Masklinn se laissa descendre avec prudence sur le plancher et avança à pas de loup. Les humains ne regardaient même pas dans sa direction.
J’espère que le Truc sait vraiment conduire cet avion, pensa-t-il.
Il se coula en direction des panneaux derrière lesquels se cachait Angalo, avec un peu de chance.
Il ne se sentait pas bien. Il avait horreur de se trouver ainsi à découvert. Bien sûr, c’était probablement pire au temps où il devait chasser seul. Si quelque chose l’avait attrapé à l’époque, il ne l’aurait jamais su. Il n’aurait représenté qu’une seule bouchée. Tandis que personne ne savait ce que les humains feraient à un gnome s’ils en attrapaient un…
Il bondit dans le doux réconfort des ombres.
— Angalo ! siffla-t-il.
Au bout d’un moment, une voix venue de derrière les fils électriques demanda :
— Qui est là ?
Masklinn se redressa.
— Tu veux que je te laisse combien de chances de répondre ? demanda-t-il d’une voix normale.
Angalo se laissa tomber.
— Ils ont essayé de m’attraper ! dit-il. Et l’un d’eux a plongé le bras pour…
— Je sais. Viens, pendant qu’ils sont occupés.
— Qu’est-ce qui se passe ? s’enquit Angalo, tandis qu’ils se hâtaient vers la lumière.
— C’est le Truc qui conduit.
— Comment il fait ? Il n’a pas de bras ! Il ne peut pas changer de vitesse, ou quoi que ce soit…
— À ce qu’il paraît, il commande aux ordinateurs qui s’occupent de tout ça. Allez, viens !
— J’ai regardé par une fenêtre, bafouilla Angalo. Il y a du ciel partout !
— Inutile de revenir là-dessus, merci.
— Juste un dernier petit coup d’œil…
— Écoute, Gurder nous attend et on ne veut plus avoir de problèmes…
— Mais c’est mieux que les camions…
Les deux gnomes entendirent un borborygme.
Ils levèrent les yeux.
Un des humains les observait. Il avait la bouche ouverte, et son visage affichait l’expression de celui qui va avoir beaucoup de mal à expliquer ce qu’il vient de voir ; à lui-même, pour commencer.
L’humain commençait déjà à se lever.
Angalo et Masklinn échangèrent un regard.
— Fonce ! hurlèrent-ils.
Gurder était prudemment retranché dans une flaque d’ombre près de la porte quand ils le dépassèrent, bras et jambes s’activant comme des pistons. Il retroussa sa chasuble pour essayer de les rattraper.
— Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui se passe ?
— Il y a un humain qui nous poursuit !
— Ne me laissez pas tout seul ! Ne me laissez pas tout seul !
Masklinn tenait la tête du peloton, de peu, tandis que le trio remonta l’allée centrale de l’avion entre les rangées d’humains, qui ne prêtèrent pas la moindre attention aux trois minuscules taches floues qui galopaient entre les sièges.
— On n’aurait… pas dû s’attarder… pour regarder ! ahana Masklinn.
— On n’aura peut-être… plus jamais… l’occasion de le faire ! souffla Angalo.
— On est bien d’accord là-dessus !
Le sol tangua légèrement.
— Truc ! Qu’est-ce que tu fabriques ?
— Je détourne leur attention.
— Surtout pas ! Par ici, tout le monde !
Masklinn bondit entre deux sièges, contourna une paire de souliers géants et se jeta à plat ventre sur la moquette. Les autres se ruèrent à sa suite.
À quelques centimètres d’eux, se trouvaient deux gigantesques pieds humains.
Masklinn plaça le Truc contre son visage.
— Rends-leur leur avion ! siffla-t-il.
— J’espérais qu’on me permettrait de le faire atterrir, répondit le Truc.
Bien que sa voix soit atone et inexpressive, Masklinn crut y discerner un peu de regret.
— Tu sais faire atterrir un de ces machins ? demanda Masklinn.
— J’aurais aimé apprendre…
— Rends-leur ça tout de suite !
Il y eut un léger cahot, et un changement dans les mouvements de lumières à la surface du Truc. Masklinn laissa échapper un soupir.
— Bon, maintenant, est-ce que tout le monde veut bien essayer de se conduire de façon raisonnable pendant cinq minutes ? demanda-t-il.
— Désolé, Masklinn, fit Angalo.
Il essayait de paraître sincère, sans y réussir. Masklinn reconnut ces grands yeux brillants, ce sourire légèrement dément, cette expression de quelqu’un qui n’est pas loin d’atteindre son paradis personnel.
— C’est simplement que… poursuivit Angalo. Tu sais que c’est bleu « même en dessous de nous ? On dirait qu’il n’y a plus de sol là-dessous ! Et…
— Si le Truc se hasarde à de nouvelles leçons de vol, on risque de découvrir si c’est bien le cas, répondit Masklinn d’un ton lugubre. Alors, on va rester assis un petit moment sans rien faire, d’accord ?
Ils restèrent assis, en silence, sous le siège.
Puis Gurder dit :
— Tiens, cet humain a un trou à sa chaussette.
— Et alors ? demanda Angalo.
— Oh ! chais pas. C’est simplement qu’on ne pense jamais que les humains peuvent avoir des trous aux chaussettes.
— Quand il y a des chaussettes, les trous ne sont pas loin derrière, énonça sentencieusement Masklinn.
— Ce sont de belles chaussettes, cela dit, reconnut Angalo.
Masklinn les contempla. Pour lui, c’étaient de banales chaussettes. Dans le Grand Magasin, les gnomes les utilisaient comme sacs de couchage.
— Qu’est-ce qui te fait dire ça ? s’enquit-il.
— Ce sont des Monsieur Inodor, expliqua Angalo. Garanties quatre-vingt-cinq pour cent polyputhéketlon. Le Grand Magasin en vendait. Elles coûtent bien plus cher que les autres. Regarde, on voit l’étiquette.
Gurder poussa un soupir.
— Ah ! il était bien, le Grand Magasin ! marmonna-t-il.
— Et les chaussures, continua Angalo en montrant du doigt les grandes formes blanches, échouées un peu plus loin comme deux barques. Vous les voyez ? Des Baladeuses Crucial, avec une Semelle en Caoutchouc Véritable. Très chères.
— Je n’en ai jamais été partisan, je dois dire, fit Gurder. Trop m’as-tu-vu. Je préférais les Hommes, Marron, à Lacets. Quand on est gnome, on a une bonne nuit de sommeil assurée, là-dedans.
— Ces machins-là, les Baladeuses… Ce sont aussi des chaussures du Grand Magasin ? s’enquit prudemment Masklinn.
— Oh ! oui, c’est un modèle exclusif.
— Hum !
Masklinn se leva, et se dirigea vers un gros sac en cuir à demi enfoui sous le siège. Les autres le regardèrent l’escalader puis se hisser de façon à pouvoir, très rapidement, jeter un coup d’œil par-dessus l’accoudoir. Il redescendit.
— Bien bien bien bien, dit-il d’une voix joviale, au bord de la folie douce. C’est un sac qui vient du Grand Magasin, non ?
Gurder et Angalo lui jetèrent un regard interloqué.
— À vrai dire, je n’ai jamais passé beaucoup de temps aux Accessoires de Voyage, fit Angalo. Mais, maintenant que tu le fais remarquer, ça pourrait être le Compagnon de Voyage Spécial, en Vachette.
— Four le Cadre Exigeant ? ajouta Gurder. Oui, ce n’est pas impossible.
— Vous avez réfléchi à la façon dont nous allions descendre ? demanda Masklinn.
— De la même façon que nous sommes montés à bord, répondit Angalo, qui n’avait pas envisagé le problème.
— Je pense que ça pourrait s’avérer délicat. Il me semble que les humains risquent d’avoir d’autres idées. En fait, je me dis qu’ils pourraient se mettre à notre recherche. Même s’ils nous ont pris pour des souris. Je n’aimerais pas beaucoup voir des souris à bord d’un engin comme ça, si j’étais eux. Vous savez comment sont les souris, dès qu’il s’agit de faire pipi sur les fils électriques. Ça peut être assez dangereux à dix-huit kilomètres de hauteur, une souris qui va se soulager sur l’ordinateur. Je me dis que les humains vont prendre la chose très au sérieux. Alors, il faudrait descendre en même temps que les humains.