Выбрать главу

« Ça faisait combien de temps ? m’a-t-elle demandé une fois que nous avons repris notre souffle.

— Comment ça ?

— Que tu n’avais pas couché avec quelqu’un n’appartenant pas à ton Affinité.

— Franchement ? Quelques années.

— C’était qui ? La dernière qui n’était pas de ton Affinité, je veux dire. »

Jenny Symanski. « Juste une fille que je connaissais.

— Comme moi. » Elle m’a embrassé une nouvelle fois. « Maintenant, je suis une fille que tu connais. »

Elle s’est levée, est sortie de la chambre pour en revenir avec un joint et un briquet. J’aimais bien sa manière de se déplacer, nue et sans gêne, fluide, son corps davantage onde que particule. Le lit a grincé quand elle est remontée dessus. Nous avons partagé le joint : de l’herbe standard qui aurait tiré à Amanda une moue dédaigneuse, mais qui a fait l’affaire. Nous avons débuté un deuxième round moins impulsif.

Je me suis ensuite rendu compte qu’il entrait moins de lumière par la fenêtre de la chambre. S’agissant d’un appartement en sous-sol, cette fenêtre se trouvait en haut du mur, mais bas dans la rue. Le crépuscule a rendu les rideaux écarlates. Nous avons écouté les pas des gens sur le trottoir. Des étrangers qui rentraient du travail. Les ombres de vies inconnues. Le murmure des voix. « Il va peut-être pleuvoir, cette nuit, a dit Rachel d’une voix endormie.

— J’aimerais pouvoir rester, mais…

— Je sais. Pas de problème. Il faut que j’aille chercher Suze. » Comme souvent après l’école, celle-ci était chez sa grand-mère.

« Tu as besoin que je te dépose ?

— C’est plus facile en bus, mais merci d’avoir demandé. » Elle s’est raclé la gorge. « Et… c’était juste un après-midi de bon temps ou je peux t’appeler ? »

Elle voulait poser la question d’un ton décontracté, mais j’ai senti un peu de tension dans sa voix.

« Bien sûr que tu peux. Mais je t’appellerai sans doute avant.

— C’est gentil de ta part. Les Taus sont tous aussi gentils que toi ?

— À leur manière. Mmh, peut-être pas tout à fait aussi gentils. »

Je suis passé à la salle de bains avant de partir. Il y avait au-dessus des toilettes une étagère occupée par une rangée de flacons de médicaments délivrés sur ordonnance. J’ai résisté à la tentation de lire les étiquettes et me suis félicité de respecter la vie privée de Rachel. Ou peut-être préférais-je tout simplement ignorer ce qui n’allait pas chez elle.

Je me suis arrêté dans l’immeuble où nous travaillions pour récupérer des papiers et voir si je pouvais trouver quelqu’un avec qui dîner. Dans le couloir, j’ai croisé Amanda, l’air pressé. Elle m’a vu, s’est arrêtée, m’a regardé, a aussitôt tiré une conclusion sur l’endroit où j’étais allé et sur ce que j’y avais fait. Je n’ai pas pu m’en empêcher : j’ai rougi.

« Eh bien, a-t-elle lancé. Eh bien.

— Je, euh…

— Euh, comme tu dis. Bon, j’imagine qu’elle n’a pas demandé d’argent ? Ou bien si ?

— Tu es injuste. Et non, elle n’en a pas demandé. Où vas-tu si vite ?

— En réunion. Avec Damian. Tu es invité. »

Nous l’avons rejoint dans une des salles de conférences fraîchement rénovées, qui ne contenait qu’une table sur tréteaux, une dizaine de chaises pliantes et, dans l’atmosphère, un léger voile de poudre de plâtre. Rien que nous trois. Si Damian a pensé quoi que ce soit de ce qui s’était éventuellement passé entre Rachel et moi, il ne s’est pas donné la peine de nous en faire part. Il avait des problèmes plus importants.

Meir Klein était mort.

Klein était mort dans sa grande maison de la vallée de l’Okanagan. « Son personnel s’est inquiété quand il ne s’est pas levé ce matin.

— Son cancer, a chuchoté Amanda.

— En fait, non. D’après la police, il a succombé à une blessure de ligature. »

Autrement dit, on l’avait étranglé. Ou bien il s’était étranglé lui-même : il pouvait s’agir d’une strangulation autoérotique ayant mal tourné, aussi improbable que cela puisse paraître pour quelqu’un dans une condition physique aussi fragile. Les indices étaient ambigus, le coroner pratiquait une autopsie, mais en attendant son rapport, la police penchait pour un acte criminel.

Amanda a frappé à la porte de ma chambre d’hôtel quelques minutes après minuit, et aucune télépathie tau n’était nécessaire pour comprendre ce qu’elle voulait. Elle s’est collée à moi. « Allez, baise-moi, a-t-elle chuchoté, baise-moi comme tu as baisé ta bride. »

Je n’aimais pas ce mot de « bride » par lequel certains Taus désignaient leurs partenaires sexuels hors Affinité. Il était méprisant, comme shiksa ou shegetz[11]. Comme dans ne te laisse pas brider. Mais c’était Amanda. Il n’était pas en mon pouvoir de lui dire non. En d’autres termes, je ne voulais pas lui dire non. Et elle le savait très bien. « Laisse-moi d’abord prendre une douche, ai-je dit.

— Non. Maintenant. Tant que tu as encore son odeur sur toi. »

8

Amanda et moi avons retrouvé Damian au bureau le lendemain matin, une heure avant l’arrivée des équipes de recherche, suffisamment tôt pour que l’aube qui entrait par les fenêtres orientées à l’est transforme en diamants étincelants les particules de plâtre en suspension. Amanda s’est laissée tomber dans la chaise la plus proche, les yeux encore gonflés de sommeil. Damian a pris place d’un air lugubre en bout de table. « J’ai contacté des gens que je connais dans la police de Vancouver, a-t-il annoncé. L’enquête a été confiée aux gendarmes, pas aux flics, mais j’ai réussi à obtenir quelques infos. C’est presque à coup sûr un homicide. Deux disques durs ont disparu dans le bureau de Klein. On peut donc supposer que son assassin savait qu’il détenait des données précieuses.

— Celles d’InterAlia, a dit Amanda.

— Tu te représentes un homme de main fouillant partout et liquidant Klein sur ordre du siège social. C’est une hypothèse, mais il faudrait que quelqu’un se soit montré d’une maladresse impardonnable pour qu’on trouve la moindre preuve permettant d’incriminer InterAlia. Ce qu’il faut se demander, c’est ce que vont maintenant faire les gens d’InterAlia, au cas où ils seraient bel et bien responsables de ce meurtre. Surtout si les disques durs qu’ils ont volés contiennent de quoi faire le lien entre nous et Klein.

— Quelqu’un veut empêcher ses données d’être rendues publiques, ai-je dit, quelqu’un qui a les moyens d’embaucher des voleurs et semble prêt à tuer pour arriver à ses fins. S’il soupçonne Klein de nous avoir transmis les données, la logique veut que nous soyons sa prochaine cible.

— Peut-être bien. Mais seulement tant qu’il se figure avoir quelque chose à gagner en nous intimidant.

— S’il passe à l’acte, il n’attendra donc pas, a conclu Amanda.

— Exact. Si bien qu’il faut qu’on soit capables de se protéger. On a deux équipes dans l’immeuble la journée, soit avec nous trois un ensemble de vingt personnes qui peuvent toutes être visées individuellement ou collectivement. Comment protéger vingt personnes, que ce soit ici ou quand elles se baladent en ville ?

— En les prévenant, évidemment, ai-je dit. En les hébergeant toutes au même endroit, y compris celles qui vivent ici, à Vancouver. Et on a besoin d’aide. De spécialistes en sécurité dans le monde réel. »

вернуться

11

Termes péjoratifs passés du yiddish à l’anglais pour désigner une jeune personne (respectivement de sexe féminin et masculin) qui n’est pas de religion juive.