Выбрать главу

— Exact.

— Sauf que cette fois, on n’a pas affaire à un ex jaloux avec une batte de base-ball, mais à un groupe de Hets qui cherche à démolir notre Affinité tout entière. On ne protège pas une seule personne, on protège Tau en tant que mode de vie. »

J’ai hoché la tête.

« Il ne s’agit donc ni de Geddy ni de Jenny. Mais de nous tous. Il faut garder ça à l’esprit. »

Il me regardait à nouveau avec intensité.

« Exact, ai-je dit.

— Très bien. Tu vas pouvoir le faire, donc ?

— Pas de problème.

— Super. » Il a souri. « Parce que je crois que notre moyen de transport vient d’arriver. »

La voiture, fournie par un camarade de tranche de Shannon, était une berline Toyota ayant traversé douze hivers : sa peinture était cloquée, l’habitacle sentait la cigarette et les vieux Doritos. Mais elle roulait et convenait à l’usage que je comptais en avoir. J’ai offert de prendre le volant.

J’avais comme passagers trois Taus de Schuyler, qui se sont montrés peu bavards. Nous avons traversé les quartiers nord en direction de l’autoroute ; la ville avait l’air sinistre sous la pluie, avec ses rues désertes et l’aube qui commençait juste à dévoiler un ciel d’amples nuages. L’autoradio a capté la station analogique qui constituait notre seule source d’informations depuis la panne, et ce matin-là, les nouvelles étaient mitigées et souvent au conditionnel. Quelque chose de terrible avait eu lieu à Mumbai et on entendait parler de batailles rangées à Karachi et à Islamabad. Des experts dont le nom n’a pas été précisé affirmaient qu’une cyberattaque visant les systèmes militaires indiens s’était répandue de manière catastrophique sur tout le globe, poussant les principaux protagonistes à lâcher par mesure de rétorsion des dizaines de variétés de malware militaire ciblant des nœuds d’infrastructure dans à peu près chacune des nations industrialisées de la planète. Le courant électrique venait toutefois d’être rétabli aux États-Unis sur la côte ouest ainsi que dans certaines zones urbaines à l’est, et les opérateurs de télécommunication revenaient en ligne, lentement et en ordre dispersé. Bonnes nouvelles pour le monde, mais peut-être pas pour moi… ni pour Geddy.

Je me suis dit qu’il s’en sortirait. Il pouvait être d’un sérieux et d’une naïveté impressionnants, mais il y avait aussi de la force en lui, un stoïcisme acquis à la dure. J’avais été témoin de ce changement en lui alors qu’il n’avait que treize ans. Avant cela, mon père pouvait le faire éclater en sanglots d’une parole méchante. Ensuite, quand mon père disait quelque chose de cruel, Geddy prenait une mine sombre, mais il serrait les dents et son regard s’emplissait de fureur. Cela n’empêchait pas la douleur — je ne crois pas qu’il était capable de l’empêcher —, mais il refusait de donner à mon père la satisfaction de le voir pleurer.

J’ai imaginé Geddy en captivité, opposant à ses ravisseurs le même défi muet. À moins que quelqu’un d’encore moins indulgent que mon père ait réussi à l’en priver en le passant à tabac.

Le ciel était lumineux quand nous avons pris l’autoroute en direction de l’est. La pluie continuait à tomber en légers rideaux ondulants. Les essuie-glaces de la Toyota grinçaient sur le pare-brise. Au bout de quelques minutes, nous avons atteint la sortie non marquée pour Spindevil Road.

C’était une deux-voies goudronnée pleine de nids-de-poule que négligeaient depuis un certain temps les services d’entretien des routes du comté. Elle contournait la carrière abandonnée — où, bien des étés auparavant, j’étais allé nager avec Aaron, Geddy et Jenny Symanski —, traversait une forêt de broussailles puis des prairies sauvages et rocailleuses, longeait des propriétés isolées bordées de clôtures en demi-rondins et de vieux panneaux ENTRÉE INTERDITE. Les seules autres voitures que j’ai vues appartenaient à des Taus, elles faisaient partie de notre vague convoi, il y en avait une devant moi et trois derrière. Nous nous sommes tous arrêtés à la petite maison de Jolinda Smith, qui ferait office d’avant-poste. La fermette dans laquelle les Hets retenaient Geddy se trouvait cinq kilomètres plus au nord, surveillée par l’un des nôtres, posté à l’autre bout du plan d’eau Killdeer.

C’était surtout Trevor le maître d’œuvre de l’opération, à présent, et une fois tout le monde plus ou moins bien installé chez Jolinda, je suis allé lui demander où on en était.

« On a besoin d’encore un peu de temps, a-t-il répondu. Peut-être une heure, deux max. Shannon est partie au centre-ville de Schuyler, elle est sans doute en place, maintenant, et une fois que tout le reste sera prêt, on la préviendra par talkie-walkie pour qu’elle lance les opérations. Il faut aussi tenir compte du trajet depuis là-bas. Mais une fois tout en place, j’estime à une demi-heure le délai entre la première alerte et le début du spectacle. »

C’était plus long que je l’aurais voulu, mais pas si mal, tout compte fait.

Le Motorola de Trevor a grésillé une nouvelle fois. Comme nous étions à peu près tous là, l’appel ne pouvait provenir que de Shannon ou du type placé en surveillance près de la ferme het. Dans tous les cas, peut-être s’agissait-il de mauvaises nouvelles : un retard, un imprévu dans le plan.

Nous étions sur le perron humide de la maison de Jolinda, la pluie tictaquait sur l’avant-toit et dévalait dans le tuyau d’écoulement. Le talkie-walkie était énorme comparé à un téléphone, mais semblait miniature dans la main de Trevor. Celui-ci l’a porté à son oreille et écouté pendant une dizaine de secondes avec une expression indéfinissable.

« Je ne sais foutre pas qui c’est, m’a-t-il ensuite dit en me le tendant, mais il demande à te parler. À parler à Adam Fisk. »

J’ai pris l’appareil, dont j’ai pressé le bouton d’émission. « Ici Adam Fisk. »

Une voix masculine : « Vous vous êtes donné beaucoup de mal, Adam. Vous ne croyez pas qu’on pourrait commencer par en discuter ?

— Qui est-ce ?

— Un de ceux qui hébergent votre demi-frère. Ça fait plusieurs heures qu’on vous écoute bavarder sur la radio. Et on se dit que vous vous tracassez pour rien, tous. Vous êtes un négociateur, à ce que j’ai cru comprendre. Une espèce de diplomate. Eh bien, peut-être qu’il faudrait négocier un minimum, aujourd’hui.

— Qu’est-ce que vous proposez ?

— Simplement que vous pourriez vouloir venir frapper à notre porte avant de l’enfoncer. Vous êtes un peu plus au sud sur Spindevil, non ? Continuez donc la route pour passer bavarder un peu. Rien que vous.

— Et pourquoi je ferais ça ?

— Pour éviter des violences inutiles. Peut-être pour récupérer votre demi-frère intact, si on parvient à un accord. Nous vous garantissons que vous repartirez d’ici sain et sauf. Mais notre offre est limitée dans le temps. Je pense que vous êtes à quoi ? Cinq minutes en voiture ? Rajoutons-en quelques-unes pour vous laisser discuter de tout ça avec vos copains taus. Disons qu’on vous attend dans un quart d’heure ou pas du tout.

— Pourquoi est-ce que je vous croirais ? » ai-je demandé.

Mais je n’ai pas eu de réponse.

Trevor était contre.

C’est lui qui m’a conduit à la maison des Hets, avec Jolinda à l’arrière pour nous éviter de nous rendre au mauvais endroit. Nous avons pris la Toyota, le véhicule qu’on pouvait sacrifier. « Tu le sais, que tu vas leur donner un autre otage, non ? » a demandé Trev.