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Il arborait en cet instant précis l’expression amusée de l’oncle préféré de tout le monde.

— Alors, ils vous ont propulsé là-dedans sans préavis.

Il leva la main pour prévenir toute réponse et ajouta dans une sorte de murmure :

— Pardon, je ne devrais peut-être pas parler si fort ?

— Aucun problème, monsieur, lui assura Charlie d’une voix normale. Il en a pour un moment. Ne faites pas attention à cet homme, derrière mon épaule.

— Vous avez un sorcier sur le dos, c’est ça ? répliqua le Président avec un sourire.

Charlie hocha la tête avec un rapide sourire pour masquer sa surprise. On se gargarisait, dans certains cercles, du prétendu crétinisme du Président, une marionnette dont l’entourage tirait les ficelles ; mais en cet instant, face à face avec lui, Charlie eut la confirmation d’une opinion minoritaire selon laquelle le gaillard était tellement rusé que ça frisait le génie. Le Président était loin d’être un imbécile. Et il possédait à fond toutes les vieilles ficelles du cinéma. Charlie ne put s’empêcher de se sentir un peu rassuré.

— C’est chouette, Charles, reprit le Président. Alors, si on s’y mettait ? Le Dr S., ici présent, m’a parlé de la réunion de ce matin, et je suis venu voir de quoi il retournait, parce que j’aime bien Phil Chase. J’ai cru comprendre qu’il voulait que nous adoptions les mesures préconisées par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, au point d’introduire une proposition de loi prévoyant notre participation à toutes les actions qu’il recommandera, quelles qu’elles puissent être. Et c’est une émanation des Nations unies.

Charlie passa en une seconde à la vitesse supérieure, sur le mode ultradiplomatique, non seulement par égard pour le Président, mais surtout pour Phil, l’absent, qui lui en voudrait, quoi qu’il puisse dire, Phil étant seul à pouvoir parler de ces sujets avec le Président.

— Eh bien, monsieur le Président, commença-t-il, je ne sais pas si je me serais exprimé exactement dans ces termes. Vous savez que le comité des Relations extérieures du Sénat a tenu un certain nombre de sessions, cette année, et la conclusion de Phil, après toutes ces auditions, est que la situation climatique globale est vraiment préoccupante. Au point qu’il est déjà presque trop tard.

Le Président jeta un coup d’œil acéré à Strengloft.

— Vous êtes d’accord, Dr S. ?

— Nous sommes d’accord pour dire qu’il se dégage un certain consensus selon lequel le réchauffement constaté serait réel.

Le Président regarda Charlie, qui dit :

— Jusque-là, ça va, c’est sûr. Mais c’est ce que nous allons faire à partir de là qui compte. Enfin, à condition que nous essayions d’y remédier.

Charlie revit rapidement la situation, telle que tout le monde la connaissait : la température moyenne avait déjà augmenté de 3,3 degrés, le niveau de CO2 de l’atmosphère, qui était de 280 parties par million avant la révolution industrielle, frisait les 600 ppm et promettait d’atteindre les 1 000 ppm avant la fin de la décennie, c’est-à-dire plus qu’à n’importe quel autre moment depuis soixante-dix millions d’années. L’industrie américaine déversait tous les ans deux milliards et demi de tonnes de CO2 dans l’atmosphère, c’est-à-dire 150 % de plus que ce que les accords de Tokyo auraient autorisé si les Américains les avaient signés, et ils ne donnaient pas l’impression de vouloir s’arrêter là. Et puis il y avait la persistance à long terme des gaz à effet de serre, de l’ordre du millier d’années.

Charlie évoqua aussi rapidement la disparition des récifs coralliens, qui entraînerait des conséquences plus sévères pour les écosystèmes océaniques.

— Le problème, monsieur le Président, c’est que le climat du monde pourrait changer très rapidement. Selon certains scénarios, le réchauffement global provoquerait le refroidissement très rapide de l’hémisphère Nord, surtout en Europe. Si cela devait se produire, l’Europe pourrait devenir une sorte de Yukon de l’Asie.

— Vraiment ! fit le Président. Et qu’est-ce qui prouve que ce serait une mauvaise chose ? Non, je plaisante, évidemment.

— Évidemment, monsieur, ah, ah.

Le Président le fixa, d’un air à la fois moqueur et réprobateur.

— Eh bien, Charles il se peut que tout ça soit vrai, mais nous n’avons aucune certitude que ce soit dû aux activités humaines. Et ça, c’est un fait, non ?

— Tout dépend de ce qu’on entend par « certitude », insista Charlie. Deux milliards et demi de tonnes de carbone par an, ça ne peut pas faire autrement que d’avoir un effet ; c’est de la physique. On pourrait dire que rien ne prouve que le Soleil va se lever demain matin, et d’une certaine façon, ce serait vrai. Mais je vous parie, moi, qu’il va se lever.

— Ne me donnez pas envie de relever le pari !

— Et puis, monsieur le Président, il y a aussi ce qu’on appelle le principe de précaution : quand on est confronté à un désastre possible, il faut agir ; on ne peut pas traîner les pieds sous prétexte qu’on n’est pas sûr à cent pour cent qu’il va se produire. Parce qu’on ne peut jamais être sûr à cent pour cent de quoi que ce soit, et certains de ces problèmes sont trop graves pour qu’on perde du temps.

À ces mots, le Président fronça les sourcils. Strengloft intervint :

— Charlie, vous savez que le principe de précaution est une imitation de l’assurance des actuaires, avec laquelle il n’a aucune ressemblance, le risque et la prime payée ne pouvant être calculés. C’est pour ça que nous avons refusé d’entendre parler du principe de précaution dans les discussions auxquelles nous avons participé aux Nations unies. Nous avons dit que nous refuserions même d’y prendre part si le principe de précaution où les empreintes écologiques étaient évoqués, et nous avions de très bonnes raisons d’exclure ces concepts du débat, parce que ce n’est pas de la bonne science.

Le Président acquiesça de ce hochement de tête familier qui voulait dire « Et voilà », que Charlie reconnaissait pour l’avoir vu lors d’un nombre incalculable de conférences de presse.

— De toute façon, dit-il, j’ai toujours pensé qu’une empreinte était une mesure simpliste pour un problème aussi complexe.

— Monsieur le Président, ce n’est qu’une façon de désigner un bon indice économique, contra Charlie. C’est une façon de calculer l’utilisation des ressources en fonction de la surface de terre nécessaire pour les produire. C’est assez didactique, en réalité. C’est une donnée utile à connaître, comme quand on fait ses comptes : ça permet de savoir où on en est, et il en ressort que l’Amérique consomme des ressources équivalentes à dix fois sa superficie. Si tout le monde en faisait autant, compte tenu de l’augmentation de la densité de population sur la majeure partie du globe, il faudrait quatorze planètes comme la nôtre pour entretenir tout ce monde-là.

— Allons, Charlie, objecta le Dr Strengloft. Je vois d’ici que vous allez vouloir utiliser l’indice de bonheur national brut du Bhoutan, aussi ! Pour l’amour du ciel ! Charlie, nous ne pouvons pas utiliser les indices des petits pays ; ils ne rendent pas compte de la situation. Nous sommes la superpuissance. Et, clairement, les militants anti-CO2 forment eux-mêmes un lobby qui défend ses propres intérêts économiques. Vous avez succombé à leurs arguments, mais ce n’est pas comme si le CO2 était un polluant toxique. C’est un gaz naturel, présent dans l’atmosphère, et essentiel pour les plantes. Il leur est même bénéfique. La dernière fois qu’il y a eu un accroissement significatif du CO2 dans l’air, la productivité de l’agriculture humaine a fait un bond spectaculaire. C’est au cours de cette période que les Scandinaves ont occupé le Groenland. Et il y a eu un allongement général de l’espérance de vie.