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Lorsque Leo retourna au labo, deux de ses assistants, Marta et Brian, étaient debout devant une paillasse, en blouse blanche et gants de caoutchouc, et s’affairaient avec des pipettes sur une batterie de flacons.

— Salut, les gars.

— Salut, Leo.

Marta pointa sa pipette comme un curseur PowerPoint sur la petite vitre du long réfrigérateur placé sous le plan de travail.

— Prêts pour la vérification ?

— Et comment ! Vous pouvez m’aider ?

— Juste une seconde, répondit Marta en s’affairant un peu plus loin sur la paillasse.

— Il vaudrait mieux que ça marche, dit Brian. Parce que Derek vient de raconter à la presse que c’était la méthode d’autothérapie de la décennie.

— Non, c’est une blague ? répondit Leo, surpris.

— Pas le moins du monde.

— Ce n’est pas possible !

— Si, si.

— Mais comment a-t-il pu faire une chose pareille ?

— Ce sont les termes mêmes du communiqué de presse. Et il a aussi appelé ses journalistes préférés. C’est sur sa page Web. Les blogs parlent déjà des implications. Les paris sont lancés. Certains ne nous donnent pas un mois avant de nous faire racheter par un gros labo pharmaceutique…

— Oh non, Bri ! Ce ne sont vraiment pas des choses à dire !

— Désolé, mais tu connais Derek. On ne parle plus que de ça.

Brian indiqua, d’un geste, l’écran de l’un des ordinateurs posés sur la paillasse. Leo y jeta un coup d’œil.

— Ce n’était pas sur Bioworld Today…

— Ça y sera demain.

L’onglet de la page « Dernières nouvelles » du site de la boîte clignotait. Leo se pencha, cliqua dessus. Ouais – l’édito du jour. L’usine à HDL, panacée potentielle contre l’obésité, le diabète, la maladie d’Alzheimer, les maladies de cœur…

— Oh mon Dieu, marmonna Leo en s’empourprant. Oh mon Dieu… Mais pourquoi il fait ça ?

— Il veut que ça devienne la réalité.

— Bon, d’accord, mais on n’est encore sûrs de rien !

— Il veut que tu le fasses devenir vrai, Leo, insista Marta avec son sourire en coin. Lui c’est Bip Bip, toi tu es Vil Coyote, et il veut te faire passer en courant par-dessus le bord de la falaise, comme ça tu seras obligé de construire le pont qui te permettra d’éviter de t’écraser en bas…

— Sauf que ça rate toujours ! Vil Coyote se rétame à tous les coups au fond du canyon !

Marta le regarda en rigolant. Elle l’aimait bien, mais c’était une coriace.

— Allez, dit-elle. Cette fois, ça va marcher.

Leo hocha la tête, essaya de se calmer. Il appréciait Marta et son moral d’acier, et il s’efforçait toujours de rester aussi positif qu’on pouvait humainement l’être, en toutes circonstances, mais là, ça commençait à devenir duraille. Enfin, il se fendit de son plus large sourire et dit :

— Ouais, c’est vrai, vous êtes formidables.

Il enfila des gants en latex.

— Tu te rappelles la fois où il a annoncé qu’on avait vaincu l’hémophilie A ? demanda Brian.

— Tais-toi, je t’en prie…

— Et la fois où il a annoncé par voie de presse qu’il avait décapité des souris à mille tours/minute pour prouver à quel point notre thérapie marchait bien ?

— L’expérience de la guillotine rotative ?

— Pitié ! implora Leo. Arrête ça.

Il prit une pipette et essaya de se concentrer sur son travail. Prélever, injecter, prélever, injecter – l’essentiel du travail, à ce stade, était malheureusement robotisé, ce qui dégageait le cerveau, laissant le champ libre à toutes les réflexions, bienvenues ou non. Au bout d’un moment, Leo les laissa continuer seuls et retourna dans son bureau relever son courrier électronique, puis parcourir, impuissant, la partie du communiqué de Derek qu’il réussit à lire sans avoir envie de vomir.

— Mais pourquoi est-il allé raconter ça, pourquoi, pourquoi, pourquoi ? fit-il tout haut.

Cette question n’attendait pas de réponse, mais Marta et Brian étaient devant la porte de son bureau, et Marta répondit, implacablement :

— Je te l’ai dit : il croit qu’il peut nous forcer la main.

— Sauf que ça ne dépend pas de nous, objecta Leo. Ça ne dépend pas de nous, mais des gènes. Si le gène modifié n’atteint pas la cellule qu’on essaie de cibler, on ne peut rien faire.

— Tu n’as plus qu’à trouver le truc qui permettra d’y arriver.

— Tu veux dire : construisez-le et ils viendront ?

— C’est ça. Dis-le, et ils se démerderont pour le faire.

Dans le labo, une minuterie sonna, faisant un bruit qui rappelait étrangement le cri du Bip Bip : meep-meep ! Ils mirent le cap vers l’incubateur et lurent le graphe déroulant au fur et à mesure que la machine le crachait, tel le reçu d’un distributeur automatique – comme les billets d’un distributeur automatique, en fait, si les résultats étaient bons. L’énorme tas de dollars qui leur tomberait dessus s’ils avaient tiré le bon numéro.

Et pour être bons, les chiffres l’étaient. Ils étaient même excellents. Il allait falloir qu’ils vérifient, mais ils faisaient cette série d’expériences depuis tellement longtemps qu’ils savaient à quoi les données brutes devaient ressembler. Or elles étaient vraiment bonnes. Ils étaient donc maintenant comme Vil Coyote, debout au milieu du vide, en train de regarder avec stupéfaction les spectateurs, parce qu’un pont s’était magiquement étendu hors de la falaise, venant à sa rencontre pour le sauver. Et les sauver, eux, de l’interminable plongeon d’un démenti dans la presse et de la chute libre au Nasdaq qui l’aurait aussitôt suivi.

Sauf que Vil Coyote se réjouissait toujours trop vite. Le Bip Bip avait toujours un mouvement d’avance. L’angoisse…

— Et merde ! s’exclama Leo, la main tremblante. Sans Derek, je délirerais de joie, là, tout de suite… Regardez ça, dit-il en indiquant une ligne. On n’a jamais obtenu un résultat pareil.

— Tu vois ? Derek savait que ça marcherait comme ça.

— Tu parles qu’il le savait !

— De sacrés bons chiffres, renchérit Brian avec un sourire. L’article est déjà presque rédigé, en plus. Je n’ai plus qu’à intégrer ces données et à fignoler la conclusion.

— Elle sera simple, si ça se corrobore, dit Marta.

— Le seul problème, reprit Leo en hochant la tête, c’est qu’elle ne devra pas laisser ignorer que même si cette partie-là marche, le traitement n’est pas encore à notre portée parce que nous ne tenons pas l’apport ciblé. On pourrait y arriver, mais on ne sait pas l’administrer à des organismes vivants, à l’endroit précis où on en a besoin.