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— Incroyable.

Charlie retourna regarder par la fenêtre. L’eau était toujours là. Une voix, à la télé, disait que plus d’un milliard deux cents millions de mètres cubes d’eau convergeaient vers la zone métropolitaine, partiellement retenus sur leur trajet en aval par la marée haute. La pluie n’en finissait pas de tomber, et la météo n’annonçait pas d’amélioration.

Par la vitre, Charlie vit que, malgré le vent et les embruns, les gens s’aventuraient maintenant dans les rues avoisinantes avec de petites embarcations : des zodiacs, des kayaks, un hors-bord qui servait au ski nautique, des canots, des barques ; il y avait de tout. Et puis, alors que la soirée avançait et que la lumière crépusculaire baissait encore sous les nuages noirs, la pluie redoubla d’intensité. Le seul fait de se trouver sur l’eau devait être dangereux. La plupart des petites embarcations semblaient occupées par des hommes qui ne donnaient pas l’impression d’avoir de raison particulière d’être dehors. Ils étaient sortis pour s’éclater, à la recherche d’émotions fortes. Déjà !

— On se croirait à Venise, dit Andréa, faisant écho aux pensées que Charlie avait eues plus tôt. Je me demande comment ça ferait si c’était tout le temps comme ça.

— On ne va peut-être pas tarder à le découvrir.

— On est à quelle altitude au-dessus du niveau de la mer ?

Personne ne le savait, mais Evelyn le découvrit rapidement, et elle afficha une carte topographique sur son écran. Ils se massèrent autour d’elle pour la regarder, ou pour copier l’adresse afin de se connecter sur le site.

— Regardez ça !

— Quoi, trois mètres au-dessus du niveau de la mer ? C’est possible, ça ?

— C’est ce qu’on appelle un bassin hydrographique.

— Mais l’océan est à… quoi ? cent, cent cinquante kilomètres ?

— Il y a cent quarante-cinq kilomètres jusqu’à la baie de Chesapeake, confirma Evelyn.

— Je me demande si le métro est inondé.

— Comment pourrait-il ne pas l’être ?

— Exact. Il ne peut pas faire autrement que de l’être, au moins en certains endroits.

— Et s’il l’est en certains endroits, comment veux-tu qu’il ne le soit pas partout ?

— Eh bien, il y a des sections plus hautes que d’autres. Les zones les plus profondes doivent être submergées. Enfin, de toute façon, les entrées doivent être sous l’eau partout.

— Exactement.

— Eh bien… Quel gâchis.

— Et merde ! Je suis venu en métro.

— Moi aussi, dit Charlie.

Ils réfléchirent un instant. Il ne risquait pas d’y avoir de taxis non plus.

— Je me demande combien de temps il faudrait pour rentrer à pied.

Mais bien sûr, entre le Mall et Bethesda, il y avait le Rock Creek.

Des heures passèrent. Charlie vérifiait souvent ses mails, et finalement, il y eut un message d’Anna : « Ici tout va bien ; contente de te savoir au bureau, surtout restes-y jusqu’à ce que ce soit sûr. On se reparle dès que le téléphone remarchera. T’adorons, A et les garçons. »

Charlie inspira profondément, se sentant grandement rassuré. Quand il avait téléchargé la carte topographique, il avait commencé par regarder Bethesda, et il avait vu que Wisconsin Avenue, la limite du district et du Maryland, était à soixante-seize mètres au-dessus du niveau de la mer. Le Little Falls Creek était tout près, mais suffisamment loin à l’ouest pour ne pas poser de problème, du moins l’espérait-il. D’accord, à l’heure qu’il était, Wisconsin Avenue était probablement une espèce de torrent peu profond, qui s’engouffrait dans Georgetown – et si cette petite snobinarde de Georgetown en prenait pour son grade, ce n’était pas lui qui la plaindrait, seulement voilà : elle se trouvait sur une élévation de terrain qui surplombait le fleuve, selon la corrélation habituelle entre l’argent et l’altitude. Sensiblement plus haut que le Capitole. C’était toujours comme ça : les pauvres gens vivaient dans les basses terres, la partie du sud-est de la vallée de l’Anacostia, qui avait débordé sur ses deux rives, en témoignait.

Il pleuvait toujours. Le réseau téléphonique était toujours HS, et aucun appel n’arrivait à passer. Les gens, dans le bureau de Phil, regardaient la télé, affalés sur des canapés, ou s’allongeaient carrément pour dormir sur les coussins des fauteuils étalés par terre. Dehors, le vent tombait, reprenait de la force, cessait. Et il pleuvait sans discontinuer. Toutes les chaînes de télé déliraient sur le monde hystérique devant des pièces sombres, vides. C’était quand même drôle : ils étaient directement impliqués dans un moment manifestement historique, ils étaient au beau milieu des événements, en fait, et ils le regardaient à la télé, comme tout le monde.

Comme il n’arrivait pas à dormir, Charlie se mit à arpenter les couloirs de l’énorme bâtiment. Il alla bavarder avec l’équipe de sécurité, à la porte d’entrée. Bien qu’ils aient utilisé du ruban adhésif du type anti-attaque par les gaz lacrymogènes, fourni par le département de la Sécurité du territoire, afin d’empêcher l’eau de passer sous les portes, le sol commençait à être trempé, et dans les sous-sols la situation n’était pas brillante. Les travaux avaient dû être bien faits, ils n’étaient pas inondés jusqu’au plafond. Apparemment, dans les bâtiments du Smithsonian, des centaines de gens déménageaient tout ce qu’ils pouvaient vers les étages supérieurs. Dans leur bâtiment, ils s’affairaient surtout devant des écrans d’ordinateurs, même si certains rapportaient maintenant qu’ils avaient du mal à se connecter. Si Internet était coupé, ils seraient complètement isolés du monde.

Pour finir, à force de marcher, Charlie, qui manquait déjà terriblement de sommeil, fut repris de démangeaisons affreuses qui l’obligèrent à retourner dans le bureau de Phil, s’allonger sur un canapé et essayer de dormir.

Il s’allongea du côté brûlé sur les coussins de canapé, mais il eut beau y aller doucement, il ne put retenir un gémissement de douleur, et ses yeux s’emplirent de larmes. Tout d’un coup, il fut pris d’une envie d’être chez lui si forte qu’elle en était insupportable. La pensée d’Anna et des garçons lui arrachait des gémissements. Il avait besoin d’être avec eux ; il n’était pas lui-même, ici, loin d’eux. Voilà l’effet que ça lui faisait de se retrouver dans une situation d’urgence de cette nature : c’est tout juste s’il arrivait à y croire, et il était en même temps affreusement conscient qu’il pouvait arriver des choses terribles. Ses brûlures le suppliciaient. Il pensa qu’il n’arriverait jamais à dormir, mais il était tellement fatigué qu’après s’être tourné et retourné pendant un moment dans un état hypnagogique, où le souvenir de l’inondation lui revenait comme un cauchemar dont il découvrait avec soulagement qu’il n’était pas réel, il sombra dans le sommeil.

36

De l’autre côté du grand fleuve, c’était différent. Frank était à la NSF quand la tempête devint vraiment terrible. Diane lui avait confié le soin de réunir un nouveau groupe placé sous l’autorité directe du comité directeur, et son acceptation avait déclenché toute une vague d’échanges destinés à formaliser la prolongation de son mandat à la NSF pour un an. Les responsables de son département, à l’université de San Diego, n’y voyaient aucun inconvénient. Il était dans leur intérêt que l’un des leurs travaille à la NSF.