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— Pas étonnant, dit Brian. Il n’y a que deux millilitres de sang dans une souris, et on leur en injecte un !

Leo secoua la tête.

— Au nom du diable, comment s’en sont-ils tirés ?

— Les CBA sont assez rondes et velues.

— Quoi, tu veux dire qu’elles sont élevées spécialement pour dissimuler les artéfacts ?

— Non.

— C’est un artéfact !

— Bah, quelle importance, de toute façon ?

Un artéfact était un résultat d’expérience spécifique à la méthodologie de l’expérience en question et qui n’illustrait rien en dehors de ça. Un genre d’accident, ou de faux résultat, voire, dans quelques cas restés dans les annales, un élément d’une mystification délibérée.

Brian veillait donc à ne pas utiliser ce terme à tort et à travers. Il se pouvait que ce ne soit qu’un vrai résultat obtenu d’une façon qui le rendait inutile pour ce qu’ils voulaient en faire. Ça arrivait tout le temps quand on essayait de changer en traitement les informations acquises sur certains processus biologiques, et tous ces résultats expérimentaux n’étaient pas forcément des artéfacts. Ils étaient simplement inexploitables.

Mais ils n’en étaient pas encore là. Voilà pourquoi l’expérimentation humaine comportait tellement d’expériences et d’étapes, effectuées et atteintes avec prudence ; toutes ces études en double aveugle, faites avec le maximum de patients, afin d’obtenir de bonnes données statistiques… Le genre d’étude ambitieuse, à long terme, menée pendant un demi-siècle sur des centaines d’infirmières suédoises, qui avaient toutes les mêmes habitudes, n’était que très rarement possible. Et jamais quand les substances testées étaient toutes nouvelles – en réalité, quand elles étaient encore brevetées et commercialisées sous un nom différent de leur dénomination scientifique.

C’est pourquoi toutes les entreprises émergentes de biotechnologie et toutes les start-up pharmaceutiques finançaient les meilleures études de phase I qu’elles pouvaient se permettre. Elles épluchaient les publications et menaient des expériences sur des échantillons de laboratoire, avec des ordinateurs, puis sur des souris ou d’autres animaux de laboratoire, à la recherche de données susceptibles de faire l’objet d’une analyse fiable, qui leur apprendrait quelque chose sur l’effet d’un nouveau médicament potentiel sur les individus. Ensuite venait l’expérimentation humaine.

C’était généralement l’affaire de deux à dix ans de travail, et ça pouvait coûter jusqu’à cinq cents millions de dollars, même si, moins ça coûtait, mieux c’était, évidemment. Si ça coûtait plus cher, et si ça prenait plus longtemps, alors il était à peu près certain que la nouvelle méthode ou le nouveau médicament serait abandonné ; l’argent viendrait à manquer, et les chercheurs impliqués seraient redéployés sur un autre sujet de recherche, par force.

Mais, dans ce cas précis, Leo avait affaire à une méthode que Derek Gaspar avait achetée cinquante et un millions de dollars, et il ne pourrait y avoir d’expérimentation de phase I sur des sujets humains. Impossible.

— Personne ne se laisserait gonfler comme un ballon ou un putain de pneu de trottinette ! Tes reins n’y résisteraient pas, ou tu mourrais d’une espèce d’œdème !

— Il va falloir qu’on annonce la mauvaise nouvelle à Derek.

— Ça ne va pas lui plaire.

— Je ne vois pas à qui ça plairait. Cinquante et un millions de dollars ? Il va détester ça !

— Claquer autant d’argent, tu te rends compte ? Il faut vraiment être idiot.

— Qu’est-ce qui est le pire ? Avoir pour PDG un savant qui est un mauvais homme d’affaires, ou un homme d’affaires qui est un mauvais chercheur ?

— Et quand le mec est les deux à la fois ?

Ils restèrent assis autour de la paillasse, à regarder les cages à souris et les dizaines de mètres de listing. Au bout du comptoir, un dessin de Dilbert leur faisait la nique. Le fait que les dessins scotchés aux murs soient des tranches de la vie de bureau et pas des dessins absurdes de Glenn Baxter n’était pas anodin.

— Et toute rencontre en face à face concernant cette communication particulière est contre-indiquée, dit Brian.

— Sans blague, répondit Leo.

— De toute façon, tu ne peux pas obtenir de rendez-vous avec lui, renifla Marta.

— Ha, ha.

Leo était assez éloigné du centre du pouvoir de Torrey Pines Generique pour qu’il lui soit réellement difficile d’envisager de rencontrer Derek.

— C’est vrai, insista Marta. Autant essayer d’obtenir un rendez-vous chez le docteur.

— Ce qui est stupide, remarqua Brian. Le sort de la boîte est complètement suspendu à ce qui se passe dans ce labo !

— Pas totalement, objecta Leo.

— Bien sûr que si ! Mais ce n’est pas ce que ces types ont appris à l’école de gestion. Le labo n’est qu’un lieu de production comme tant d’autres. La direction dit à la production ce qu’elle doit produire, et l’unité de production le fabrique. Tout ce que l’unité de production pourrait dire serait considéré comme nul et non avenu.

— Comme si la chaîne de fabrication décidait ce qu’elle veut produire, avança Marta.

— C’est ça. D’où l’inanité de la théorie de gestion d’entreprise à notre époque.

— Je vais lui envoyer un mail, décida Leo.

Leo envoya donc un mail à Derek concernant ce que Brian et Marta appelaient le problème des souris surgonflées. Derek, d’après ce qu’on leur dit par la suite, manqua imploser comme un de leurs sujets d’expérience. Comme si on lui avait injecté deux bons litres d’indignation vertueuse génétiquement modifiée.

« C’est dans la littérature ! aurait-il hurlé au nez du docteur Sam Houston, son vice-président chargé de la recherche et du développement. C’était dans le Journal of Immunology ! Il y a eu deux articles, qui ont été revus par la profession, ils ont obtenu un brevet pour ça ! Je suis personnellement allé là-bas, dans le Maryland, et j’ai tout vérifié par moi-même ! Ça marchait, là-bas, bordel de merde ! Alors faites-le marcher ici ! »

— Le « faire marcher » ? releva Marta quand elle apprit cette histoire. Ça veut dire ce que je pense ?

— Eh oui, tu sais bien, répondit Leo avec une ironie mordante. C’est le « tech » de biotech, non ?

— Hmm, fit Brian, intéressé malgré lui.

Après tout, les manipulations génétiques et cellulaires auxquelles ils se livraient avaient rarement été tentées auparavant « juste pour voir », même s’il leur arrivait aussi de le faire. Ils étaient là pour réussir à faire certaines choses dans les cellules, et avec un peu de chance, par la suite, dans un organisme vivant. La biotechnologie, bio techno logos, ou comment mettre un outil dans un organisme vivant. Le génie génétique impliquait la conception et la fabrication d’un nouvel élément dans l’ADN d’un organisme vivant, afin de modifier son métabolisme.

Ils étaient venus à bout de la génétique ; il était maintenant temps de passer à l’ingénierie.

C’est ainsi que Leo, Brian, Marta et tout le personnel du labo de Leo, et même de quelques autres labos de la boîte, empoignèrent le problème à bras-le-corps. Parfois, en fin de journée, quand le soleil frôlant l’horizon crevait enfin les nuages, au-dessus de la mer, derrière les vitres teintées, il les trouvait assis autour de deux bureaux couverts de papiers, de tirages d’imprimantes et de listings. Ils parlaient de leurs travaux, comparaient leurs derniers résultats et essayaient d’y comprendre quelque chose. Parfois, l’un d’eux se levait et esquissait sur le tableau blanc un schéma illustrant sa vision du problème, à un niveau si profond qu’il échapperait toujours à leurs sens physiques. Et les autres commentaient en buvant du café et en réfléchissant.