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— Pas grave, ai-je répondu. Il n’était pas très bon. »

7

Le colloque pan-Affinité d’une semaine se terminait, mais Damian nous a demandé, à Amanda et moi, de rester à Vancouver pour l’aider à organiser l’analyse des données de Klein. Nous nous sommes réparti le travail : Amanda devait réunir des Taus capables de comprendre les mathématiques, moi monter une équipe chargée de trouver comment transformer les protocoles d’évaluation affinitaire en une application matérielle/logicielle qu’on pouvait affranchir du contrôle d’InterAlia.

Nous avons passé les derniers jours du colloque à travailler dans nos chambres au Hilton. Sorti de l’hôpital avec un diagnostic de légère commotion et une contusion en Technicolor au front, Damian a tenu à respecter ses dernières obligations : deux tables rondes ainsi qu’une série de tête-à-tête avec des représentants de la sodalité américaine. L’une de ses tables rondes portait sur la formation et la stabilisation de tranches dans des pays ayant interdit les Affinités (parmi lesquels la Chine et la plupart des nations théoriquement islamiques), mais où se pratiquaient déjà des évaluations clandestines… question qui renvoyait à celle, plus vaste, que personne ne voulait poser : qu’arriverait-il si InterAlia disparaissait ?

Le colloque a officiellement pris fin le dimanche soir et les délégués sont repartis, tout comme les manifestants qui avaient empoisonné le monde devant le centre des congrès. Ils représentaient divers groupes, dont des chrétiens évangéliques et des partis de droite, mais la faction la plus présente était NOTA (None Of The Above[10]), une espèce de club pour ceux que les Affinités avaient rejetés ou qui condamnaient celles-ci par principe. Aux États-Unis, NOTA avait déjà lancé une série d’actions de groupe contre InterAlia pour ce qu’il appelait « discrimination catégorielle ».

Au lendemain du colloque, le Hilton semblait à la fois horriblement vide et ridiculement cher. Nous avons déménagé dans un hôtel moins coûteux tout en installant un bureau dans un immeuble commercial de trois étages que possédait un Tau des environs — sans avoir de loyer à payer, certaines parties du bâtiment étant en rénovation… il nous a donc fallu apprendre à supporter les coups de marteaux et le couinement des scies électriques.

Moins d’une semaine plus tard, Rachel Ragland m’a appelé. Il s’était produit quelque chose qui l’inquiétait et dont elle voulait discuter avec moi.

Sortir d’une immersion de plusieurs jours dans un environnement spécifiquement tau est un peu comme remonter d’une plongée à grande profondeur : mieux vaut procéder par paliers pour éviter la maladie des caissons. Luxe que je n’ai pu toutefois me permettre en allant voir Rachel.

J’avais parlé de ce coup de téléphone à Amanda, qui avait fait venir Damian. Celui-ci avait roulé des yeux. « Elle veut de l’argent, bien entendu. Elle va probablement menacer d’aller voir la police.

— Je lui ai posé la question. Sans prendre trop de gants. Elle m’a répondu qu’elle avait déjà dit à la police que c’était moi qui conduisais et qu’elle n’avait pas été blessée, et ça s’est arrêté là. Enfin, ça aurait dû s’arrêter là. Sauf que, hier, deux types sont venus la voir chez elle.

— Comment ça… Des flics ?

— Ils se sont présentés comme enquêteurs d’assurances. Ils voulaient qu’elle leur raconte l’accident. Elle dit qu’elle leur a raconté la même chose qu’aux flics.

— Mais ?

— Mais les papiers d’identité qu’ils lui ont montrés avaient l’air suspects et elle trouve que quelque chose clochait chez eux.

— Comment ça, clochait ?

— Je crois qu’elle voulait dire qu’elle les a trouvés menaçants. Ils lui ont fait peur. Et comme elle leur a menti pour moi, elle pense que je lui dois une explication.

— Qui est la seule chose que tu ne peux pas lui donner.

— J’ai accepté de déjeuner avec elle. »

Amanda a demandé : « Tu ne pouvais pas l’envoyer chier ? Parce que Damian a raison, c’est sans doute une forme de chantage. Elle va vouloir du fric, c’est couru d’avance.

— Je ne l’ai pas envoyée chier. » Allez savoir pourquoi, je pensais à la fille de Rachel, Suze, dégoulinante de pluie avec ses yeux de chouette sur la banquette arrière de leur voiture. « Mais je le ferai si elle demande de l’argent. »

Je suis donc allé au steakhouse de chaîne proposé par Rachel, dans un centre commercial de Burnaby. Un serveur qui s’ennuyait m’a conduit à sa table, ce qui valait mieux, car je ne suis pas sûr que je l’aurais reconnue : ses cheveux qui, trempés de pluie, m’avaient eu l’air bruns étaient en réalité d’un profond rouge cuivré. Ils encadraient un visage rond, des yeux marron, un petit nez et une bouche pincée dont le sourire dévoilait les incisives du haut. « Adam Fisk, a-t-elle dit.

— “Adam” tout court.

— Moi, c’est Rachel.

— Je me souviens. Où est Suze ?

— À l’école, mais merci d’avoir posé la question. J’espère que je ne vous ai pas arraché à quelque chose d’important ? »

J’étais resté plusieurs jours plus ou moins enfermé avec six informaticiens et électroniciens taus. Mais je ne pouvais pas me plaindre. « Juste le boulot, ai-je répondu.

— Mmh. Moi, je travaille trois jours par semaine à la banque alimentaire sur Hastings Street. Aujourd’hui est un de mes jours chômés. »

Nous avons examiné nos menus et comparé les vertus de l’assiette de salade à celles du club sandwich tout en nous demandant de quoi d’autre nous pourrions parler. Une fois que nous avons passé commande, j’ai demandé : « Vous avez reçu de la visite ?

— Ouais. Comme j’ai dit, deux types avec des papiers qui ne me disaient rien qui vaille. Ils ont fait semblant d’être sympas, du moins au début, mais on voyait qu’ils jouaient la comédie.

— Ils ressemblaient à quoi ? »

Elle a haussé les épaules. « Difficile à dire. Deux Blancs en costume. Cheveux courts. Peut-être russes ou d’Europe de l’Est, si on peut dire. À cause de leurs pommettes. Mais aucun accent, donc peut-être pas. Le premier était un peu enrobé, l’autre plus grand et avec l’air de faire de la musculation.

— Ils vous ont interrogée sur votre accident ?

— Ils étaient déjà au courant des détails, apparemment, c’est pour ça que j’ai cru qu’ils venaient bien de la part des assurances. Je leur ai parlé de la boîte de vitesses. La voiture est toujours chez le garagiste, d’ailleurs. Jusqu’à ce que j’aie de quoi payer les réparations. Elles ne sont pas données. » Je me suis demandé si c’était le moment où elle allait réclamer de l’argent. « Je me suis mise à avoir des soupçons quand ils ont posé tout un tas de questions sur ce qu’ils appelaient “l’autre véhicule”. Votre voiture.

— Et ?

— Eh bien, ils ont demandé qui conduisait. Ils voulaient une description.

— Vous leur avez dit quoi ?

— Qu’il y avait trois personnes dans la voiture, deux hommes et une femme, et que c’était le plus jeune des deux qui conduisait. Comme j’avais dit aux flics. Mais ils n’arrêtaient pas de redemander les mêmes choses. Est-ce que j’avais été blessée ? Non. Est-ce que j’en étais certaine ? Oui. Est-ce que j’avais eu peur ? Non. Et ainsi de suite. Comme s’ils me trouvaient peu coopérative. Et il faut reconnaître que je ne l’étais pas vraiment. Ils ne savaient pas très bien cacher leur énervement. » Le serveur nous a apporté des verres d’eau glacée ; Rachel en a bu une longue gorgée. « Alors je leur ai demandé de partir.

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10

Littéralement « Rien de ce qui précède », choix que l’électeur peut cocher au bas d’une liste de candidats ou de propositions pour indiquer qu’aucun(e) ne lui convient.