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— Et ils sont partis ?

— Avec plus ou moins de bonne volonté. Ils ne m’ont pas menacée du tout. Mais je me suis quand même sentie menacée. Alors je vous ai appelé. » Son expression s’est durcie. « Comme j’ai continué à dire que c’était vous qui conduisiez, j’ai pensé que vous me deviez quelque chose.

— Que je vous devais quoi, au juste ? » Je me suis retenu de demander combien.

« Eh bien, une explication, déjà ! C’était qui, ces types ? Ils voulaient quoi ? Est-ce que je suis en danger ? Il faut que je pense à Suze, moi. Et vous, vous êtes qui ?

— En toute franchise, je ne sais pas à combien de ces questions je peux répondre. J’ignore complètement qui étaient ces deux types.

— D’accord. Je suppose que je vous crois. Mais vous n’avez pas vraiment l’air surpris par tout ça. »

Et soudain, je n’ai pas trop su quoi dire. Je sortais d’une longue immersion tau. Si elle avait été tau, je lui aurais tout simplement expliqué. Sauf qu’elle ne l’était pas. Je ne pouvais ni lui faire confiance ni être sûr qu’elle comprendrait quoi que ce soit de ce que je lui raconterais. Il n’en restait pas moins qu’elle m’avait rendu service, et pas seulement à moi : elle avait aidé à protéger Damian et donc l’ensemble de notre Affinité. « Je suis tau… », ai-je commencé.

Elle a roulé des yeux. « Et moi Poissons. Et alors ?

— Nous l’étions tous les trois, dans cette voiture.

— Vous voulez dire que c’est une sorte de truc d’Affinités ? J’ai entendu parler de ce colloque en ville, mais…

— Mon ami est engagé dans une bataille juridique avec une grande société. Dont les avocats ont sans doute engagé des enquêteurs locaux pour dénicher un moyen de pression. Bon, je ne dis pas que ce sont eux qui sont venus chez vous. Franchement, je ne sais pas à qui vous avez eu affaire.

— Mais ce n’est pas impossible.

— Non, en effet. Vous ont-ils posé une question qui vous a semblé particulièrement bizarre ?

— Ils ont demandé si je savais d’où vous veniez, le jour de l’accident. »

Nous venions de la maison de campagne de Meir Klein. InterAlia savait où il habitait. Peut-être quelqu’un avait-il additionné deux et deux.

Nous avons passé le déjeuner à discuter. Rachel a posé quelques questions sur les Affinités, j’en ai posé quelques-unes sur elle. Elle était plutôt bavarde, maintenant qu’elle s’était détendue, et j’aimais bien sa manière de caresser l’air de la main droite en parlant, l’index et le majeur serrés comme sur une cigarette invisible. Le serveur nous a débarrassés de nos assiettes à dessert. Nous avons demandé deux cafés. Vingt minutes plus tard, nous bavardions toujours. Et nous y prenions plaisir.

Je l’ai donc raccompagnée. Tout en sachant que ce n’était sans doute pas une bonne idée.

Il y a chez les membres des Affinités une tendance à l’endogamie : ils ont des relations sexuelles à l’intérieur plutôt qu’à l’extérieur de leur Affinité. Pour ce qui est des engagements à long terme, c’est vrai de toutes les Affinités. Mais certaines, plus particulièrement les Delts et les Kaphs, ont un penchant pour les liaisons éphémères à l’extérieur du groupe. Les Taus se situent quelque part entre les deux. Trevor Holst, par exemple, n’avait vécu qu’avec des Taus depuis son arrivée dans notre tranche, mais considérait le colloque annuel comme un buffet sexuel à volonté. Chaque fois qu’un Kaph organisait une orgie dans une chambre d’hôtel, on pouvait être sûr que Trev y participait.

Je me disais que je n’étais pas comme ça. Depuis mon arrivée dans la tranche, ma seule partenaire à long terme avait été Amanda et je n’avais eu d’aventures d’un soir qu’avec des Taus. Ne serait-ce que parce que ça facilitait la vie. Pas de signaux contradictoires, moins de blessures d’amour-propre.

Mais Rachel avait attiré mon attention, d’une manière soudaine et profonde que je ne comprenais pas entièrement. Et nous le savions l’un comme l’autre en sortant du restaurant. Elle était venue en bus et je lui ai proposé de la raccompagner. Elle a accepté.

Je ne savais pas trop ce qui commençait, seulement que j’étais d’accord pour que ça commence.

« Donc, tu as quelqu’un ? a-t-elle demandé. Là-bas chez les Taus ? »

Elle m’avait invité dans son appartement en sous-sol de New Westminster, qu’elle avait meublé comme elle le pouvait avec ses très modestes revenus de mère célibataire. Des carpettes en coton sur le linoléum éraflé, un canapé d’occasion, trois paniers à linge qui débordaient et occupaient tout l’espace entre un panneau vidéo et une bibliothèque pourvue de best-sellers en vieilles éditions de poche. La tablette tactile posée sur la table basse était d’un modèle vieux de deux ou trois ans et son cadre en plastique présentait une trace de brûlure.

Elle m’a surpris en train de regarder. « Je sais, c’est en désordre.

— Non, pas de problème. » Elle avait ajouté quelques touches personnelles que j’ai trouvées à mon goût : le foulard en soie cachemire drapé sur un abat-jour, une photo de la Grande Barrière de corail découpée dans un magazine et punaisée au mur. Il y avait une kitchenette, la chambre de Suze et celle de Rachel.

« Réponds donc à ma question : tu vois quelqu’un ?

— Oui. Enfin… c’est compliqué. Oui, en quelque sorte.

— Ah bon.

— Tu veux que j’explique ?

— Pas vraiment, non. Mais merci de l’avoir proposé. Mon dernier type régulier, c’était le père de Suze. Il a pris un boulot de monteur sur un pipeline dans l’Alberta à peu près au moment où je suis tombée enceinte. Mais c’était quelqu’un d’assez distrait. Il a oublié de laisser une adresse en partant. Tu es tau depuis longtemps ?

— Sept ans.

— Ça ne devient pas lassant de traîner avec des gens exactement comme soi ?

— Ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. Tu t’es fait évaluer ? »

Elle a ri. « Ça non, putain !

— Pourquoi pas ?

— Je ne vois pas quel groupe voudrait de moi.

— Pourquoi tu dis ça ? »

Elle a éludé la question d’un haussement d’épaules et s’est rapprochée de moi. « Et donc, tu es venu pour quoi, Adam Fisk ?

— Pour apprendre à mieux te connaître, j’imagine.

— Ah bon ? Je pensais que tu voulais peut-être me sauter. »

J’ai soudain eu la bouche sèche. « Eh bien… oui, aussi.

— Peut-être que tu devrais t’y mettre, alors. »

Elle s’est penchée pour m’embrasser. Son baiser n’a rien eu de timide. Son goût m’a plu. J’ai voulu la prendre dans mes bras, mais elle m’a repoussé. Elle a défait ma ceinture et ma braguette, puis s’est agenouillée.

J’étais au bord de l’orgasme quand elle s’est relevée pour me prendre par la main, me conduire dans sa chambre et me pousser sur le lit. Elle s’est débarrassée de son chemisier et de son jean. Dessous, elle portait un simple slip bon marché, que j’ai baissé d’un coup sec. Elle m’a chevauché et nous nous sommes lancés dans un rythme soutenu, Rachel évoluant sur une musique que je n’entendais pas, les yeux grands ouverts… ses yeux étaient la totalité de mon champ de vision, ses cheveux un rideau qui nous isolait du monde. Quand il a été impossible de faire quoi que ce soit d’autre, nous avons joui hâtivement, avidement et au même moment.