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Une voix familière retentit, proférant les étranges vocables pâteux qui étaient l’idiome des Elfons et le calme s’établit instantanément. Ceux qui nous menaçaient se tournèrent vers la porte et Bernalt entra.

— J’ai vu votre véhicule, nous dit-il. J’ai pensé que vous étiez là et que vous aviez peut-être des ennuis. J’ai l’impression d’être arrivé à temps.

— Pas tout à fait, répondit le Chirurgien en désignant du doigt l’extra-terrestre qui gisait sur le sol et pour qui il n’y avait plus rien à faire. Mais pourquoi cette attaque ?

Bernalt désigna nos agresseurs.

— Ce sont eux qui vont vous le dire.

Nous regardâmes les cinq Elfons qui nous avaient tendu l’embuscade. Ce n’étaient pas des êtres éduqués et civilisés comme Bernalt et il n’y en avait pas deux qui se ressemblaient. Chacun d’entre eux était une caricature gauchie et dénaturée de la forme humaine. L’un avait au bout du menton des tentacules visqueux, un autre un visage lisse et plat entièrement dépourvu de traits, le troisième des timbales géantes en guise d’oreilles et le reste à l’avenant. Ce fut celui qui était le plus près de nous, une créature dont le corps était hérissé de milliers de petites crêtes, qui nous expliqua la raison de l’attaque dont nous avions été l’objet : usant d’un grossier dialecte ogyptien, il nous apprit que nous avions profané un temple tenu pour sacré par ses pareils.

— Nous n’allons pas à Jorslem. Pourquoi êtes-vous venus ici ?

Évidemment, il avait raison. Nous implorâmes leur pardon avec toute la sincérité possible. Le Chirurgien ajouta qu’il était venu autrefois en ce lieu et que ce n’était pas un lieu de culte à cette époque. L’argument apaisa l’Elfon qui convint que l’endroit n’avait été converti en temple que depuis peu de temps. Il s’adoucit encore davantage lorsque Olmayne ouvrit l’ultrapoche fixée entre ses seins et distribua à nos agresseurs quelques pièces d’or, une partie du trésor qu’elle transportait depuis Perris. Réconciliées, les étranges et difformes créatures nous laissèrent alors sortir. Nous aurions volontiers emporté le cadavre de l’étranger mais, pendant ces palabres, il s’était presque entièrement évanoui : seule une légère tache sur le sable grisâtre indiquait l’endroit où il était tombé.

— Un enzyme mortuaire, commenta le Chirurgien, que la cessation des processus vitaux active.

D’autres membres de cette communauté elfonne du désert flânaient à l’extérieur. Une vraie tribu de cauchemar : toutes les textures et toutes les teintes de peau imaginables, des traits disposés au petit bonheur, toutes sortes d’improvisations génétiques au niveau des organes et des accessoires corporels. Bien qu’il fût de la même lignée, Bernalt avait l’air épouvanté par la monstruosité de ses frères qui le regardaient avec une crainte respectueuse. Quand nous émergeâmes de l’édifice, quelques-uns caressèrent les armes de jet qui se balançaient à leur hanche mais Bernalt lança un ordre sec et il n’y eut pas d’incident.

— Je regrette le traitement qui vous a été infligé et le décès de l’extra-terrestre, nous dit-il. Mais il est dangereux de pénétrer dans des lieux que des gens rétrogrades et violents considèrent comme sacrés.

— Nous l’ignorions, fit le Chirurgien. Nous ne serions jamais entrés si nous avions pensé…

— Bien sûr, bien sûr ! (Je me demandai s’il n’y avait pas quelque condescendance dans le ton aimable et civilisé de l’Elfon.) Eh bien, je vous fais une fois encore mes adieux.

— Non, m’écriai-je. Viens à Jorslem avec nous ! Il est ridicule de voyager chacun de son côté quand on a la même destination.

Olmayne crut s’étrangler. Le Chirurgien lui-même avait l’air abasourdi. Seul Bernalt conserva son calme.

— Tu oublies, ami, qu’il est malséant que les Pèlerins voyagent en compagnie de hors-confrérie. De plus, je suis venu ici pour me prosterner en ce sanctuaire et mes dévotions prendront un certain temps. Je m’en voudrais de vous retarder.

Il me tendit la main puis fit demi-tour et disparut à l’intérieur de l’antique Clinique. Les autres Elfons se ruèrent à sa suite. Je lui fus reconnaissant d’avoir fait montre d’autant de tact. Il lui était impossible d’accepter la proposition impulsive, encore que sincère, que je lui avais faite.

Nous remontâmes à bord de notre véhicule et, bientôt, un affreux vacarme s’éleva : c’étaient les Elfons qui chantaient un hymne discordant en l’honneur d’une divinité que je n’osais même pas imaginer, une mélopée grinçante, stridente, cacophonique, aussi contrefaite qu’eux.

— Quelles brutes ! murmura Olmayne. Un autel consacré ! Un temple pour Elfons ! Quelle horreur ! Ils auraient pu nous massacrer, Tomis. Comment des monstres de cet acabit peuvent-ils avoir une religion ?

Je ne répondis rien. Le Chirurgien lui lança un coup d’œil attristé et secoua la tête comme s’il était désolé que quelqu’un qui se prétendait un Pèlerin eût si peu de charité.

— Ce sont aussi des humains, dit-il.

A la halte suivante, nous signalâmes la mort de l’extraterrestre aux autorités d’occupation puis, mornes et silencieux, nous poursuivîmes notre route jusqu’au point où la côte remonte vers le nord. Laissant l’Ogypte léthargique derrière nous, nous franchîmes la frontière du pays où s’élève la cité sainte de Jorslem.

8

La cité de Jorslem est située à l’intérieur des terres à bonne distance du lac Médit. Elle se dresse sur un plateau agréablement frais cerné de faibles hauteurs nues et rocailleuses. C’était comme si je m’étais préparé toute ma vie à voir enfin la ville d’or dont je connaissais si bien l’aspect, de sorte que lorsque j’aperçus ses tours et ses remparts, à l’est, l’impression qui dominait en moi était moins un sentiment de crainte respectueuse que celui d’un retour au foyer.

Une route sinueuse serpentait à travers les collines jusqu’à la cité dont les murailles étaient faites de splendides blocs de pierre carrés d’un rose doré, tout comme les maisons et les sanctuaires. Ce n’étaient pas des arbres d’étoile qui la bordaient mais d’authentiques arbres de la Terre ainsi qu’il convenait à la plus ancienne des cités humaines, plus ancienne que Roum, plus ancienne que Perris, profondément enracinée dans le terreau du premier cycle.

Les envahisseurs avaient eu l’intelligence de ne pas prendre eux-mêmes en main l’administration de Jorslem. Celle-ci demeurait soumise à l’autorité du maître de la confrérie des Pèlerins auquel les conquérants devaient s’adresser pour être autorisés à entrer. C’était, bien sûr, purement une question de forme : le maître de confrérie, à l’instar du chancelier des Souvenants et autres officiels de la même farine, était en vérité un fantoche dont l’envahisseur tirait les ficelles. Mais cette réalité n’était pas apparente. Par la grâce de l’occupant, notre cité sainte jouissait d’un statut particulier et l’on ne rencontrait pas de patrouilles armées se pavanant dans les rues.

Nous demandâmes cérémonieusement à la Sentinelle de faction à la poterne la permission de passer. Bien que, partout ailleurs, la plupart des Sentinelles fussent réduites au chômage — l’accès des villes étant libre par ordre de nos maîtres —, celle-ci, accoutrée de tout l’attirail de sa confrérie, tint à respecter scrupuleusement la procédure. En tant que Pèlerins, nous avions automatiquement le droit d’entrer, Olmayne et moi, mais nous dûmes montrer nos pierres d’étoile, preuve que notre robe et notre masque n’étaient pas d’emprunt. Puis la Sentinelle coiffa un bonnet à pensées pour vérifier notre identité auprès des archives de la confrérie. Finalement, nous fûmes admis. Pour notre compagnon le Chirurgien, les formalités furent plus simples. Il avait sollicité d’avance l’autorisation et il fut admis à son tour dès que son identité eut été vérifiée.