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« Tu es venu sous un faux prétexte, a-t-elle dit.

— Maman Laura, je suis désolé. Il s’est passé que…

— Stop ! Tais-toi donc. » Elle a serré et desserré ses petits poings. « Jenny m’a dit tout ce que j’avais besoin de savoir. Sur Aaron. Et sur ce qu’il lui a fait. Et sur ton intérêt dans cette affaire.

— On aurait dû te le dire plus tôt.

— Peut-être. Ou peut-être que j’aurais dû le deviner. Tu sais, quand j’ai épousé ton père, j’étais une femme célibataire avec un enfant en bas âge et des perspectives d’avenir assez limitées. À notre arrivée dans cette famille — et je ne peux pas vraiment dire qu’on y a été bien accueillis —, j’ai eu l’impression que Geddy et moi étions libérés d’un monde de problèmes. Sauf que non, pas vrai ? Bien au contraire. Nous nous jetions dans un nid de vipères.

— Je suis désolé, ai-je inutilement répété.

— Tu as été assez malin pour quitter la ville. J’aurais préféré que tu ne reviennes pas. Parce que je ne sais pas qui ou ce que tu es avec tes amis, mais ici ? Tu n’es qu’un Fisk comme les autres, tu ne vaux pas mieux que ton frère ou ton père. Tu faisais peut-être semblant d’être gentil avec mon garçon, mais…

— Je n’ai jamais fait semblant. »

Elle a secoué la tête. « N’essaye pas de te trouver des excuses. Je ne veux entendre qu’une seule chose de toi. Tu sais laquelle ?

— On va le ramener, maman Laura.

— Tu as intérêt. »

« Le problème avec ces talkies-walkies, a dit Trevor, c’est que n’importe qui peut écouter ce qu’on se dit avec. Du moins, s’il a un scanner ou équivalent. Et il faut partir du principe que ceux qui en ont un l’ont peut-être ressorti de leurs placards durant la panne. Je ne veux donc pas qu’on discute de quoi que ce soit de crucial sur les ondes. J’ai eu une petite conversation avec Shannon, elle dit qu’on peut se servir de sa maison comme base. Réunir les Taus du coin pour nous organiser à un endroit où personne ne nous entendra. Ça colle pour toi ?

— Si on est chez Shannon, qui montera la garde ici ?

— Jenny et Rebecca veulent nous accompagner — elles l’ont quasiment exigé — et je ne pense pas que ton père ou maman Laura intéressent vraiment Het. Et puis… Shannon ne pouvait pas trop en dire sur les ondes, mais elle donne l’impression d’avoir déjà une idée de ce qui est arrivé à Geddy. »

En fin de compte, on a pris deux voitures : Rebecca est montée avec Trevor et j’ai fait le trajet avec Jenny. Qui est restée sur la banquette arrière sans dire grand-chose, suivant du regard les phares qui défilaient dans les rues obscures des faubourgs de Schuyler. Elle a consulté à deux reprises son téléphone, mais il n’y avait pas de signal.

Nous tournions dans la rue où habitait Shannon quand elle a demandé : « Ils ont pris Geddy à cause de moi, pas vrai ?

— Si Het a enlevé Geddy, c’était pour protéger Aaron.

— Pour m’empêcher de parler de lui.

— Sans doute. Mais il n’y a pas eu de menace effective.

— À cause des problèmes de communication.

— Possible.

— Eh bien, s’ils l’ont enlevé pour me menacer, c’est réussi. Je ne dirai rien sur Aaron avant que Geddy soit en sécurité. Et même ensuite… c’est comme s’ils m’avaient démontré que je suis vulnérable. Que je le serai toujours. J’aurai beau partir au Canada, me cacher, ils pourront toujours s’en prendre à Geddy, ou à ma mère, disons, ou à maman Laura… à quelqu’un à qui je tiens. Ils peuvent me faire souffrir où que je sois, et ils le feront.

— Une fois Aaron démasqué, ils n’auront rien à gagner à te menacer.

— Sauf s’ils veulent me punir d’avoir contrarié leurs plans. Peux-tu dire qu’ils ne feront rien de ce genre ?

— C’est peu probable.

— Mais pas impossible. »

Je n’avais pas de réponse à lui donner.

« Écoute, a-t-elle dit, je tiens à ce qu’Aaron soit impuni pour ce qu’il m’a fait et qu’il fait aux autres femmes. Mais pas si ça doit coûter la vie à quelqu’un.

— Personne n’a été tué.

— Mais Geddy a été enlevé, déjà. Et c’est Geddy… c’est Geddy, Adam ! Geddy qui n’arrive pas à garder contenance si on le regarde d’un air dur. Être fait prisonnier ? Subir une contrainte physique, peut-être un passage à tabac, des mauvais traitements ?

— On ne sait pas s’il lui est arrivé quoi que ce soit de la sorte.

— Mais ça a pu. »

Je n’ai rien dit. Parce qu’elle avait raison, bien entendu. Ça avait pu lui arriver.

Trevor s’est aussitôt retrouvé sur la même longueur d’onde émotionnelle que Shannon Handy. Parce qu’ils étaient tous deux taus, mais pas seulement : Trev se consacrait à la protection des Taus et Shannon avait affûté ses propres instincts protecteurs (entre autres talents) durant une affectation en Afghanistan de nombreuses années auparavant. Ils ne pouvaient pas avoir l’air plus différents — une quinquagénaire blanche propriétaire d’un magasin de produits électroniques grand public et un type de couleur avec des tatouages faciaux de style maori et un corps de videur de bar —, ce qui ne les a pas empêchés de se retrouver en grande et sérieuse conversation à peine présentés.

Ils ont transformé la cuisine de Shannon en un centre de commandement. J’ai attendu dans le salon avec Rebecca, Jenny et deux Taus des environs déjà informés de la situation : un jeune informaticien du nom de Clarence, qui nous a salués d’un hochement de tête circonspect, et une cariste appelée Jolinda Smith qui résidait à l’extérieur de Schuyler et avait fourni des renseignements cruciaux.

« Dès que Shannon est passée me demander si j’avais vu quoi que ce soit qui sorte de l’ordinaire, a-t-elle raconté, j’ai su de quoi elle parlait. » Jolinda était une femme corpulente et costaude. Elle s’est penchée en avant, le regard déterminé. « Parce qu’il n’y a pas beaucoup de circulation là où j’habite. C’est sur Spindevil Road, plus loin que la carrière de gravier, vous connaissez le coin ? Après chez moi, il n’y a que de vieilles fermettes, la plupart délabrées ou abandonnées. Ce matin, je fumais un peu de kush sur le pas de ma porte en attendant que le courant revienne… ce qu’il n’a pas fait. Si bien que ça m’a surprise de voir, comment dire, un convoi qui remontait Spindevil depuis l’autoroute. Faut dire que ce n’est pas quelque chose d’ordinaire, là-bas. Quatre gros 4×4 noirs et une berline genre dernier modèle, tous ensemble, tous très pressés.

— Une idée de leur destination ?

— Aucune. Mais Clarence en a une, lui. »

Grande perche de vingt et quelques années, vêtu d’un chino et assis droit sur son siège, Clarence s’est raclé la gorge. « On tenait la tranche het locale à l’œil, depuis le début des ennuis. On n’en a pas eu ici, mais il faut se tenir prêt, pas vrai ? Bref, on connaît tous les Hets de Schuyler.

— Et c’est qui ?

— Des gens inoffensifs, pour la plupart. Très loyaux à la tranche, mais ils travaillent dans des entreprises locales comme tout le monde, si bien qu’il nous arrive de les croiser. Aucun n’a de casier judiciaire, ou en tout cas rien de plus grave qu’une conduite en état d’ivresse ou un excès de vitesse…