant est que j’en ai jamais vu. Le temps m’a paru bien long !

— J’ai tué Mauval.

Bourdeau le fit s’asseoir sur le rebord de pierre du soubassement de la maison.

— Mais vous êtes blessé ! Votre habit est déchiré et vous saignez.

Nicolas sentit la douleur au moment où l’inspecteur lui signalait la blessure.

— Ce n’est rien. Une simple éraflure.

Il se mit à raconter avec volubilité son combat contre Mauval. Bourdeau hocha la tête comme à son habitude et lui mit la main sur l’épaule, le secouant un peu.

— Vous n’avez rien à vous reprocher. C’était lui ou vous. Une belle canaille de moins. Vous vous habituerez à ce genre de rencontre. Je me suis trouvé moi-même, à deux reprises, contraint à me défendre dans des circonstances analogues.

Ils regagnèrent l’intérieur de la maison. Nicolas conduisit l’inspecteur dans le grand salon. Bourdeau fit un commentaire admiratif sur la précision et la netteté du coup de pointe, à la grande confusion de Nicolas. La moitié du rideau qui fermait la scène du petit théâtre fut décrochée et jetée sur le corps de Mauval, après que l’inspecteur l’eut fouillé. À part quelques louis, une tabatière ornée du portrait en miniature de Louise Lardin, ils trouvèrent un billet ouvert. Le pain à cacheter avait été rompu. Il portait, écrite de la propre main de Nicolas, la phrase : « Le saumon est sur la berge », que Nicolas reconnut aussitôt. C’était le mot de passe qu’il avait donné à la Paulet si celle-ci souhaitait le joindre discrètement. Sur une bande de papier, ils découvrirent aussi l’adresse de M. de Noblecourt. Ainsi, remarqua Bourdeau, l’homme nourrissait bien de mauvaises intentions à l’égard de Nicolas.

Se rappelant le but premier de leur descente au Dauphin couronné, ils se précipitèrent au deuxième étage. De toutes les portes donnant sur le couloir, une seule résista à leurs efforts. Nicolas entendit, en réponse à leurs coups de poing, des gémissements étouffés. Bourdeau écarta son compagnon, tira de sa poche une minuscule tige métallique ouvragée et l’introduisit dans la serrure. Après quelques essais infructueux, il réussit à faire jouer le pêne. Sur deux paillasses jetées à terre gisaient, ligotées et bâillonnées, la Paulet et Marie Lardin.

Quand ils les eurent libérées de leurs liens. Marie se mit à sangloter avec des hoquets convulsifs, comme une enfant. La Paulet, sa large face camuse empourprée, paraissait étouffer et sa forte poitrine se soulevait tandis qu’elle laissait échapper de petits cris plaintifs. Elle finit par faire quelques pas hésitants en regardant ses pieds gonflés.

— Ah ! monsieur, quelle gratitude nous vous avons !

Son visage prit un air de crainte et elle jeta un regard inquiet autour d’elle.

— Rassurez-vous, madame, dit Nicolas à qui son expression n’avait pas échappé. En revanche, vous avez des explications à nous donner. Vous êtes coupable d’avoir donné la main à un crime. Cette jeune fille a été enlevée, conduite de force dans votre établissement, séquestrée dans des conditions odieuses et menacée d’être vendue pour mener une vie d’infamie. Pour le moindre de ces crimes, madame, vous sériez, marquée d’une fleur de lys sur les marches du Palais et enfermée à vie. C’est dire l’intérêt pour vous d’être sincère. Dites la vérité et cela sera pris en compte, je m’y engage.

— Monsieur, répondit la Paulet en lui prenant la main qu’elle se mit à pétrir, je vous sais honnête homme. Ayez pitié d’une pauvre femme qui fut contrainte. à son cœur défendant, d’accueillir cette pauvre agnelle.

Elle regarda derechef vers le couloir.

— C’est ce monstre qui a tout fait.

— Quel monstre ?

— Le Mauval, ce damné ! Moi, je ne suis qu’une pauvre achalandeuse. Je suis bonne avec mes filles. J’ai pignon sur rue et belle clientèle. J’ai toujours payé mon dû à la police. Et si jeu clandestin il y a, vous savez que c’est avec la bénédiction du commissaire Camusot. Je me suis emportée, l’autre fois. Mais, mon bon jeune homme, vous m’aviez poussée à bout. Demandez à la demoiselle si je ne l’ai pas défendue bec et ongles quand j’ai su qu’elle était la fille du commissaire Lardin. Pas de ça, Margot ! Et l’autre, le Mauval. qui a brutalisé un vas-y-dire[79] pour lui voler mon message ! Il craignait de vous voir arriver et voulait vous tendre un piège. Je me suis rebecquée pour m’y opposer et il m’a frappée...

Elle montrait sa joue violacée.

— Puis il m’a jetée ici, telle que vous m’avez trouvée. Si ce n’est pas la preuve de mon innocence !

— Ce n’est que la preuve de votre crainte de voir les choses aller trop loin, observa sèchement Nicolas.

Marie confirma, entre deux sanglots, une partie des propos de la Paulet. Un vacarme les interrompit. Une vive terreur saisit la maquerelle. Après avoir parlé à l’oreille de Nicolas, Bourdeau descendit. Le renfort espéré arrivait enfin. L’inspecteur avait demandé à son chef de retenir les deux femmes pendant qu’on emporterait le corps de Mauval. Mieux valait, pour le moment, conserver le secret de sa mort. Quand la Paulet s’enquit du sicaire, Nicolas demeura évasif. Il était convaincu qu’elle avait à peu près tout dit avec la sincérité dont elle était capable. La Satin avait raison, ce n’était pas une mauvaise femme, même si son négoce la conduisait à tutoyer dangereusement les rivages du crime.

Ils demeurèrent tous les trois, lui et les deux femmes, silencieux dans la pièce. Nicolas ne souhaitait pas interroger Marie Lardin devant un tiers. Après un long moment, Bourdeau revint et fît signe à Nicolas que tout était achevé. Ils quittèrent le Dauphin couronné, Bourdeau avec la Paulet dans une voiture et Nicolas dans l’autre avec Marie. Celle-ci s’était calmée ; seuls quelques gros soupirs lui échappaient encore. Elle regardait Nicolas avec admiration.

— Mademoiselle, pardonnez-moi, mais je dois vous poser quelques questions.

— Permettez-moi d’abord de vous remercier, Nicolas. Je comprends que la fille a fait ma commission...

Elle le regardait de biais.

— Vous la connaissez bien ? Depuis longtemps ?

C’était lui qui se trouvait sur la sellette... Il hésita un moment, mais ne crut pas devoir dissimuler la vérité.

— C’est une très bonne amie et depuis longtemps.

Marie eut une moue de mépris.

— Alors, vous êtes comme les autres... Et avec une fille de mauvaise vie !

Nicolas explosa.

— Mademoiselle, il suffit. Vous voilà libérée. J’ignore si vous savez à quoi vous avez échappé, mais je suis sûr d’une chose : dans de certaines circonstances, il vaut mieux compter sur certaines filles de mauvaise vie plutôt que sur les honnêtes femmes. Et la moindre des choses, quand on leur doit son salut, c’est de leur être reconnaissante d’avoir eu pitié et d’avoir tenu parole. Vous plaît-il de répondre à mes questions et de me raconter de quelle manière vous vous êtes retrouvée chez la Paulet ?

— Je l’ignore, monsieur, répondit la jeune fille qui ne l’appelait plus Nicolas. Je me suis retrouvée enfermée dans cette pièce où vous m’avez découverte. J’étais fort étourdie, malade, la tête lourde. La Paulet a voulu me convaincre de me livrer à un commerce infâme. Puis cette fille est venue insister. Comme je pleurais, elle s’est apitoyée et j’ai tenté de la soudoyer. Je ne risquais rien d’essayer. Soit elle ferait ce que je lui demandais, soit elle refuserait, et ma situation ne s’en trouverait guère aggravée.

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79

Vieille expression populaire parisienne. Souvent un enfant, que l’on envoyait porter un message contre récompense.