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Le Chirurgien fit ses adieux à son ami l’Elfon qui, nous abandonnant, se rendit une dernière fois au village cristallisé. Nous l’attendîmes car nous n’avions aucune raison d’y retourner. Quand il nous rejoignit, il était sombre.

— Il y a quatre nouveaux cas. La population va périr jusqu’au dernier homme. Une épidémie aussi concentrée ne s’était encore jamais vue sur Terre.

— C’est donc quelque chose d’inédit ? fis-je. S’étendra-t-elle partout ?

— Qui peut le savoir ? Dans les villages voisins, personne n’a été atteint. Une bourgade totalement ravagée et rien ailleurs ! C’est sans exemple. Les pauvres gens y voient une punition divine pour des péchés inconnus.

— Qu’auraient pu faire des paysans pour attirer sur leurs têtes une si cruelle vengeance de la Volonté ?

— C’est également la question qu’ils se posent, dit le Chirurgien.

Olmayne intervint :

— Si de nouveaux cas sont apparus, notre visite d’hier a été vaine. Nous avons risqué nos vies pour rien.

— C’est inexact, rétorqua le Chirurgien. A votre arrivée, les nouveaux malades étaient en état d’incubation. On peut espérer que ceux qui n’étaient pas encore contaminés seront épargnés.

Mais il semblait manquer d’assurance.

Chaque jour, Olmayne s’examinait, guettant les premiers symptômes du mal mais aucun ne se manifestait. Elle harcelait le Chirurgien, lui demandant son opinion sur telle ou telle tache, réelle ou imaginaire, sur sa peau, ôtant son masque — ce qui embarrassait fort le malheureux — afin qu’il détermine si tel petit bouton sur son visage n’était le signe avant-coureur de la cristallisation.

Mais notre ami prenait les choses de bonne grâce car, si l’extra-terrestre était comme inexistant, il était, lui, un homme profond, patient et sagace. Fricain d’origine, il avait été voué dès sa naissance à la confrérie chirurgienne par son père, car la médecine était une tradition de famille. Ayant beaucoup voyagé, il connaissait toute la planète et n’avait presque rien oublié de ce qu’il avait vu. Il nous parlait de Roum et de Perris, des champs de fleurs de givre de Stralya, du groupe d’îles des continents perdus où j’avais vu le jour. Il nous interrogeait avec tact sur nos pierres d’étoile et sur les effets qu’elles déterminaient — il mourait visiblement d’envie d’en faire personnellement l’essai mais c’était évidemment interdit à quiconque n’était pas un Pèlerin — et quand il sut que j’avais jadis été Guetteur, il me posa une multitude de questions sur les instruments avec lesquels je fouillais les cieux. Il voulait savoir ce que je percevais et comment j’imaginais que s’effectuaient les perceptions. Je lui répondais de mon mieux mais, en toute franchise, c’était un sujet sur lequel j’avais peu de lumières.

En principe, nous ne nous écartions pas de la bande de terre fertile et verdoyante qui borde le lac mais un jour, cédant aux instances du Chirurgien, nous nous enfonçâmes dans la chaleur suffocante du désert afin de voir une chose qui, nous promettait-il, ne manquerait pas de nous intéresser. Mais il ne voulut pas nous dire de quoi il s’agissait. Nous avions loué un char à patins découvert et les rafales de vent de sable nous giflaient. Les grains n’adhéraient pas aux yeux de l’extra-terrestre d’où ruisselaient à intervalles rapprochés des larmes bleues qui les nettoyaient. Nous autres, en revanche, enfouissions notre figure dans nos vêtements à chaque bourrasque.

— Nous sommes arrivés, annonça enfin le Chirurgien. Il y a longtemps que je suis venu ici. Je voyageais avec mon père. Nous allons entrer et toi qui as été Souvenante tu nous diras où nous sommes, acheva-t-il à l’adresse d’Olmayne.

C’était un bâtiment de brique et de verre blanc de deux étages. Les portes semblaient hermétiquement scellées mais une infime pression suffit à les faire céder. Des lampes s’allumèrent dès que nous fûmes entrés.

Le long des travées où un peu de sable s’était déposé, s’alignaient des tables sur lesquelles étaient fixés des appareils dont la destination m’échappait totalement. Il y avait des instruments en forme de mains où l’on pouvait glisser les siennes ; de ces étranges gants de métal partaient des tubulures aboutissant à d’étincelantes armoires closes et des systèmes de miroirs transmettaient à des écrans géants l’image de l’intérieur de ces armoires. Le Chirurgien enfonça sa main dans un gant et remua les doigts. Les écrans s’éclairèrent et je pus y voir osciller de minuscules aiguilles. Il s’approcha d’autres machines d’où s’égouttaient des liquides mystérieux, effleura de petits boutons qui déclenchaient des sonorités musicales, allant et venant familièrement au milieu de ces merveilles techniques indéniablement anciennes qui avaient l’air d’être toujours en état de marche et d’attendre le retour des opérateurs.

Olmayne nageait dans l’extase. Elle ne quittait pas le Chirurgien d’un pouce, elle touchait tous les instruments.

— Eh bien, Souvenante, qu’est-ce que c’est ? lui demanda-t-il enfin.

— Une clinique, répondit-elle à mi-voix. Une Clinique des Années de la Magie !

— Exactement ! Bravo ! (Le Chirurgien semblait curieusement surexcité.) On fabriquait ici des monstres stupéfiants ! On faisait des miracles ! Des Volants, des Nageants, des Elfons, des Voluteux, des Ardents, des Grimpants… on inventait des confréries, on modelait les hommes à sa fantaisie ! Ici !

— On m’a décrit ces Cliniques. Il en subsiste six, n’est-ce pas ? Une en Eyrope septentrionale, une à Palash, une au sud de la Frique profonde, une en Aïs occidentale…

Elle hésita.

— Et une en Hind, la plus grande de toutes !

— Mais oui, bien sûr ! En Hind, le berceau des Volants !

Leur exaltation était contagieuse.

— C’était donc ici que l’on modifiait les structures humaines ? Comment s’y prenait-on ? m’enquis-je.

Le Chirurgien haussa les épaules.

— C’est un art oublié. Les Années de la Magie sont bien loin, vieillard.

— Oui, je sais, je sais. Mais si le matériel a survécu, on doit sûrement pouvoir deviner…

— Ces scalpels taillaient dans les tissus de l’enfant à naître afin de rectifier la semence humaine. Le Chirurgien mettait ses mains ici (il fit la démonstration) et les bistouris faisaient leur œuvre dans cet incubateur. Il en sortait des Volants — et tous les autres. Certaines des formes ainsi créées sont aujourd’hui éteintes mais c’est à des établissements semblables à celui-là que nos Elfons doivent leur patrimoine génétique. Ils sont, évidemment, le résultat d’erreurs commises par les Chirurgiens. On n’aurait jamais dû les laisser vivre.

— Je croyais que ces monstres étaient le produit de l’action de drogues tératogènes affectant l’embryon. Et vous me dites qu’ils sont l’œuvre de la Chirurgie. Laquelle des deux réponses est la vraie ?

— Les deux. Les Elfons actuels sont issus des malfaçons des Chirurgiens des Années de la Magie. Toutefois, les mères de ces malheureux ont souvent accentué à l’aide de drogues les difformités de leur progéniture pour augmenter la valeur vénale de leurs enfants. C’est une espèce infortunée, et pas seulement du fait de leur aspect physique. Il n’est pas surprenant qu’on ait dissous leur confrérie et qu’on les ait rejetés au ban de la société. Nous…

Quelque chose de brillant siffla à travers les airs, manquant d’un cheveu la tête du Chirurgien qui se jeta à plat ventre et nous cria de nous mettre à couvert. Au même moment, j’aperçus un second projectile. L’extra-terrestre, toujours attentif à tous les événements, l’examina avec impassibilité pendant les quelques instants qui lui restaient à vivre. L’objet le heurta de plein fouet et son corps fut sectionné net. D’autres projectiles continuaient de pleuvoir, tintant contre le mur qui se trouvait derrière nous. Je vis alors nos assaillants : une bande d’Elfons aussi féroces que hideux. Nous n’avions pas d’armes. Ils avancèrent et je me préparai à mourir.