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« Il va falloir que tu empruntes la voiture de Lisa, m’a indiqué Trev au téléphone. Toi et moi, on va coincer la bagnole de Bobby pour l’empêcher de partir. Ensuite, je lui dirai deux mots.

— Euh, attends, ai-je répondu, la situation me paraissant de plus en plus inquiétante.

— Allez, en voiture. »

Le mariage de Mouse dura le temps que mirent quelques secrets de Bobby à faire surface. Un discret coup de téléphone de Caprice, une tante de Bobby, apprit à Mouse l’existence non pas d’une, mais de deux ex-épouses, toutes deux ayant à un moment ou à un autre obtenu d’un tribunal qu’il interdise à Bobby de les approcher, et racontant toutes deux, quand Mouse finit par les contacter, à peu près la même histoire : de la jalousie injustifiée et une surveillance étroite se transformant en agression verbale et physique. Mouse vit son avenir s’assombrir à la vitesse d’un missile intercontinental.

Et il y avait l’entreprise de Bobby, Botero Food Service Supplies, qui donnait toutes les apparences d’une excellente santé : un flot régulier de biens s’écoulait de son entrepôt tandis que les factures étaient réglées rubis sur l’ongle. Mais de son poste à la comptabilité, Mouse avait l’impression que quelque chose… eh bien, que quelque chose n’était pas normal.

« Parce que la boîte n’avait pas que des activités légales, m’a expliqué Trev tandis que j’enfilais une veste et empruntais à Lisa les clés de son Accord vieille de cinq ans. Botero s’en sert pour blanchir de l’argent de types du coin qui s’occupent de voitures volées et sont liés à la ’Ndrangheta… la mafia calabraise.

— Mouse s’en est aperçue ?

— Elle a remarqué quelques irrégularités dans les factures, mais a déniché des preuves irréfutables dans le bureau de Botero un après-midi qu’il était sorti discuter avec un chargé des achats. Et ce n’est pas tout. »

Voici ce que j’ai appris entre la porte de derrière et la remise-garage dans laquelle l’Accord de Lisa et l’antédiluvienne Volvo de Loretta broyaient du noir dans le silence de l’hiver :

Mouse avait demandé le divorce. Bobby refusa et la menaça d’une sévère correction, ou pire, si elle ne faisait même que croiser le regard d’un avocat. Il lui expliqua qu’il disposait lui-même d’excellents conseillers juridiques et que si elle tenait à lancer la procédure, elle n’en sortirait qu’avec un vide douloureux à l’endroit auparavant occupé par son amour-propre. Et, insista-t-il, il l’aimait et voulait l’empêcher de commettre une terrible erreur.

Mouse baissa la tête et l’approuva docilement. Le lendemain, elle cessa le travail à midi, rentra prendre quelques objets de première nécessité et s’installa dans un motel sur Queensway. Elle vida un compte en banque dont elle n’avait jamais mentionné l’existence à Bobby et mit au clou les rares bijoux en or et en argent hérités de sa mère.

Au cours des six mois qui suivirent, elle parvint à se trouver un nouveau travail de bureau, à emménager dans un appartement au sous-sol d’une maison mitoyenne pas très éloignée du centre, à humaniser ce logement avec une sélection de meubles d’occasion sympas et à épargner la plus grande partie possible de sa paye. Dès qu’elle eut des réserves financières, elle fit deux autres choses : elle consulta un avocat spécialisé en divorce et passa l’évaluation des Affinités.

Elle fut bientôt une Tau attitrée avec une demande de divorce qui suivait son cours. Malgré ses excellents avocats, Bobby n’avait guère de marge de manœuvre légale : il finit par renoncer à contester la procédure. Mouse n’avait apporté que très peu de biens personnels dans le mariage et ne voulait rien de Bobby, ce qui facilita les choses.

« T’es en voiture ?

— Oui, mais Trev…

— Parfait. Je te préviens quand j’arrive au coin de la rue, tu sortiras du garage à ce moment-là. Approche de la bagnole de Botero par-derrière et gare-toi contre son pare-chocs. Je serai juste derrière toi, je le bloquerai par-devant.

— Et ensuite ?

— Lui et moi aurons une petite discussion. Rien de plus. »

Mouse, bien que timide de nature, s’épanouit dans sa tranche tau. Elle s’était presque convaincue que son mauvais mariage appartenait au passé quand elle commença à recevoir des enveloppes sans adresse d’expéditeur. Parfois, elles ne contenaient que de brefs messages manuscrits. PUTE revenait souvent, tout comme GROSSE SALOPE DÉGUEULASSE. Parfois, elles renfermaient des photographies de Mouse prises à son insu : Mouse qui rentrait chez elle en robe d’été jaune après sa journée de travail, Mouse sur son trente et un pour une fête de tranche, Mouse qui ne tenait pas en place dans la file d’attente devant les toilettes d’un cinéma torontois.

Les preuves que ces menaces provenaient de Bobby Botero étaient insuffisantes pour que la police s’en mêle, et son avocat eut beau demander une interdiction d’approcher générique, Mouse ne fut pas convaincue que cela changerait le comportement de son ex-mari. Il lui en voulait manifestement beaucoup et elle le savait capable de manigancer des actes de vengeance auxquels elle ne pourrait pas échapper.

Elle déménagea à l’autre bout de la ville, ce qui la transféra dans notre tranche. Elle demanda et obtint du bureau du ministère qui l’employait un poste plus proche du centre-ville. Elle investit dans des serrures de qualité industrielle pour ses portes et fenêtres et prit des cours gratuits de taekwondo à la maison de quartier. Et quand, malgré ces précautions, elle recommença à recevoir des lettres (SALOPE, PUTE, ORDURE), elle accepta l’invitation de Lisa et de Loretta à s’installer dans leur demeure de Rosedale, où elle ne serait pas seule.

« Et voilà qu’il montre de nouveau le bout de son nez.

— Exact, a répondu Trev. Sauf que c’est différent, cette fois.

— Comment ça ?

— Cette fois, Mouse a des amis pour l’aider. Nous, plus tous les membres de son ancienne tranche, plus tous les Taus du coin avec qui on a été en relation un jour ou l’autre.

— L’union fait la force.

— Oui, mais aussi l’expérience, les compétences, les gens qu’on connaît.

— Même comme ça, tu crois vraiment que c’est une bonne idée d’aller contrarier un type lié à la mafia ?

— Eh bien, c’est là que ça devient intéressant. Comme je te l’ai dit, Mouse a des amis dans deux tranches taus et ici, à Toronto, le réseau tau est plutôt étendu. Il y a par exemple une femme, une Tau, qui vit à Scarborough et bosse pour un service d’entretien appelé Daily Maid. Dont Botero est client depuis qu’il a rompu avec Mouse. Du coup, on a réussi à obtenir des copies des disques de sauvegarde des ordinateurs que Botero a chez lui. Et on trouve là-dedans des états financiers très mal cryptés montrant que Botero gonfle certaines dépenses et détourne une partie du cash qu’il blanchit pour ses copains mafieux. Il planque ça sous des “frais d’opération”, mais c’est un détournement caractérisé. Ce qui nous donne un moyen de pression.

— Tu envisages malgré tout de défier quelqu’un qui a de l’argent, des amis dangereux et une personnalité, euh, manifestement instable…

— Je ne l’envisage pas, je le fais. Du moins, je vais le faire dans une minute. Sors du garage, Adam. »

Nous ne pouvons pas vivre en ayant sans cesse peur de ce type, m’a dit Trevor à un moment donné durant notre conversation, et j’ai pensé : Nous ? Mais il avait raison. Mouse était tau, et une Tau effrayée était une de trop.