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Mais en fait, le résultat de leur cogitation, ce fut :

— .-.-.mipmip.-.-.-.-.mipmip.-.-.-.

Mais ce qu’elles ressentaient était trop gigantesque pour qu’une seule fleur puisse en être le réceptacle.

Lentement, doucement, sans savoir tout à fait pourquoi elles agissaient ainsi, elles se laissèrent tomber sur la branche.

Le Truc émit un bip poli.

— Ça vous intéressera peut-être de savoir que nous venons de franchir le mur du son. Ce qui a dû produire un bang considérable.

Masklinn se retourna avec lassitude vers ses compagnons.

— Bon, allez, avouez. Qu’est-ce que vous avez encore fait, comme bêtise ?

— Hé ! c’est pas la peine de me regarder comme ça, protesta Angalo. J’ai touché à rien.

Masklinn se rendit à quatre pattes jusqu’en bordure du trou et jeta un coup d’œil.

Dehors, il y avait des pieds d’humains. D’humaines, à première vue. En général, c’étaient elles qui portaient les chaussures les moins pratiques.

On pouvait apprendre beaucoup de choses sur les humains en examinant leurs chaussures. La plupart du temps, d’ailleurs, c’était la seule chose que les gnomes voyaient. Le reste de l’anatomie humaine, d’ordinaire, se résumait pour eux au mauvais bout d’une paire de narines, aperçue très haut.

Masklinn huma l’atmosphère.

— Il y a à manger quelque part, annonça-t-il.

— Quel genre ? s’inquiéta Angalo.

— On s’en fiche, coupa Gurder en l’écartant de son chemin. Quoi que ce soit, je vais le manger.

— Recule ! trancha Masklinn en plaçant le Truc de force entre les mains d’Angalo. C’est moi qui vais y aller ! Angalo, empêche-le de bouger de là !

Il jaillit du trou, fila en direction du rideau et se glissa derrière cet abri. Au bout de quelques secondes, il avança la tête juste assez loin pour laisser dépasser un œil et un sourcil froncé.

La pièce était une espèce d’endroit à nourriture. Des humaines sortaient du mur des plateaux chargés de victuailles. L’odorat gnomique est plus fin que celui d’un renard ; Masklinn avait du mal à ne pas saliver. Il dut le reconnaître – faire pousser des choses, c’est bien joli, mais ce qu’on obtenait n’était pas à la hauteur de la nourriture qu’on trouvait dans les parages des humains.

Une des humaines posa le dernier plateau sur un chariot et le poussa devant Masklinn. Les roulettes étaient presque aussi grandes que lui.

Quand le véhicule passa en couinant, Masklinn bondit hors de son refuge pour s’accrocher à l’engin, se frayant un passage entre les bouteilles. C’était une bêtise, il le savait. Mais tout plutôt que d’être coincé dans un trou en compagnie de deux idiots.

D’interminables rangées de chaussures. Des noires, des marron. Lacées, délacées. Un assez grand nombre sans pieds dedans, parce que les humains s’étaient déchaussés.

Masklinn leva les yeux tandis que le chariot poursuivait sa route. D’interminables rangées de jambes. Quelques-unes en jupe, mais la plupart gainées de pantalons.

Masklinn leva les yeux encore plus haut. Les gnomes avaient rarement l’occasion de voir des humains assis.

D’interminables rangées de corps, couronnés d’interminables rangées de têtes, avec des visages sur le devant. D’interminables rangées de…

Masklinn se tassa derrière les bouteilles.

Richard Quadragénaire le regardait.

C’était le visage qu’il avait vu sur le journal. Forcément. Il y avait la petite barbe, la bouche qui souriait avec des tas de dents. Et les cheveux qu’on aurait dits sculptés avec lyrisme dans un matériau brillant, et non pas poussés comme chez tout le monde.

Le Petit-Fils Richard Quadragénaire.

Le visage le fixa un moment, avant de se détourner.

Il n’a pas pu m’apercevoir, se répéta Masklinn. Je suis bien caché, ici.

Que va dire Gurder quand je lui raconterai ça ?

Il va en perdre les pédales, pas de doute.

Je crois que je vais garder ça pour moi quelque temps. Oui, excellente idée. On a assez de soucis comme ça pour le moment.

Quadragénaire. Soit ils changent de nom, dans la famille (et je ne crois pas que ce soit le cas), soit c’est une façon qu’ont les journaux de dire qu’il a quarante ans. Il est presque à moitié aussi vieux que le Grand Magasin. Et les gnomes du Grand Magasin prétendent que celui-ci remonte à l’origine des temps. Je sais bien que c’est impossible, mais…

Je me demande… Ça fait quelle impression de vivre presque éternellement ?

Il fouilla plus avant dans les objets qui encombraient le plateau. Des bouteilles, surtout, mais il y avait également quelques sachets remplis de machins noduleux un peu moins gros que le poing de Masklinn. Il attaqua le papier à coups de couteau jusqu’à ce qu’il ait ouvert un trou assez grand pour en retirer un machin.

Une cacahuète salée. Bon, c’était déjà un début.

Il empoignait le sachet quand une main se tendit et passa.

Elle était si proche qu’il aurait pu la toucher.

Elle était si proche qu’elle aurait pu le toucher.

Il vit le rouge des ongles glisser près de lui, se refermer lentement sur un autre sachet de cacahuètes, avant de se retirer.

Plus tard, Masklinn songea que la distributrice de nourriture ne l’aurait jamais vu. Elle avait simplement tendu la main vers le plateau pour attraper ce qu’elle savait y être, et Masklinn n’en faisait très certainement pas partie.

Mais il arriva à cette conclusion plus tard. Sur le moment, alors qu’une main d’humaine lui frôlait la tête, la situation lui parut bien différente. À toutes jambes, il sauta du chariot, atterrit en roulé-boulé sur la moquette et se réfugia sous le siège le plus proche.

Il ne prit même pas le temps de reprendre sa respiration. L’expérience le lui avait enseigné : arrêtez-vous pour prendre votre souffle, et ce sont les bestioles qui vous prendront. Il fonça de siège en siège, esquivant les pieds géants, les chaussures vides, les journaux et les sacs à main jonchant le sol. Quand il franchit la portion d’allée qui le séparait de l’endroit à nourriture, il n’était plus qu’une silhouette floue, même selon les critères gnomiques. Il ne s’arrêta même pas, il sauta et enjamba le trou sans toucher les bords.

— Une cacahuète ? s’exclama Angalo. Pour trois personnes ? Mais ça ne fait même pas une bouchée chacun !

— Tu as mieux à proposer ? rétorqua Masklinn sur un ton acide. Tu as envie d’aller voir la distributrice de nourriture pour lui expliquer qu’il y a trois personnes ici qui meurent de faim ?

Angalo le regarda fixement. Masklinn avait retrouvé son souffle, mais il avait encore le visage tout rouge.

— Tu sais quoi ? Ça vaudrait peut-être le coup d’essayer, répondit-il.

— Hein ?

— Ben, si t’étais un humain, tu t’attendrais à trouver des gnomes dans un avion ?

— Bien sûr que non…

— Et si tu en voyais un, je parie que tu serais épaté, non ?

— Attends… Tu ne suggérerais quand même pas qu’on se montre délibérément à un humain ? intervint Gurder, soupçonneux. On n’a jamais fait ça, tu le sais bien.

— Ça a failli arriver il y a un instant, fit Masklinn. Et pas question que je recommence avant longtemps !

— On a toujours préféré mourir de faim autour d’une unique cacahuète, c’est ça que tu veux dire ?

Gurder considéra d’un œil caressant le fragment de cacahuète au creux de sa main. Certes, ils avaient mangé des cacahuètes dans le Grand Magasin. Au temps du Fêtons Noël, quand le Rayon Alimentation était bourré de choses qu’on ne voyait pas en temps ordinaire en d’autres saisons, elles concluaient agréablement un repas. Et très probablement, de la même façon, elles entamaient agréablement un repas. Mais à elles seules, elles ne constituaient pas agréablement un repas entier.