— Alors, vous devez faire beaucoup de vélo ?
— Ouais, pas mal.
Elle lui avait dit qu’elle était membre d’un club cycliste.
— C’est comme tous les clubs.
Sauf que celui-ci partait pour de longues promenades à bicyclette. Le week-end, le plus souvent par petits groupes. Elle aussi, elle donnait des conférences.
— Comme un club social, en fait. Comme n’importe quel autre club, mais avec des bicyclettes en plus.
— C’est bien, ça.
— Oui, c’est marrant. On fait de l’exercice.
— Ça vous rend forte.
— Eh bien, les jambes, au moins. C’est bon pour les jambes.
— Oui, acquiesça Frank, en acceptant l’invitation à regarder ses jambes.
Elle en fit autant, plaquant son menton sur sa poitrine, et donnant l’impression d’inspecter quelque chose hors d’elle-même. Sa jupe dévoilait maintenant tout le côté de sa cuisse gauche.
— Ça renforce les quadriceps, dit-elle.
Frank s’apprêtait à répondre un vague « hon, hon », mais il fut interrompu avant d’avoir eu le temps d’ouvrir la bouche, comme s’il avait reçu un léger coup au niveau du plexus solaire, alors il émit une sorte de bref bourdonnement, ou de ronronnement. Un truc qui ressemblait à « Nnnn ». Un petit gémissement d’attente, à la vision de si longues et fortes jambes, de toute cette peau lisse, de la douce courbe à l’arrière de la cuisse. Ses genoux étaient distinctement plus hauts que les siens à lui.
Il leva les yeux et vit qu’elle lui souriait de toutes ses dents. Il redressa les épaules et détourna les yeux juste un instant, oui, d’un air coupable, sentant les coins de sa bouche se retrousser, esquissant le sourire lamentable de celui qui aurait été pris sur le fait. Que pouvait-il dire ? Elle avait des jambes géniales.
Et là, elle le regardait d’un air interrogateur, scrutant son visage comme à la recherche de quelque chose de précis, les yeux brillants de malice, d’amusement. Se mettant tout entière dans ce regard.
Et une partie de ce qu’elle vit dut lui plaire, parce qu’elle se pencha vers lui, sur son épaule, s’appuya plus fort sur lui, tendit la tête vers son visage et l’embrassa.
— Mmm, ronronna-t-il en lui rendant son baiser.
Il changea de position pour lui faire face, son corps comme mû par une volonté propre. Elle se déplaça aussi, prit un tout petit peu de recul pour le regarder à nouveau dans les yeux, puis son sourire s’élargit et elle se coula dans ses bras. Leur baiser devint de plus en plus passionné. Tels deux adolescents qui s’envoient en l’air, ils s’envolèrent pour l’univers de poche qu’est le désir. Les secondes passèrent, les pensées de Frank s’éparpillèrent, il était absorbé dans le goût de sa bouche, de sa hanche sur la sienne, de sa langue, de la maladresse de leur étreinte. C’était torride. Ils étaient tous les deux ruisselants de sueur. Leurs baisers avaient un goût salé. Frank glissa une main sous sa jupe. Elle eut un bruit de gorge, prit appui sur un genou, puis passa sur lui, l’enjambant. Ils s’embrassèrent, plus passionnément encore.
Le téléphone de l’ascenseur sonna.
Elle se releva.
— Oups, fit-elle en reprenant sa respiration.
Elle était rouge comme une pivoine. Magnifique. Elle leva une main derrière son dos, attrapa le combiné téléphonique, restant fermement sur lui.
— Allô ? dit-elle.
Frank se cambra sous elle, et elle posa une main sur sa poitrine pour l’empêcher de se redresser.
— Ben oui, évidemment qu’on est là, dit-elle. Vous avez fait vite, les gars.
Elle écouta un instant et eut un petit rire bref.
— Non, je veux bien croire qu’on ne vous le dit pas souvent.
Elle baissa les yeux sur Frank, pour partager un sourire complice, et c’est à cet instant que Frank éprouva le lien le plus fort avec elle. Ils étaient un couple, quelque part dans le monde, et personne d’autre ne le savait, qu’eux deux, tout seuls.
— Ouais, pour sûr… on sera là !
Elle roula à bas de lui en raccrochant.
— Ils disent qu’ils ont réparé la panne, et on remonte.
— Et merde !
— Ça oui.
Ils se relevèrent. Elle lissa sa jupe. Ils sentirent quelques secousses alors que l’ascenseur repartait vers le haut.
— Waouh, regardez dans quel état on est ! On est ruisselants.
— On l’aurait été, quoi qu’on fasse. Il fait une chaleur à crever, là-dedans.
— C’est vrai.
Elle tendit les mains vers lui pour lui lisser les cheveux et ils s’embrassèrent à nouveau, heurtant la paroi dans un soudain embrasement de passion, plus fort que jamais. Puis elle le repoussa et dit, à bout de souffle :
— Il faut qu’on arrête. On est presque arrivés. La porte va s’ouvrir.
— C’est vrai.
Confirmant cette pensée, l’ascenseur amorça la décélération caractéristique. Frank inspira profondément, relâcha son souffle, essaya de reprendre ses esprits. Il se sentait rouge comme un lumignon, et sa peau le picotait sur tout le corps. Il la regarda. Elle était presque aussi grande que lui.
— Un peu plus et on était pris en flagrant délit, dit-elle en riant.
L’ascenseur s’immobilisa. Les portes s’ouvrirent dans une secousse. Ils étaient encore à une trentaine de centimètres en dessous du niveau de la chaussée, mais ils n’eurent pas de mal à enjamber la marche et à sortir.
Devant eux se tenaient trois hommes, deux en combinaison de travail et un en uniforme du métro.
Le type du métro tenait un porte-bloc.
— Ça va, là-dedans ? leur demanda-t-il.
— Ouais, ça va, répondirent-ils d’une même voix.
Tout le monde resta là pendant une seconde.
— Devait faire chaud, là-dedans, reprit l’homme en uniforme.
Les trois hommes les regardaient curieusement.
— Ça oui, répondit Frank.
— Enfin, pas beaucoup plus que dehors, ajouta rapidement sa compagne.
Ils se mirent tous à rire.
C’était vrai ; il ne faisait pas tellement plus frais dehors. C’était comme s’ils étaient sortis d’un sauna pour entrer dans un autre. Leurs sauveteurs transpiraient aussi abondamment. Eh oui, l’air extérieur, pendant une soirée d’été typique à Washington DC, était exactement aussi chaud que l’intérieur d’un ascenseur coincé dans les profondeurs. Mais c’était comme ça, c’était leur monde ; alors ils rigolaient.
Ils étaient sur le trottoir, le long de Wisconsin Avenue, près de l’entrée du métro et de la vieille poste. Les passants les regardaient avec curiosité. Le contremaître tendit sa planche à la femme.
— Si vous voulez bien remplir le rapport et le signer, s’il vous plaît… Merci. Apparemment, il ne s’est pas passé plus d’une demi-heure entre le moment où vous avez appelé et celui où on vous a tirés de là.
— Assez rapide, acquiesça la femme en parcourant le texte de l’imprimé avant de remplir quelques cases et de signer. Ça ne m’a pas paru si long, dit-elle en regardant sa montre. Bon. Eh bien, merci beaucoup.
Elle se tourna vers Frank, lui tendit la main.
— Enchantée d’avoir fait votre connaissance.
— Moi aussi, répondit Frank en lui rendant sa poignée de main, cherchant désespérément quoi dire, quoi penser.
Devant ces témoins, rien ne lui venait à l’esprit. Elle se retourna et partit vers le sud, sur Wisconsin. Frank se sentait retenu par le regard des trois hommes. Il ne pouvait lui courir après et lui demander son nom, son numéro de téléphone, sans se trahir. Et puis le contremaître lui tendit la planche à pince, et il se dit qu’il pourrait lire ce qu’elle avait écrit.