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En l’absence de Wade, Charlie était son principal conseiller concernant les problèmes liés au climat global. En réalité, Charlie et Wade fonctionnaient comme une espèce de conseiller à deux têtes : ils travaillaient en tandem, de chez eux, tous les deux à temps partiel, Charlie appelant tous les jours et passant une fois par semaine, Wade appelant une fois par semaine et passant une fois par mois. Ça marchait, parce que Phil n’avait pas toujours besoin d’eux, même pour les problèmes liés à l’environnement.

« Vous avez fait mon éducation, les gars, leur disait-il. Je peux gérer ça. Évidemment, je ferai ce que vous me demandez de toute façon. Alors ne vous inquiétez pas. Vous pouvez rester au pôle Sud, ou à Bethesda. Je vous raconterai comment ça s’est passé. »

Ça aurait bien convenu à Charlie, si Phil s’était contenté de faire ce que Charlie et Wade lui conseillaient. Seulement voilà : Phil avait d’autres conseillers, il était soumis à des pressions de toutes parts, et il avait aussi son avis personnel. Alors, il y avait des divergences.

En attendant, il se fendait de ce sourire contagieux chaque fois qu’il tombait sur Charlie. Ça paraissait lui procurer un plaisir particulier.

— Il y a plus de choses au ciel et sur terre…, murmurait-il, écoutant d’une oreille distraite les remontrances de Charlie.

Comme la plupart des membres du Congrès, il pensait savoir mieux que ses hommes comment procéder pour arriver à ses fins ; et comme c’était lui qui votait et pas ses gars, au fond, c’était lui qui avait raison.

Le jeudi suivant, à dix heures du matin, les Khembalais eurent leur tête-à-tête de vingt minutes avec Phil ; Charlie, qui était très intéressé, aurait bien aimé y assister, mais ce matin-là, il devait écouter, au club de la presse de Washington, un chercheur de la Heritage Foundation raconter que l’accroissement rapide de la température serait bénéfique pour l’agriculture. Marquer les individus de ce genre à la culotte et veiller à tuer leurs pseudo-arguments dans l’œuf était un exercice important, auquel Charlie se livrait avec une indignation farouche. À partir d’un certain moment, la manipulation des faits devenait une sorte de gigantesque mensonge. En tout cas, c’était l’impression qu’avait Charlie quand il se trouvait face à des gens comme Strengloft : il combattait des menteurs, des gens qui mentaient sur la science pour le fric, occultant les signes manifestes de destruction de leur monde actuel. Ils finiraient par transmettre à leurs enfants une planète dégradée, vide d’animaux et de forêts, de récifs de corail et de tout ce qui en faisait naguère un foyer et un système de support biologique. Des menteurs, qui trahissaient leurs propres enfants, et toutes les générations à venir : c’était ce que Charlie aurait voulu leur hurler, avec la même véhémence qu’un cinglé de prédicateur debout sur sa caisse, au coin d’une rue. C’est pourquoi, quand il les approchait avec ses questions polies, précises, et ses remarques pertinentes, il y mettait une certaine pugnacité. Les adversaires tentaient d’esquiver en taxant sa démarche de sectarisme, d’hypocrisie ou de Dieu sait quoi ; mais l’agressivité était parfois payante quand il atteignait le point sensible.

En tout cas, il valait peut-être mieux qu’il ne soit pas présent lors de l’entretien entre Phil et les Khembalais. Comme ça, Phil ne serait pas distrait, et il ne penserait pas que Charlie coachait ses visiteurs. Il pourrait se faire sa propre idée, et Sridar serait là pour recadrer les choses, si nécessaire. D’autant que Charlie avait suffisamment vu les Khembalais à l’œuvre pour être tranquille : Rudra Cakrin et ses compagnons seraient à la hauteur ; ils feraient bonne impression. Phil découvrirait l’étrange pouvoir de persuasion qui était le leur, et il en avait assez vu pour ne pas les dédaigner juste parce qu’ils n’étaient pas des technocrates en costume cravate.

Charlie s’échappa donc de la réunion – exaspérante, comme prévu –, et à dix heures vingt précises il gravissait en courant l’escalier qui menait au bureau de Phil, au deuxième étage, d’où on avait une vue géniale sur le Mall – la meilleure de tous les bureaux des sénateurs, obtenue grâce à un coup fulgurant. Du Phil tout pur : le Sénat, qui étouffait dans ses trois bâtiments exigus, Russell, Dirksen et Hart, avait fini par prendre le taureau par les cornes et investir les locaux des United Brothers of Carpenters and Joiners of America, le syndicat des industries du bois, qui possédait un beau bâtiment dans un endroit spectaculaire du Mall, entre la National Gallery et le Capitole même. Ledit syndicat avait, naturellement, élevé des protestations véhémentes – pour oser faire une chose pareille, il aurait au moins fallu que la Chambre et le Sénat soient aux mains de ces salauds de républicains, qui ne loupaient pas une occasion d’infliger une vexation à un syndicat –, mais l’opération avait soulevé des relents tellement nauséabonds qu’il ne s’était pas trouvé beaucoup de sénateurs assez courageux pour risquer un mauvais coup de pub s’ils s’installaient dans les nouveaux locaux une fois la bataille juridique terminée et la possession du bâtiment dûment entérinée. Phil, lui, ne s’était pas fait prier pour y établir ses pénates, déclarant à qui voulait l’entendre qu’il allait défendre les intérêts du syndicat des industries du bois et de tous les autres syndicats si vertueusement que ce serait comme s’ils n’avaient jamais quitté le bâtiment.

« Où pourrions-nous mieux défendre le peuple travailleur d’Amérique ? avait-il demandé avec son fameux sourire. Je garderai un marteau sur le rebord de ma fenêtre pour me rappeler qui je représente. »

À dix heures vingt-trois, Phil faisait sortir les Khembalais de son magnifique bureau d’angle, en bavardant joyeusement avec eux.

— Oui, merci, évidemment, avec plaisir – voyez avec Evelyn, qu’elle trouve un moment.

Les Khembalais avaient l’air contents. Sridar avait l’air impassible, mais légèrement amusé, comme souvent.

Phil repartait lorsqu’il repéra Charlie. Il s’arrêta.

— Ah, Charlie, enfin ! Content de vous voir !

Il revint et serra, avec un immense sourire, la main de son équipier rougissant.

— Alors, vous avez ri au nez du Président ! (Il se tourna vers les Khembalais.) Cet homme a éclaté de rire au nez du Président ! Moi qui avais toujours rêvé de faire ça !

Les Khembalais hochèrent la tête, de cet air qui voulait universellement dire « Je ne me mouille pas ».

— Alors, quel effet ça fait ? demanda Phil à Charlie. Et comment l’a-t-il pris ?

Charlie, toujours rougissant, répondit :

— Eh bien, à vrai dire, c’était involontaire. Comme un éternuement. C’est Joe qui me titillait. Et pour autant que je sache, il l’a pris normalement. Le Président a eu l’air plutôt content. Il essayait d’être drôle, alors, me voyant rire, il a ri aussi.

— Ouais, je vois. Il vous avait eu.

— Voilà. Enfin, quoi qu’il en soit, il a ri, Joe s’est réveillé, et il a fallu lui mettre un biberon dans le cornet avant que les types des services secrets ne fassent quelque chose que nous aurions tous regretté.