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— Oui, et les voitures s’enfuient ! s’écria Angalo. C’est ça, fuyez ! Sinon, vous allez voir les tentacules et les grandes dents !

— Tant que les gnomes ne le croient pas, eux aussi, ça va. Dis donc, Masklinn, tu ne penses pas que…

Encore une fois, Masklinn avait disparu.

Ça aurait dû me venir à l’idée plus tôt, se disait-il.

Le morceau de branche était trente fois plus grand qu’un gnome. Ils l’avaient conservé sous des lumières, et le végétal semblait heureux de se développer, une extrémité plongée dans un pot d’eau spéciale pour les plantes. De toute évidence, les gnomes qui avaient jadis piloté ce Vaisseau avaient souvent fait pousser des plantes suivant cette méthode.

Pionn l’aida à tirer le pot vers l’écoutille. Les grenouilles observaient Masklinn avec intérêt.

Quand la branche fut aussi bien positionnée que possible, Masklinn fit s’ouvrir l’écoutille. Ce n’était pas celle qui coulissait. Les anciens gnomes s’en étaient servis comme d’une sorte d’ascenseur, mais sans câble. Elle montait et descendait grâce à une force mystérieuse, comme « la lente igravité » ou un machin du même genre.

Elle se détacha du Vaisseau. Masklinn regarda en bas et vit le camion jaune s’arrêter. Quand le gnome se redressa, Pionn le considérait, l’air intrigué.

— Fleur est message ? demanda le jeune gnome.

— Oui. Plus ou moins.

— Sans parler ?

— Oui.

— Pourquoi non ?

Masklinn haussa les épaules.

— Je ne sais pas comment le dire.

L’histoire pourrait finir ici…

Mais il ne faudrait pas.

Les gnomes déferlèrent dans le Vaisseau. S’il y avait eu des monstres à tentacules et grandes dents, ils auraient été submergés sous le nombre.

De jeunes gnomes envahirent la salle de contrôle, où ils se mirent en devoir de presser industrieusement tous les boutons. Dorcas et ses ingénieurs avaient disparu en quête des moteurs du Vaisseau. Des voix et des rires résonnaient dans les couloirs gris.

Masklinn et Grimma étaient assis tout seuls, observant les grenouilles dans leur fleur.

— Il fallait que je voie si c’était vrai, expliqua Masklinn.

— La plus merveilleuse chose au monde, dit Grimma.

— Non. Je crois qu’il y a sans doute d’autres merveilles dans le monde, dit Masklinn. Mais c’est drôlement bien quand même.

Grimma lui raconta ce qui s’était passé dans la carrière : le combat contre les humains, le vol de Jekub le remueur de terre, pour pouvoir s’enfuir. Ses yeux brillaient quand elle racontait la bataille avec les humains. Masklinn la regarda, bouche bée d’admiration. Elle était couverte de boue, sa robe était déchirée, on aurait dit qu’elle s’était peignée avec une haie, mais elle pétillait d’une telle puissance intérieure qu’elle lançait presque des étincelles. C’est une bonne chose qu’on soit arrivés à temps, se dit-il. Les humains devraient m’en savoir gré.

— Que va-t-on faire, à présent ? demanda-t-elle.

— Je n’en sais rien. D’après le Truc, il y a des mondes où existent les gnomes. Et eux seuls, je veux dire. Ou alors, on pourra s’en trouver un rien que pour nous.

— Tu sais, je crois que les gnomes du Grand Magasin seraient aussi satisfaits de rester à bord du Vaisseau. Ils ont l’impression d’être dans un Grand Magasin. C’est pour ça qu’ils l’aiment tant. Tout le Dehors est au-dehors.

— Alors, je ferais bien de m’assurer qu’ils se rappellent que le Dehors existe bel et bien. C’est mon travail, je suppose. Et quand on se sera trouvé un endroit, je veux ramener le Vaisseau.

— Mais pourquoi ? Qu’y a-t-il ici ?

— Les humains, répondit Masklinn. Il faudrait leur parler.

— Bah !

— Ils veulent vraiment croire à… Je veux dire, ils passent tout leur temps à inventer des histoires qui ne sont même pas vraies. Ils se croient tout seuls au monde. Nous, on n’a jamais pensé ça. On a toujours su qu’il existait des humains. Ils se sentent horriblement seuls et ils n’en savent rien. (Il agita les mains dans un geste vague.) Tout simplement, je me dis qu’on pourrait s’entendre avec eux.

— Ils nous changeraient en farfadets !

— Pas si nous revenons avec le Vaisseau. S’il est une chose dont même les humains peuvent s’apercevoir, c’est que le Vaisseau n’est pas d’un genre très farfadet.

Grimma tendit la main pour prendre celle de Masklinn.

— Eh bien… Si c’est vraiment ce que tu as l’intention de faire…

— Oui.

— Je reviendrai avec toi.

Ils entendirent un bruit, derrière eux. C’était Gurder. L’Abbé portait une besace autour du cou. Il avait l’expression hagarde et déterminée de quelqu’un qui veut Aller Jusqu’Au Bout, quoi qu’il arrive.

— Euh !… je suis venu vous dire adieu, annonça-t-il.

— Que veux-tu dire ? s’ébahit Masklinn.

— Je vous ai entendus dire que vous alliez revenir avec le Vaisseau ?

— Oui, mais…

— Je t’en prie, ne discute pas. (Gurder jeta un coup d’œil autour de lui.) C’est une chose à laquelle je réfléchis depuis que nous avons le Vaisseau. Il y a bel et bien d’autres gnomes partout. Il faut que quelqu’un les prévienne que le Vaisseau va revenir. On ne peut pas les emmener tout de suite, mais quelqu’un devrait aller trouver les autres gnomes du monde et s’assurer qu’ils connaissent l’existence du Vaisseau. Quelqu’un doit leur expliquer la vérité vraie. Et ce quelqu’un devrait être moi, tu ne crois pas ? Il faut que je me rende utile à quelque chose !

— Tout seul ? demanda Masklinn.

Gurder fouilla dans sa besace.

— Non, j’emporte le Truc avec moi, dit-il en exhibant le cube noir.

— Euh !… commença Masklinn.

— Ne te tracasse pas, déclara le Truc. Je me suis copié dans les ordinateurs de bord. Je peux être ici et là-bas en même temps.

— Je tiens vraiment à le faire, insista Gurder, désemparé.

Masklinn songea à discuter, puis il se dit : pourquoi ? Gurder sera sans doute plus heureux comme ça. Et puis, c’est la vérité, le Vaisseau appartient à tous les gnomes. On l’emprunte juste un petit moment. Alors, Gurder a raison. Peut-être faudrait-il que quelqu’un retrouve les autres, où qu’ils vivent en ce monde, pour leur apprendre la vérité sur les gnomes.

Et je ne vois personne de mieux placé pour ça que Gurder. Le monde est immense. Il faut quelqu’un qui soit vraiment prêt à croire à son travail.

— Tu veux que quelqu’un t’accompagne ? demanda-t-il.

— Non. Je trouverai peut-être au-dehors des gnomes qui me seconderont. (Il se pencha en avant.) Je l’avoue, je suis assez impatient de voir ça.

— Euh !… Oui. Mais il y a plein de Dehors, quand même, fit remarquer Masklinn.

— J’ai envisagé cette situation. J’en ai discuté avec Pionn.

— Oh ! oui ? Bon… alors, si tu es vraiment sûr…

— Oui. Je n’ai jamais été aussi sûr de quelque chose. Et j’ai eu de sacrées certitudes, comme tu le sais.

— On devrait chercher un endroit convenable pour te déposer.

— Exact, dit Gurder. (Il essaya de paraître brave.) Un endroit avec plein d’oies sauvages.

Ils le quittèrent au coucher du soleil, près d’un lac. Les adieux furent brefs. Si le Vaisseau restait en place plus de quelques minutes, désormais, les humains accouraient en foule.

La dernière vision que Masklinn eut de lui fut une petite silhouette sur la berge. Et puis il n’y eut plus qu’un lac, qui se changea en point vert, sur le paysage qui rétrécissait. Un monde se déploya, avec un gnome invisible en son centre.