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— C’est bizarre ! J’en déduis qu’ils n’ont pas vérifié votre identité.

— Non.

— Ils auraient peut-être dû.

— Tu sais, les gens qui sont restés coincés dans un ascenseur sont rarement d’humeur à présenter leurs papiers.

— Ça, je veux bien le croire.

La porte de l’ascenseur s’ouvrit et ils entrèrent. Ils étaient tout seuls dans la cabine.

— En tout cas, ton amie n’avait pas l’air disposée à le faire.

— Mouais.

— C’est quand même drôle qu’elle ait donné de faux renseignements.

— Je trouve aussi.

— Et ce qu’elle t’a dit… elle t’a parlé d’un club de cyclisme, c’est ça ?

— J’ai exploré cette piste-là. Aucun des clubs de sports du coin ne veut fournir la liste de ses membres. J’ai réussi à pénétrer dans les fichiers de l’un d’eux, à Bethesda, et il n’y a pas de Jane Smith.

— Mouais. Je vois que tu as creusé l’affaire.

— Oui.

— Peut-être que c’est un fantôme. Euh… tu pourrais peut-être aller à toutes les rencontres des clubs de vélo, juste une fois. Ou t’inscrire dans un de ces clubs et faire des balades avec, la chercher lors des réunions, montrer sa photo…

— Quelle photo ?

— Tu devrais pouvoir en obtenir une avec un programme de génération d’images, de portraits-robots.

— Bonne idée. Sauf que… ça ne lui ressemblerait pas.

— Non. Ce n’est jamais très ressemblant.

— Et il faudrait que je fasse des progrès à vélo.

— Allez, dis-toi que tu as quand même de la chance : elle ne fait pas de parachutisme.

— C’est vrai, dit-il en riant. Je vais y réfléchir. Enfin, merci, Anna.

Plus tard, cet après-midi-là, ils se retrouvèrent pour aller à la réunion du comité directeur de la NSF à laquelle Diane les avait convoqués. Ils montèrent au douzième et parcoururent les couloirs. Par les vitres donnant sur l’extérieur, ils virent que la lumière, au-dehors, s’était subitement assombrie. Dans leur hâte à rejoindre l’Atlantique, de gros nuages noirs crevaient, se déchargeant de leur pluie sur la ville.

Dans la grande salle de conférences, quelques personnes, dont Laveta, disposaient un tableau blanc et un écran PowerPoint selon les instructions de Diane. Frank et Anna étaient les premiers arrivés.

— Entrez, entrez, fit Diane.

Puis elle leur tourna le dos pour s’occuper de l’écran.

Les autres participants arrivèrent au compte-gouttes. Le comité directeur de la NSF comptait vingt-quatre membres, même s’il y avait généralement quelques sièges vacants. Les directeurs étaient tous des puissances dans leur domaine scientifique, nommés pour six ans par la présidence à partir de listes fournies par la NSF et l’Académie nationale des sciences.

Pour le moment, ils arrivaient, trempés et échevelés comme s’ils avaient essuyé une tempête, et s’asseyaient au petit bonheur, seuls ou par deux. Quelques directeurs de la division d’Anna les rejoignirent, puis ce fut le tour de Sophie Harper, qui faisait le lien entre la NSF et le Congrès. Pour finir, ils se retrouvèrent à quinze ou seize autour de la grande table. La lumière vacilla légèrement alors qu’un éclair zigzaguait vaguement à travers la pluie battante. La grisaille, au-dehors, palpitait comme s’ils étaient dans un aquarium.

Diane leur souhaita la bienvenue et esquissa rapidement l’ordre du jour. Après quoi elle lista les grands projets qui avaient été proposés, ou dont ils avaient débattu durant l’année, et demanda un rapport succinct aux membres du comité à qui ils avaient été dévolus. Il y avait des projets de mitigation du climat, souvent très hypothétiques, et tous extrêmement coûteux. Un programme de puits à carbone prévoyait des reforestations qui permettraient aussi de contrôler les inondations ; Anna nota d’en parler aux Khembalais.

Mais rien de tout ça n’aurait d’effet sur la situation globale, compte tenu de l’énormité du problème, ainsi que de la mission et du budget restreints de la NSF. Dix milliards de dollars ! Même les projets à cinquante milliards de leur liste n’abordaient que de petites parties du problème d’ensemble.

Dans ces moments-là, Anna ne pouvait s’empêcher de penser à Charlie en train de jouer avec les dinosaures de Joe. Il brandissait un petit animal qui ressemblait à une souris rose, un mammifère primitif, et s’exclamait : « Hé, la NSF ! »

C’était plutôt flatteur pour la NSF. Au fond, ça rendait hommage à son aptitude à la survie dans un monde gigantesque, ou à la façon dont elle incarnait l’avenir, mais l’analogie se justifiait malheureusement aussi en termes de taille. Une petite bête qui se débattait pour sauver sa peau entre les pattes de dinosaures agonisants – ou, pire encore, qui essayait de sauver les dinosaures mêmes –, où était le mécanisme ? Comme aurait dit Frank : « Comment ça marche ? »

Elle chassa ces pensées et fit rapidement son rapport sur l’infrastructure des programmes de distribution qu’elle avait étudiés. Ils étaient en place depuis quelques années, et elle pouvait donc fournir des données quantitatives, qui faisaient apparaître un rendement scientifique accru dans les pays participants. L’infrastructure avait été pas mal ventilée au cours de la dernière décennie. En conclusion, Anna dit que les programmes étaient un succès, et devraient être multipliés, et cette déclaration fut saluée par des hochements de tête approbateurs. C’était évident. Coûteux, aussi.

Il y eut un silence méditatif.

Pour finir, Diane regarda Frank.

— Frank, vous êtes prêt ?

Il se leva. Il n’avait pas l’air à son aise, contrairement à son habitude. Il s’approcha du tableau blanc, prit un marqueur rouge, le tourna et le retourna. Il était écarlate.

— Tous les programmes décrits jusque-là se concentrent sur la collecte de données, et la vérité c’est que nous en avons déjà suffisamment. Le climat du monde a commencé à changer. La rupture de la banquise dans l’océan Arctique a inondé d’eau douce la surface de l’Atlantique Nord, et d’après les chiffres les plus récents, les eaux de surface n’ont pas pu s’enfoncer dans les profondeurs, ralentissant la circulation du grand courant Atlantique. Ce qui a été identifié d’une façon assez concluante comme un événement déclencheur majeur dans l’histoire du climat de la Terre. Mais ça, vous le savez sûrement. Un changement abrupt de climat s’est probablement déjà amorcé.

Frank regarda le tableau blanc, les lèvres pincées.

— La question, maintenant, est : qu’est-ce qu’on fait ? Continuer comme avant ne marchera pas. L’effort de la NSF devrait porter sur la recherche des moyens qui lui permettraient d’avoir un impact beaucoup plus grand qu’elle n’en a eu jusque-là.

— Excusez-moi, dit, l’air un peu irrité, un homme d’une soixantaine d’années, avec une petite barbichette grise, qu’Anna ne reconnut pas. Il me semble que c’est déjà ce que nous essayons de faire. Je veux dire, il en est question à toutes les réunions du comité auxquelles j’ai assisté. Nous passons notre temps à nous demander comment la NSF pourrait faire plus avec les moyens dont elle dispose.

— Peut-être, répondit Frank, mais ça n’a pas marché.

— Que voulez-vous dire, Frank ? intervint Diane. Que devrions-nous faire que nous n’avons pas encore essayé ?

Il se racla la gorge. Ils s’affrontèrent un long moment du regard, investis dans une sorte de conflit indéfini.

Frank haussa les épaules, s’approcha du tableau blanc, ôta le capuchon de son marqueur rouge.

— Je vais vous faire une liste.

Il traça le chiffre 1 et l’entoura.