Выбрать главу

— Tâche d’obtenir un financement. Ça permettrait de te maintenir à flot un peu plus longtemps, suggéra Frank en se levant pour partir.

— Compte sur moi. Je refais toujours surface.

Une fois dehors, Frank soupira. Torrey Pines lui faisait l’impression d’un bien frêle esquif. Mais c’était le sien, et tout était possible. Derek avait le chic pour garder la tête hors de l’eau. Alors que Sam Houston était à bout de ressources. Derek avait besoin de Frank auprès de lui comme conseiller scientifique. Ou de consultant, étant donné sa position à l’UCSD. Et s’ils avaient Pierzinski sous contrat, les choses pourraient s’améliorer. À la fin de l’année, la situation générale de Torrey Pines aurait pu être complètement retournée. Et si tout s’arrangeait, le potentiel pour que ça marche vraiment bien était là.

Frank s’aventura vers le labo de Leo. L’endroit était sensiblement plus vivant que le reste du bâtiment – il y avait des gens partout, des odeurs de solvants planaient dans l’air et les machines bourdonnaient. Où il y avait de la vie, il y avait de l’espoir. Mais c’était peut-être comme l’orchestre du Titanic, des musiciens qui jouaient alors que le bateau coulait.

Enfin, au moins, ils essayaient de rafistoler les voies d’eau du navire. Frank se sentait encouragé. Il entra et échangea des plaisanteries avec Leo et ses chercheurs. Il se rendit compte qu’il n’avait pas de mal à être amical et encourageant. C’était la tripaille de la machine, après tout. Il expliqua à Leo que c’était Derek qui l’envoyait pour parler avec eux de la situation actuelle, et Leo hocha la tête sans s’engager, puis il lui fit faire un tour, abrégé mais convenable, des installations.

Tandis qu’il lui parlait, Frank le regardait en se disant : Voilà un savant au travail, dans un labo. Il est dans l’espace scientifique optimal. Il a un labo, il a un problème, il est complètement absorbé et il se donne à fond. Il devrait être heureux. Et pourtant il ne l’est pas. Il a un gros problème qu’il essaie de résoudre, mais ce n’est pas ça : dans un labo, on a toujours de gros problèmes.

C’était autre chose. Il était probablement au courant de la situation de la boîte. Bien sûr qu’il devait être au courant ! C’était probablement la source de son mal-être. Les musiciens sentaient que le pont s’inclinait. Dans ce cas, il y avait vraiment quelque chose d’héroïque dans la façon dont ils continuaient à jouer, focalisés sur leur objectif.

Mais, pour une raison ou une autre, Frank était aussi légèrement ennuyé. Les gens continuaient à trimer, à essayer de suivre le programme, même s’il avait du plomb dans l’aile : la science normale, selon les termes de Kuhn, et au sens le plus ordinaire. Tout était tellement normal, ils avaient une telle confiance dans le système, alors qu’il était manifestement à la fois bridé et brisé. Comment faisaient-ils pour continuer ? Comment pouvaient-ils être si déterminés, si bornés, si obtus ?

— Peut-être, suggéra Frank, que si tu avais un moyen de tester les gènes à l’aide de simulations informatiques, de trouver tes protéines à l’avance…

Leo eut l’air intrigué.

— Il faudrait avoir une… comment, une théorie de la façon dont l’ADN code ses gènes. Ça, ce serait bien, mais je ne crois pas que quelqu’un l’ait.

— Non, mais si toi tu l’avais… George ne travaillait pas sur quelque chose de ce genre-là, lui ou un de ses collaborateurs temporaires ? Pierzinski ?

— Yann. Oui, c’est vrai. Il essayait des choses vraiment intéressantes. Mais il est parti.

— Je pense que Derek essaie de le récupérer.

— Bonne idée.

C’est alors que Marta entra dans le labo. Et s’arrêta, surprise, en voyant Frank.

— Tiens, salut, Marta !

— Salut, Frank. Je ne savais pas que tu revenais.

— Moi non plus.

— Ah bon ? Eh bien…

Elle hésita, se retourna. Si elle s’en allait vraiment tout de suite, la situation exigeait qu’elle dise quelque chose, pensa-t-il, quelque chose comme « Contente de t’avoir revu ». Mais elle se borna à lancer :

— J’ai du boulot. Il faut que j’y aille.

Et elle repartit, comme elle était venue.

Ce n’est que plus tard, en repassant le film dans sa tête, que Frank se rendit compte qu’il avait coupé court avec Leo – et de façon assez ostensible – afin de suivre Marta.

Avant même d’avoir compris ce qu’il faisait, il était là, dans le couloir, en train de courir après elle.

Elle se retourna et le vit.

— Quoi ? lança-t-elle sèchement, en le foudroyant du regard.

— Oh, salut ! Je me demandais juste comment ça allait. Il y a un moment qu’on ne s’est pas vus, et… voilà. Tu ne voudrais pas, je ne sais pas, aller dîner quelque part pour bavarder un peu ?

Elle l’examina.

— Franchement, je n’y tiens pas. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Je préfère éviter. À quoi bon ?

— Je ne sais pas, ça m’intéresse de savoir comment tu vas. C’est tout, je crois.

— Ouais, je vois. Je vois ce que tu veux dire. Mais il arrive qu’il y ait des choses auxquelles on s’intéresse et auxquelles on ne peut plus avoir accès, tu vois ?

— Ah bon.

Il fit la moue, la regarda. Elle avait l’air bien. Elle était la plus forte et la plus sauvage des femmes qu’il avait rencontrées. De toute façon, les choses avaient mal tourné entre eux, il n’aurait même pas su dire pourquoi.

Et puis il la regarda et il comprit ce qu’elle voulait dire. Il ne pourrait plus jamais savoir à quoi sa vie ressemblait. Il avait sa façon de voir les choses ; elle avait la sienne. Les maigres données qu’ils pourraient échanger seraient inévitablement biaisées. Parler pendant deux heures n’y changerait rien. Alors, à quoi bon essayer ? Ça ne ferait que réveiller de vieilles douleurs. Dans dix ans, peut-être. Ou jamais.

Marta avait dû lire sur son visage une partie du cheminement de ses pensées, parce qu’elle se détourna sur un hochement de tête impatient et disparut.

18

Quelques jours après la visite de Frank, Leo alluma son ordinateur en arrivant au labo et vit qu’il y avait un e-mail de Derek. Il le lut, puis il ouvrit la pièce jointe. Quand il eut achevé sa lecture, il imprima le tout et le fit suivre à Brian et Marta. Quand Marta arriva, une heure plus tard, elle avait déjà commencé à travailler dessus.

— Hé, Brian, appela-t-elle depuis la porte de Leo, viens voir un peu ça ! Derek nous a envoyé un autre article de Pierzinski. Yann. Le drôle de type qui était ici. C’est une nouvelle version du truc sur lequel il travaillait quand il était chez nous. C’était intéressant, je trouve. Si on pouvait utiliser ça pour trouver des ligands présentant une meilleure affinité, on n’aurait peut-être pas besoin de la pression hydrodynamique pour les faire assimiler par l’organisme.

Brian était entré sur ces entrefaites, et elle indiqua des points du schéma sur l’écran de Leo alors qu’il prenait la conversation au vol.

— Tu vois ce que je veux dire ?

Les cellules hépatiques, les cellules endothéliales, toutes les cellules du corps ont des ligands récepteurs correspondant aux ligands des protéines spécifiques qu’elles ont besoin de trouver dans le sang. Ces paires de ligands forment des ensembles du genre « serrure et sa clé », codés par les gènes et incarnés dans les protéines. De fait, le travail qu’ils effectuaient dans le labo était de la serrurerie au niveau microscopique, utilisant les cellules vivantes en guise de matériau.