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— Avez-vous une idée du jour de votre enlèvement ?

— Mes souvenirs sont confus. Je pense que ce devait être mercredi de la semaine dernière. Je crois que ma marâtre avait surpris notre conversation le soir où j’ai tenté de vous mettre en garde, si vous vous souvenez, monsieur.

— Je me le rappelle fort bien. Autre chose : votre père vous a-t-il, à un moment ou à un autre, fait parvenir un message ?

Elle ouvrit la bouche, indignée.

— Vous avez fouillé ma chambre ! De quel droit ?

— Pas seulement votre chambre, toute la maison. Mais je conclus de votre réaction que vous avez bien reçu quelque chose. Le détail est d’importance, répondez-moi.

— Un billet dont la signification m’a échappé et qui ne vous dirait rien. Il me l’avait glissé dans la main la dernière fois que je l’ai vu, la veille de sa disparition. Avez-vous des nouvelles de mon père ?

— Vous rappelez-vous les termes de ce message ?

— Il était question de choses qu’on devait au roi. J’ignore à quoi il faisait allusion. Mon père m’avait seulement recommandé de garder précieusement ce papier. Je l’ai placé dans un tiroir et je l’ai oublié. Mais, monsieur, vous m’obsédez de questions. Et mon père ?

Nicolas eut l’impression qu’elle allait se mettre à trépigner comme une enfant. La pitié le prenait. Il n’y avait aucune raison de lui dissimuler la vérité. À première vue elle n’était guère suspecte et deux témoins, la Satin et la Paulet, pourraient confirmer ses dires.

— Mademoiselle, il vous faut être courageuse.

— Courageuse ? dit-elle en se dressant. Vous ne voulez pas dire...

— Hélas, je suis au désespoir de devoir vous annoncer que votre père est mort.

Elle mordit son poing pour ne pas hurler.

— C’est Descart ! C’est lui ! Je vous l’avais dit. Elle l’a forcé. Mon Dieu, que vais-je devenir ?

— Comment savez-vous qu’il a été assassiné ?

— Elle en avait parlé, oui, avec lui.

La jeune fille se remit à pleurer. Nicolas lui tendit son mouchoir et la laissa se calmer.

— Vous vous trompez, dit-il. Descart est mort lui aussi, assassiné comme votre père.

— Alors, c’est le docteur Semacgus.

— Pourquoi songez-vous à lui ?

— Il ne peut s’agir que d’un des amants de ma belle-mère. Le docteur était si faible avec elle.

— Ou votre belle-mère elle-même ?

— Elle est bien trop habile pour se compromettre.

Elle continuait à sangloter et il ne savait comment la calmer. Il l’enveloppa doucement dans sa redingote. Elle se laissa aller contre son épaule. Il n’osa plus bouger et c’est ainsi qu’ils firent leur entrée au Châtelet.

Nicolas confia à Bourdeau le soin de recueillir les dépositions de la Paulet et de Marie Lardin. La tenancière du Dauphin couronné serait incarcérée au secret en attendant que l’affaire pût être régulièrement évoquée devant un magistrat. La Satin pouvait rejoindre sa demeure, à condition d’observer la plus grande, discrétion. Quant à Marie Lardin, elle serait conduite dans un couvent qui l’accueillerait jusqu’à la conclusion de l’enquête. Il n’était pas décent qu’elle retournât seule dans la maison des Blancs-Manteaux tant que ne seraient pas éclaircies les conditions de l’assassinat de son père et levés les soupçons qui pesaient sur sa belle-mère.

Bourdeau proposa de la conduire au couvent des Dames anglaises[80] du faubourg Saint-Antoine, dont il connaissait la supérieure. Il interrogea son chef sur ce qu’il comptait faire. Nicolas, souriant, lui répondit avec un rien de goguenardise qu’il allait regagner son logis plein d’usage et raison et méditer sur l’insignifiance des choses en regardant son plafond. D’ailleurs, il se faisait tard, la nuit tombait ; il avait à soigner ses blessures, il devait prendre des nouvelles de M. de Noblecourt et il avait grand faim.

L’insouciance de Nicolas était feinte mais il ne lui déplaisait pas d’intriguer Bourdeau. En rentrant rue Montmartre, il repassait dans son esprit les grandes étapes de son enquête. L’articulation de certains faits lui échappait encore. En dépit de sa fatigue et du choc que la mort de Mauval faisait toujours peser sur lui, il savait qu’une réflexion paisible et une nuit de sommeil lui éclairciraient les idées. Sa fringale s’aiguisait, mais il ne souhaitait pas chercher pitance dans un de ces établissements mercenaires qui restauraient le Parisien solitaire. Il éprouvait le besoin de la chaleur d’un logis.

La nuit était tombée et le froid était vif quand il franchit le porche de la maison du magistrat. Il retrouva avec plaisir l’odeur de pain chaud qui la parfumait en permanence. Il surprit Marion et Poitevin devisant à la table de l’office. Un grand pot fumant mijotait sur le potager. Cette scène familière le rasséréna tout autant que l’odeur qui chatouillait ses narines. Il apprécia d’être accueilli comme l’enfant prodigue des Ecritures. M. de Noblecourt souffrait toujours, mais n’avait cessé de s’enquérir de son locataire. Il serait heureux de voir Nicolas.

Le jeune homme regagna sa chambre par l’escalier dérobé, après s’être emparé d’un broc d’eau chaude. Il voulait faire un brin de toilette et panser ses plaies avant de paraître devant le procureur. Il eut la joie de trouver les habits commandés chez maître Vachon. À la lueur de sa chandelle, le bel habit vert resplendissait de toutes ses broderies. Quand il pénétra enfin dans la bibliothèque. joyeusement accueilli par les cris et les bonds de Cyrus. il découvrit son hôte affalé dans son fauteuil, le pied droit enveloppé d’ouate reposant sur un pouf de tapisserie. M. de Noblecourt lisait et dut faire un effort pour se tourner vers Nicolas.

— Dieu soit loué, s’écria-t-il, le voilà enfin ! Mon pressentiment était faux. Je ne vis plus, depuis hier. Les plus funestes pensées m’ont obsédé. Je peux même dire qu’à chaque poussée de cette coquine de goutte a correspondu une bouffée d’angoisse. Heureusement, je m’étais trompé.

— Moins que vous ne le pensez, monsieur, et vous êtes pour beaucoup dans une prudence qui m’a sans nul doute sauvé la vie.

Nicolas entreprit de conter par le menu tout ce qui venait d’avenir. Ce ne fut pas chose aisée, car le vieil homme l’interrompait sans cesse par ses exclamations et ses questions. Il y parvint pourtant jusqu’au moment où Marion vint les interrompre en apportant à son maître une tasse de bouillon clair. Celui-ci proposa à Nicolas de manger le bouilli qu’on lui interdisait avec tous ses légumes. On ferait monter à son usage personnel une bonne bouteille de bourgogne. Cette proposition fut acceptée d’enthousiasme.

— Marion me condamne à périr de faim ! soupira le magistrat. Heureusement, ajouta-t-il en désignant le livre qu’il était en train de lire, je me console en dévorant Le Cuisinier de Pierre de Lune. Je me sustente en salivant. Savez-vous que ce grand maître d’une vraie cuisine était écuyer de bouche du duc de Rohan, petit-fils du grand Sully ? C’est l’inventeur du paquet d’herbes[81], du bœuf mode et de la farine frite[82]. Et de plus, ajouta-t-il en lorgnant la bouteille vénérable que Marion posait sur la table, le vin m’est interdit. Quand je suis rassasié de lectures gourmandes, je prends mon vieux Montaigne. Il me conforte dans la résistance à cette chienne de goutte. Écoutez : « La douleur se rendra de bien meilleure composition à qui lui tiendra tête.

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80

Couvent du faubourg Saint-Antoine, rue de Charenton, dans lequel étaient élevées des jeunes filles étrangères de qualité.

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81

Bouquet garni.

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82

Roux, base de nombreuses sauces.